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vendredi 31 mars 2017

Les zouaves.

Les zouaves.


Les zouaves paraissent décidés à compléter en Orient la réputation qu'ils ont acquise en Afrique. Leur nom est cité au premier rang dans les rapports officiels; les lettres particulières se plaisent à raconter les prouesses de ces soldats, qu'on proclame les premiers du monde. Ils ont déjà leurs Suétones: celui-ci les montre pêchant à la ligne du haut des rochers de Balaklava, en attendant le jour de l'assaut; celui-là répète leurs bons mots, et crayonne leurs mœurs et usages; quelques correspondances anglaises exaltent leur galanterie à l'endroit des dames tartares, et les proclament aussi habile à triompher des volatiles de basse-cour, que dans l'exécution d'une polka échevelée sur le piano de quelque belle Russe fugitive. Tout ceci, il faut bien le reconnaître, justifie glorieusement de doux nom de suaves, sous lequel ces héros à larges culottes aiment à déguiser leur dénomination officielle. C'est l'affaire d'un z. Mais que de choses dans ce changement d'une seule lettre!
Voilà donc les zouaves devenus les lions de la guerre d'Orient.
Ce n'est que justice.
Au milieu de ce concert de voix enthousiastes, je viens demander au lecteur s'il connait l'origine de cette troupe aujourd'hui célèbre, et s'il sait ce que signifie ce nom de zouaves. Comme je le suppose mal ou pas du tout informé sur ces deux points, je vais lui en dire ce que m'en ont appris quelques documents de l'Algérie française.
J'ai sous les yeux un rapport manuscrit et confidentiel, adressé le 14 août 1830, au maréchal Bourmont par le lieutenant général de police attaché à l'expédition d'Alger. Ce rapport fait connaître au général en chef qu'un Arabe nommé Hadj Abrachman Kenni (sans doute Abd-er-Rahman) est venu offrir à l'autorité française, à titre d'auxiliaires, un corps de 2.000 indigènes. Cette troupe se recruterait, exclusivement parmi les zouaves, qu'Abd-er-Rahman donne pour les soldats les plus vaillants et les plus fidèles de la Régence.
L'auteur de la proposition appuyait son projet d'un plan d'organisation complet. En voici l'analyse, et le lecteur sera sans doute surpris que des idées aussi justes et aussi pratiques aient été conçues par un Arabe un mois à peine après la prise d'Alger:
Il y aura 5 officiers pour 100 hommes, et le projet les désigne ainsi: 2 caporaux, 2 sergents, 1 lieutenant, 1 capitaine.
Un officier supérieur, qu'Abd-er-Rahman appelle major, pour 500 hommes.
Un chef pour 1.000 hommes, qualifié de général, mais qui serait mieux nommé colonel.
Ce cadre d'officiers était emprunté aux usages turcs, car chez les Turcs d'Alger, on trouvait les dénominations suivantes: chef-dixchef-cinquante, chef-centchef-cinq-centschef-mille.
Le corps des zouaves servira à pied. Les officiers seuls seront montés.
Chaque homme aura deux habillements d'été et un d'hiver. Pour l'été, deux vestes et deux pantalons de toile blanche, et une paire de souliers. Pour l'hiver, une espèce de manteau de drap, un gilet et une veste de drap rouge avec ornements bleus; un pantalon rouge, une paire de chaussettes de peau et deux paires de souliers. En outre, deux turbans blancs, garnis d'étoffe rouge, et deux chemises.
Les caporaux seront distingués par deux étoiles en soie sur la poitrine. Les sergents auront ces étoiles mélangées d'or et de soie, les lieutenants les porteront en argent, les capitaines en or. Rien de déterminé pour les marques distinctives des officiers supérieurs.
La paye des soldats sera de 20 fr. par mois; caporaux, 30 fr.; sergents, 40 fr.; lieutenants, 50 fr.; capitaines, 70 fr.
Les hommes cantonnés près d'Alger recevront une ration de pain de munition. Les hommes détachés recevront cette ration en biscuit, et auront, de plus, des haricots et de l'huile.
Les zouaves habiteront à Alger une maison formant leur quartier général, et où siégera l'état-major. La troupe sera répartie en quatre sections détachées de 500 hommes chacune, occupant quatre quartiers différents, à certaines distances de la ville d'Alger. De ces quartiers partiront, de deux jours en deux jours, des patrouilles ou détachements chargés de parcourir le pays et d'y maintenir la tranquillité.
Les formes de service et la discipline seront celles de l'armée française.
Chaque homme sera armé d'un fusil, d'une paire de pistolets et d'un sabre algérien (yatagan).
En campagne, chaque groupe de 20 hommes aura droit à une tente algérienne.
Il y aura pour toute la troupe, 2 écrivains, 2 chirurgiens et 2 payeurs. Les officiers de santé recevront par mois 60 fr.; les écrivains, 70; les trésoriers, 80.
Nous arrivons à l'article le plus remarquable de ce plan d'organisation. Notre Arabe dit que les frais d'entretien de ce corps sur les rentes et produits des terres qui servaient aux mêmes usages sous la domination turque. Les juifs, ajoute-t-il, étaient soumis à une cotisation de 40.000 fr. par an, applicable à l'entretien des troupes du dey. On levait, pour le même objet, une contribution, espèce de patente, sur tous les boutiquiers. Abd-er-Rahman ne sait pas au juste à combien s'élevait ce dernier produit; il ne fait qu'en indiquer l'existence et la destination. Ce qui ressort de ses assertions, c'est que les 2.000 zouaves auxiliaires peuvent être entretenus sans qu'il coûte un centime à la caisse de l'armée française.
Un mot maintenant sur les indigènes dont Abd-er-Rahman offrait les services à M. de Bourmont.
Les Zouaouas, dont nous avons fait Zouaves, sont aussi désignés par les noms de Gaouaoua et d'Aït-Gaoua. Ce sont des Kabyles ou Berbères primitifs. Ils forment une confédération qui habite de hautes montagnes et des collines escarpées entre Bougie et Dellis. Ils se sont toujours fait remarquer par leur esprit d'indépendance et leur humeur belliqueuse. Retranchés dans leurs bois épais ou sur leurs rochers inaccessibles, ils bravaient autrefois l'autorité musulmane de Bougie, et ne payaient l'impôt qu'autant qu'ils le voulaient bien. Quoiqu'ils reconnussent la souveraineté du Sultan, ils s'abstenaient de tout acte qui eût impliqué l'obéissance du vaincu. Quelques unes de leurs tribus, les Béni-Khelili entre autres, n'ont jamais payé de contribution au gouvernement turc; ils acquittent seulement la zekhât et l'achour aux zaouïas ou établissement religieux.
Comme tous les Kabyles, les Zouaouas ont toujours été d'intrépides fantassins; seulement l'instinct d'expansion, le besoin d'aventures et la soif des combats, qui les distinguent de tous les autres groupes du Jurjura, les poussent à louer leurs services militaires à qui saura le mieux en tirer profit.
Ces farouches montagnards sont actifs et laborieux. Ils fabriquent de la poudre et se livrent principalement à l'industrie du fer et à l’orfèvrerie. On trouve chez eux d'habiles armuriers, et aussi, chose assez singulière, des faux-monnayeurs d'une merveilleuse adresse. Cette dernière spécialité est particulière à la tribu des Aourir-ou-Zemmour. Nous avons vu en Afrique des monnaies françaises contrefaites par ces industrieux bandits, et nous pouvons affirmer que ces échantillons révélaient une dextérité peu commune et un outillage d'une délicatesse extrême. Les marchés turcs ont toujours été inondés de ces pièces fausses, qui paraissent aussi sur les nôtres.
Quand le Zouaoui ne peut pas se servir du fusil, il s'arme de la pioche, et vient offrir ses bras aux colons européens qui apprécient sa fidélité et ses habitudes laborieuses.
Les mœurs guerrières des Zouaoua sont si connues en Algérie, que leurs compatriotes leur attribuent l'honneur d'être destinés à détruire la puissance française en Afrique. Le coup fatal sera, disent-ils, porté à notre domination près d'un village de la tribu des Beni-Iraten, nommé Adni. Nous avancerons jusque-là, mais nous serons battus, et, de ce jour,  la fortune de la France ira decrescendo jusqu'à extinction définitive.Telle l'opinion universelle dans la grande kabylie.
D'après le remarquable ouvrage de M. le commandant Carette, la confédération des Zouaoua comprend 201 villages et une population de 94.000 âmes. C'est le groupe le plus nombreux de tout le Jurjura.
Tel est le peuple qui s'offrait comme auxiliaire à la France, dès le lendemain de notre conquête. Il était juste que son nom soit devenu populaire parmi nous, comme celui d'un ami de la première heure.
Le maréchal Bourmont fut frappé du projet d'Abd-er-Rahman, et l'adopta en principe. Mais sa situation était si précaire, qu'il n'osa passer à l'exécution. Son successeur, le maréchal Clauzel, hérita de cette tâche. Le 1er octobre 1830, c'est à dire six semaines seulement après la proposition de notre Arabe, un arrêté du gouvernement ordonna la formation de bataillons d'indigènes qui porteraient le nom de zouaves. On en créa d'abord un, dont on confia le commandement à M. Maumet, capitaine d'état-major d'un grand mérite, puis d'un second, qui ne put se compléter, parce que les brillantes promesses qui avaient d'abord attiré les indigènes en foule ne furent point remplies. La désertion éclaircit les rangs du premier bataillon, et le deuxième se recruta qu'à demi. Celui-ci était commandé par le capitaine du génie Duvivier, devenu l'un des généraux les plus illustres de notre armée d'Afrique. Peu s'en fallut, dit M. Pellissier dans ses Annales algériennes, que ce corps ne fût dissout en même temps que créé; ses chefs, réduits à combattre des hostilités suscitées par la jalousie ne triomphèrent que grâce à leur énergique persévérance et à leur intelligente activité.
Le corps des zouaves devait se composer, en très-grande partie d'indigènes; on y pouvait admettre des français et des étrangers. Vers la fin de 1832, les deux bataillons furent fondés en un seul, et une ordonnance du 7 mars 1833 assis la nouvelle création sur des bases régulières. Sur douze compagnies dont se composait le bataillon, il ne devait y avoir que deux compagnies françaises, mais chaque compagnie indigène pouvait admettre que douze soldats français. Les étrangers furent exclus d'une manière absolue. Le corps devait combler ses vides par des engagements volontaires, et les Français sortant des autres régiments y étaient reçus.
L'engagement des indigènes n'était que de trois ans; celui des Français n'offrait aucune dérogation aux conditions réglementaires de notre législation.
Par une nouvelle ordonnance royale, rendue le 25 décembre 1835, les zouaves furent de nouveau divisés en deux bataillons, commandés par un lieutenant-colonel, et composés chacun de quatre compagnies indigènes et deux françaises.
Le costume adopté, dès le principe, était celui que l'on connait, c'est à dire, à peu de chose près, celui qu'avait proposé l'Arabe Abd-er-Rahman. Mais les officiers furent libres de conserver l'uniforme français. Quelques-uns essayèrent du costume turc, mais soit que ce déguisement gênât leurs allures, soit qu'ils éprouvassent quelques remords d'avoir renoncé à l'habit national, ils reprirent leurs uniformes. C'est fâcheux, car la tenue des zouaves est infiniment plus élégante, plus pittoresque, plus jolie en un mot, que la tunique, le pantalon étroit et le shako de notre infanterie.
Peu à peu les indigènes (les Arabes du moins), qui préfèrent le service de la cavalerie, s'éloignèrent des zouaves. Quant aux Kabyles, des motifs politiques, habilement exploitée par Abd-er Kader, les détournèrent de la voie où ils avaient paru vouloir entrer avec un certain empressement. Si bien que le corps des zouaves a fini par être composé presque exclusivement de français, parmi lesquels figurent bon nombre de Parisiens.
Tout le monde connaît les immenses services rendus en Afrique par les zouaves. Dans toutes les expéditions ils ont toujours été placés aux postes les plus périlleux; aucune occasion de se distinguer ne leur a été refusée, et certes ils en ont glorieusement profité. Aussi tous les militaires qui désirent un avancement rapide, conquis à la pointe de leur épée, cherchent-ils à passer dans les zouaves.
Sans compter une foule d'officiers distingués formés à cette brillante école, c'est du corps des zouaves que sont sortis les généraux Duvivier, Lamoricière, Cavaignac, Ladmirault, Canrobert et Bourbaki. De tels noms disent assez quelle place doit tenir dans l'histoire militaire de l'Algérie française, la vaillante troupe qui s'est illustrée avec eux.

                                                                                                             Frédéric Lacroix.

L'Illustration, journal universel, 4 novembre 1854.

Nota de Célestin Mira:



















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