Etablissemens français dans l'Inde.
Déchue de son ancienne splendeur dans l'Inde, la France n'a conservé que des établissemens d'une médiocre importance relativement aux magnifiques possessions de nos émules de gloire et de puissance; mais peut-être de grands changemens se préparent-ils. La compagnie des Indes en Angleterre va voir expirer cette année-ci son privilège; sera-t-il renouvelé, et à quelles conditions?
Dans cet état de choses, on lira avec plaisir quelques renseignemens sur un de nos comptoirs dans cette contrée. Ils sont extraits et abrégés de la relation intéressante du voyage de la Favorite, commandée par M. Laplace.
Comptoir d'Yanaon.
sur la côte orientale de la presqu'île du Bengale.
... A Madras, j'avais vu les maîtres de l'Hindoustan malades et ennuyés au milieu du luxe et des richesses; ici, je trouvai une population pauvre, courbée sous le joug, et qui ne connaissait même pas les noms célèbres de Golconde, de Delhi, et de tant d'autres riches cités qui composent toute l'Inde pour la plupart des habitans de l'Europe. Ces magnifiques palais, cette splendeur de l'Orient, rêves qui ont exalté tant d'imagination, ne se sont montrés nulle part à mes yeux; j'ai joui d'un spectacle moins brillant, mais plus agréable pour moi, celui de quelques milliers d'Indiens, bénissant le nom de le France, qui les protège et les rend heureux.
Le territoire appartenant à notre établissement est extrêmement borné, mais très peuplé et bien cultivé. Au riz et à l'Indigo, se joint la culture des cannes à sucre, dont le produit est entièrement consommé dans le pays. Les fruits et les légumes sont ceux des contrées tropicales, mais ils sont peu variés, et en petite quantité. Outre les buffles, qui sont employés exclusivement aux travaux pénibles, les campagnes de Yanaon nourrissent encore des bœufs de petite taille, dont la chair est très bonne à manger, et de forts moutons couverts de longs poils au lieu de laine.
Une sévère surveillance empêche les exactions des agens inférieurs indiens, chargés de percevoir les droits sur le produit des terres. Celles-ci appartiennent presque en totalité à la France, qui s'est mise au lieu et place des anciens souverains du pays, et reçoit, à ce titre, 60 pour 100 de revenu. Cette charge semblera bien pesante pour les pauvres cultivateurs; cependant, elle est levée facilement dans nos établissemens, et leurs habitans sont tranquilles et heureux sous le joug de notre patrie, tandis que dans les provinces intérieures soumises aux Anglais, les Indiens sont en proie aux exactions et aux vexations les plus criantes de la part des collecteurs d'impôts.
Le voisinage d'une rivière navigable, traversant tout l'Hindoustan, ayant fait de Yanaon le centre d'un grand commerce; on blanchissait et préparait dans les belles plaines qui entourent l'établissement, les toiles en coton écru, fabriquées dans les provinces intérieures. ces toiles étaient conservées dans d'immenses magasins (maintenant vides et abandonnés), jusqu'à l'époque où, chaque année, les vaisseaux des différentes compagnies venaient les enlever pour l'Europe. Cette exportation, encore considérable en 1814, commença dès lors à diminuer; et enfin, elle cessa totalement quand une espèce particulière de métiers, pour fabriquer les toiles de coton communes, fut établie en Angleterre, et permit aux marchands de cette maison d'entrer en concurrence avec ceux de Yanaon.
Alors, la multitude de bras qu'employait cette branche d'industrie restèrent oisifs. dans notre comptoir, et les pays environnans, la détresse du peuple fut portée à un point dont on se ferait difficilement une idée en Europe. La faim et la misère détruisirent un nombre considérable de malheureux Indiens. Ce fut dans ces circonstances que la colonie de Bourbon vint demander des bras libres pour cultiver ses plantations dépourvues d'esclaves. Le besoin et les promesses décidèrent quelques Indiens.
Quatre piastres (un peu plus de 20 francs) étaient le prix de leur travaux par mois; une partie était donnée avant le départ; c'était un trésor pour des Parias, seule caste pouvant offrir des émigrans. Une des grande cause de cette émigration fut la faculté laissée à chaque Indien de faire passer à sa famille, et à des époques rapprochées, une piastre sur le nombre de celles qu'il gagnait par mois. Cette concession, toute faible qu'elle paraîtra, faisait cependant exister dans une sorte d'aisance une foule de malheureux; mais le grand conseil de Bourbon, sous prétexte que le secours envoyé par les Indiens à leur famille faisait sortir le numéraire de la colonie, s'est opposé à ce que cette première condition de l'engagement fut remplie.
Le commerce des toiles n'a pas été la seule cause de l'ancienne prospérité de notre petit établissement. Le Godavery (rivière de Yanaon) a de tout temps apporté les nombreux radeaux de différens bois, et surtout le bois de Tek, que les habitans des provinces de l'intérieur font transporter dans toutes les parties de l'Inde, sur une multitude de navires caboteurs sortis eux-même des chantiers de Yanaon. Ces navires caboteurs, propriété des marchands indigènes, sont confiés à des marins anglais ou français, et transportent dans les établissements sur la côte Est de la presqu'île, le riz fourni par les rives basses et inondées du Godavery, et l'indigo de belle qualité que produisent quelques usines dirigées par les blancs.
Mais le mouvement et les travaux qui donnent un aspect si pittoresque au rivage de Yanaon n'y ont pas toujours existé, et faisaient autrefois partie de la prospérité de Coringui, placée à l'embouchure du Godavery*. Coringui, maintenant misérable, dépeuplée, devant laquelle les bâtimens de moyenne grandeur peuvent à peine arriver par des passes sinueuses et changeantes, fut une cité riche et commerçante; sa rade et son port étaient couverts de nombreux bâtimens sortant des chantiers entourés de magasins magnifiques et richement approvisionnés. Toutes les nations commerçantes de l'Europe avaient leurs factoreries dans cette ville; la compagnie espagnole des Philippines elle-même y faisait réparer ses vaisseaux, qui repartaient chaque année chargés de toile de coton. Tant d'élémens de prospérité firent monter sa population jusqu'à 30.000 habitans. Une seule journée vit anéantir Coringui.
Dans le mois de décembre 1789, au moment où une grande marée atteignait sa plus forte hauteur, et où le vent de nord-est soufflait avec fureur, amoncelait les eaux dans le fond de la baie, les malheureux habitans de Coringui aperçurent avec effroi trois lames monstrueuses venant du large et se succédant à peu de distance. La première, renversant tout sur son passage, se précipita dans la ville et y jeta plusieurs pieds d'eau; la seconde, augmentant les ravages, annonça aux Indiens le sort affreux dont ils étaient menacés. La fuite était impossible: dans un instant ce pays bas et uni fut entièrement inondé; enfin la dernière lame submergea, anéantit tout. La ville disparut, et avec elle, 20.000 de ses habitans.
Il ne reste plus que quelques constructions entourées de vase et de marais fangeux.
Le Magasin pittoresque, 1833, livraison 14.
* Nota de célestin Mira:
Alors, la multitude de bras qu'employait cette branche d'industrie restèrent oisifs. dans notre comptoir, et les pays environnans, la détresse du peuple fut portée à un point dont on se ferait difficilement une idée en Europe. La faim et la misère détruisirent un nombre considérable de malheureux Indiens. Ce fut dans ces circonstances que la colonie de Bourbon vint demander des bras libres pour cultiver ses plantations dépourvues d'esclaves. Le besoin et les promesses décidèrent quelques Indiens.
Quatre piastres (un peu plus de 20 francs) étaient le prix de leur travaux par mois; une partie était donnée avant le départ; c'était un trésor pour des Parias, seule caste pouvant offrir des émigrans. Une des grande cause de cette émigration fut la faculté laissée à chaque Indien de faire passer à sa famille, et à des époques rapprochées, une piastre sur le nombre de celles qu'il gagnait par mois. Cette concession, toute faible qu'elle paraîtra, faisait cependant exister dans une sorte d'aisance une foule de malheureux; mais le grand conseil de Bourbon, sous prétexte que le secours envoyé par les Indiens à leur famille faisait sortir le numéraire de la colonie, s'est opposé à ce que cette première condition de l'engagement fut remplie.
Le commerce des toiles n'a pas été la seule cause de l'ancienne prospérité de notre petit établissement. Le Godavery (rivière de Yanaon) a de tout temps apporté les nombreux radeaux de différens bois, et surtout le bois de Tek, que les habitans des provinces de l'intérieur font transporter dans toutes les parties de l'Inde, sur une multitude de navires caboteurs sortis eux-même des chantiers de Yanaon. Ces navires caboteurs, propriété des marchands indigènes, sont confiés à des marins anglais ou français, et transportent dans les établissements sur la côte Est de la presqu'île, le riz fourni par les rives basses et inondées du Godavery, et l'indigo de belle qualité que produisent quelques usines dirigées par les blancs.
Mais le mouvement et les travaux qui donnent un aspect si pittoresque au rivage de Yanaon n'y ont pas toujours existé, et faisaient autrefois partie de la prospérité de Coringui, placée à l'embouchure du Godavery*. Coringui, maintenant misérable, dépeuplée, devant laquelle les bâtimens de moyenne grandeur peuvent à peine arriver par des passes sinueuses et changeantes, fut une cité riche et commerçante; sa rade et son port étaient couverts de nombreux bâtimens sortant des chantiers entourés de magasins magnifiques et richement approvisionnés. Toutes les nations commerçantes de l'Europe avaient leurs factoreries dans cette ville; la compagnie espagnole des Philippines elle-même y faisait réparer ses vaisseaux, qui repartaient chaque année chargés de toile de coton. Tant d'élémens de prospérité firent monter sa population jusqu'à 30.000 habitans. Une seule journée vit anéantir Coringui.
Dans le mois de décembre 1789, au moment où une grande marée atteignait sa plus forte hauteur, et où le vent de nord-est soufflait avec fureur, amoncelait les eaux dans le fond de la baie, les malheureux habitans de Coringui aperçurent avec effroi trois lames monstrueuses venant du large et se succédant à peu de distance. La première, renversant tout sur son passage, se précipita dans la ville et y jeta plusieurs pieds d'eau; la seconde, augmentant les ravages, annonça aux Indiens le sort affreux dont ils étaient menacés. La fuite était impossible: dans un instant ce pays bas et uni fut entièrement inondé; enfin la dernière lame submergea, anéantit tout. La ville disparut, et avec elle, 20.000 de ses habitans.
Il ne reste plus que quelques constructions entourées de vase et de marais fangeux.
Le Magasin pittoresque, 1833, livraison 14.
* Nota de célestin Mira:
Yanaon. |
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