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mardi 3 septembre 2019

La gifle.

La gifle.


L'une des salles de spectacle les plus gaies de Paris est la Chambre des députés, que d'irrévérencieux journalistes ont appelée les Folies-Bourbon. On y parle, on y chante, on y boit et parfois on s'y bat. Nous allons remémorer ici, pour l'édification des générations futures, les gifles les plus sonores, les pugilats les plus ardents, qui ont éveillé l'écho des voûtes parlementaires.


Officiellement, la gifle n'existe pas. Dans aucun des documents authentiques où s'écrit l'histoire des Chambres, il n'en est question.
C'est ainsi que dans le Moniteur de juin 1866, on lit cette phrase:" M. Thiers* prononce, au milieu du bruit, quelques paroles qui n'arrivent pas jusqu'à nous."
Les rares témoins encore vivants de cette séance ont gardé le souvenirs de ces "paroles", bien qu'elles ne fussent point arrivées officiellement à l'oreille des sténographes. Ils vous diront que, mis en fureur par un mot de M. Rouher* le 2 décembre, M. Thiers, debout sur son banc, le poing tendu, la face apoplectique, avait, de sa voix aiguë dominant le tumulte apostrophé M. Rouher de ces simples mots: "Sacré cochon!"
De même, au compte-rendu de la séance du 10 décembre 1868: "Des paroles très vives sont échangées entre M. Ad. Guéroult* et M. de Kerveguen*. Plusieurs membres s'interposent..."
Or, ces paroles, M. de Kerveguen les avaient senties et non point entendues, vu qu'elles lui étaient arrivées en pleine figure sous les espèces d'un formidable soufflet qui le renversa littéralement sur son pupitre. 



A ce geste s'était borné le dialogue. Il y avait eu "donation" et non pas "échange". Quant aux "membres qui s'étaient interposés", il n'y en avait eu qu'un seul: c'était le bras de M. Pagezy*, député de l'Hérault, qui essaya de parer le coup, sans succès, d'ailleurs, mais non sans dommage, car il en reçut un bleu notable.
L'affaire faillit avoir des suites. M. de Kerveguen avait, à la tribune, accusé les journaux d'opposition de l'époque d'être vendus à l'Allemagne. M. Havin*, directeur du Siècle, et M. Guéroult, directeur de l'Opinion nationale, protestèrent, l'un de la voix, l'autre de la voix... et du geste. il y eut demande de poursuites en diffamation, explications, rectifications, regrets, et le temps, qui est galant homme, passa l'éponge sur l'incident.
Le temps... et les autorités. Car, en pareil cas, celles-ci s'emploient de leur mieux à concilier, étouffer, ces sortes d'affaires. Que penserait le monde, s'il voyait les législateurs qui doivent donner l'exemple de la sagesse, échanger des horions comme les écoliers?
C'est pourquoi la gifle n'est pas prévue au règlement.
Ce n'est pas qu'elle ait cessé de retentir, au Parlement! Aux époques de crise, les séances deviennent aisément tumultueuses.
Et si, dans la confusion et le va-et-vient de l'hémicycle, les adversaires se trouvent face à face, la querelle devient dispute, les gros mots éclatent... et v'lan! la giroflée à cinq feuilles.
Le cas s'est produit à toutes les époques. Le 10 août 1849, par exemple, le prince Pierre Bonaparte, en séance, soufflette M. Gastier qui, disait-il, l'avait traité "d'imbécile". M. Gastier nia le mot. Pierre Bonaparte* fut mis aux arrêts, et on lui imposa des excuses. En 1865, Jules Simon*, le doux philosophe, est arrêté dans l'hémicycle par quelques collègues, alors qu'il courait, la main levée sur Granier de Cassagnac*. Eugène Pelletan* disait à ses amis, après une bagarre; "La prochaine fois, vous m'attacherez."




A l'Assemblée de Versailles, en juin 1873, la foudre tomba sur la galerie des tombeaux et frappa la statue du cardinal d'Amboise, à vingt mètres de la salle des séances. On ne l'entendit pas en séance, tant grondait bruyamment l'orage parlementaire.
C'est peut être ce jour-là que le colonel Langlois* eut avec Numa Baragnon*, celui qui fournit à Alphonse Daudet un des prototypes de Numa Roumestan*, une explication des plus animées qui se termina par un geste vigoureux. Ce ne fut pas de la main que frappa le colonel, et le coup ne fut point reçu de face. 


A quoi le "gros Numa" comme on l'appelait à Versailles, répondit avec un calme olympien: "C'est une lâcheté d'insulter quelqu'un qui ne se bat pas." Et tout fut dit.
Les temps du boulangisme firent refleurir de plus belle la bousculade, la dispute et le pugilat. Le 30 mars 1887, à la suite d'une discussion sur Panama. M. de Douville-Maillefeu* dans le petit salon qui fut autrefois la "salle du Trône", honora d'une maîtresse gifle la joue de M. Sans-Leroy*. La Chambre, saisie d'une plainte par le giflé, lui refusa l'autorisation de poursuivre.

Pas de gifles au Sénat.

Je passe sous silence quelques menus scandales. au diapason où la Chambre était montée, ces petits "attrapages" passaient inaperçus. Notons seulement, le 19 janvier 1892, l'agression hors de la salle par Francis Laur* sur M. Thomson* qui, doué de muscles supérieurs, rendit à M. Laur, avec usure, la monnaie de sa pièce.
Le point culminant de la "grande boulange" fut marqué, le 19 janvier 1892, par la main de M. Constans* sur la joue de M. Francis Laur, déjà nommé... et giflé. M. Laur, qui avait l'affirmation facile, avait formulé des accusations qu'il ne pouvait prouver. L'affaire fit pas mal de bruit... presque autant que le soufflet*. D'autant que le délit avait été commis en pleine séance, par un ministre qui n'appartenait pas à la chambre, étant sénateur. Cependant, tout s'arrangea: M. Constans fit des excuses... à l'Assemblée, et M. Laur garda ce qu'il avait reçu.
La fin du boulangisme coupa court à la "distribution des pains", comme disait Douville-Maillefeu. Il faut arriver jusqu'à la crise de l'affaire Dreyfus pour rencontrer d'autres incidents de ce genre. Le 23 janvier 1896, dans la salle des Pas-Perdus, un sénateur, M. Garran de Balzan, renouvela, sur M. Papillaud de la Libre parole, le geste du colonel Langlois sur Numa Baragnon. M. Papillaud présenta... non l'autre joue, mais une demande d'autorisation de poursuite qui fut repoussée par le Sénat.
Notons que la gifle, assez commune à la Chambre des députés, est, jusqu'à ce jour, demeurée inconnue au Sénat. Lorsqu'un sénateur s'émancipe, c'est à la Chambre qu'il vient commettre ses frasques. "C'est que nous sommes sages!" disent les Pères conscrits. "Non, c'est que vous êtes vieux!" réplique le Palais-Bourbon.
A la même époque, un autre journaliste, M. Pollonnais, reçu d'un député, M. Tourniol, un nom assez prédestiné!, une "atteinte" du même genre. Il n'en résulta rien... qu'une chanson du Chat noir, réclamant un vestiaire:

Dans la salle des Pas-Perdus,
Pour les coups d'pied non rendus,
Qui pourtant ont été reçus,
Par de très notables c...!

Enfin, très connues et très récentes, les agressions commises par M. de Bernis sur M. Jaurès, pendant que ce dernier était à la tribune*, et par M. Syveton sur le général André, sont encore trop près de nous pour y insister*.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 4 mars 1906.

* Nota de Célestin Mira:

* Adolphe Thiers:

Adolphe Thiers,
caricature.

* Eugène Rouher:

Eugène Rouher,
caricature.

* Adolphe Guéroult:

Adolphe Guéroult,
caricature.

* Le Kerveguen:


Aimé Lescoat de Kerveguen.

* Pagezy:

Jules Pagezy.


* Havin, directeur du Siècle:

Léonor, Joseph Havin,
caricature.

* Guéroult, directeur de l'Opinionnationale:

Adolphe, Georges Guéroult,
caricature.

* Pierre Bonaparte:

Le prince Pierre Napoléon Bonaparte.

* Jules Simon:

Jules, François, Simon Suisse
dit Jules Simon.
caricature.


* Granier de Cassagnac:

Paul, Adolphe, Marie, Prosper Granier de Cassagnac
caricature.


* Eugène Pelletan:

Pierre, Clément, Eugène Pelletan
caricature.

* Colonel Langlois:

Jean-Charles Langlois, dit le colonel.

* Numa Baragnon:

Louis, Numa Baragon,
caricature.
* de Douville-Maillefeu:

Gaston de Douveille-Maillefeu,
caricature.

* Sans-Leroy:

Charles Sans-Leroy.

* Francis Laur:



* Thomson:

Gaston Thomson
caricature.


*Constans:

Jean Antoine Ernest Constans.

* Incident Constans-Laur:



* de Bernis -Jaurès:

de Bernis frappe Jaurès par derrière à la tribune.

* Affaire Syveton-général André:



M. Syveton fut retrouvé mort, chez lui,
asphyxie au gaz, la veille de son procès.

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