Amour impossible.
Le second fils de Ninon de Lenclos avait été élevé par les soins du marquis de Gersey, sous le nom du chevalier de Villiers; on lui avait toujours caché le secret de sa naissance.
Cependant, Ninon le faisait venir quelquefois chez elle pour lui procurer un peu d'amusement et de liberté. Bientôt, ce jeune homme, né avec un tempérament ardent et une âme sensible, ne put se défendre des charmes de Ninon: en effet, quoiqu'elle eût alors cinquante-six ans, elle était encore dans tout l'éclat de sa beauté.
Elle s'aperçut de l'amour du chevalier sans en être alarmée, croyant que ce ne serait qu'un feu de jeunesse qui s'éteindrait de lui-même. Mais celui-ci se jeta à ses pieds, et lui déclara son amour dans les termes les plus tendres et les plus passionnés. Ninon, sans paraître émue, le fit relever sur-le-champ, et lui répondit froidement qu'il était trop jeune pour lui parler d'amour, et elle trop âgée pour l'écouter. Il insista, en lui protestant qu'il l'adorait, et qu'il mourrait de douleur si elle le voyait avec indifférence. Ninon prit alors un ton sévère; elle le menaça de toute sa haine s'il osait encore l'entretenir de ses feux.
Le chevalier de Villiers s'abandonna au plus affreux désespoir. Elle crut devoir avertir le marquis de Gersey, qui lui conseilla de découvrir un secret qu'elle ne pouvait plus garder.
Ninon écrivit un jour à son fils qu'elle avait à lui parler dans sa petite maison du faubourg Saint-Antoine à Picpus. Il y vola. Elle se promenait dans son jardin. Il se jeta à ses genoux, et prenant une de ses mains, la baigna de ses larmes. Aveuglé par son ivresse, il allait se porter aux dernières entreprises:
"Arrêtez, malheureux! s'écria Ninon. Apprenez que vous êtes mon fils."
A ces mots, le jeune homme reste frappé comme d'un coup de foudre; son visage se couvre d'une pâleur mortelle; il lève les yeux sur sa mère, il les baisse; puis, la quittant précipitamment, il se jette dans un petit bois qui était au bout du jardin, et se passe son épée au travers du corps.
Ninon ne songe pas d'abord à suivre son fils. A la fin, ne le voyant point reparaître, l'inquiétude la fait entrer dans le petit bois. A peine a-t-elle fait trente pas, qu'elle aperçoit le corps sanglant de cet infortuné jeune homme. Ses yeux presque éteints se tournent sur elle; il semble vouloir lui parler. Il veut exhaler quelques paroles, et cet effort hâte son dernier soupir.
Mémoires anecdotiques des règnes de Louis XIV et Louis XV.
Dictionnaire encyclopédique d'anecdotes, Edmond Guérard, librairie Firmin-Didot, 1876.
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