Dans les Coulisses du Café-Concert.
A les voir aux étincellements de la lumière électrique, pimpantes sous leur toilette pailletée et leur maquillage savant, débiter en l'espace de cinq minutes une machinette quelconque, et se retirer ordinairement dans le murmure d'applaudissements qu'accorde volontiers un public bon enfant, d'aucun s'imaginent que voilà une vie commode et agréable pour les artistes du café-concert*.
Nous avons voulu étudier d'un peu près la situation de ces jeunes artistes.
Pour la généralité elle n'est pas brillante, comme vous allez en juger.
Salaires à Paris.
Si, dans le nombre, une étoile de première grandeur, comme Yvette Guilbert*, par exemple, dont nous avons conté récemment les brillants engagements, qui a reçu jusqu'à 3.000 francs par soirée et quelques météores cotés à 200 et 300 francs par soir, la moyenne des chanteuses de profession, en vedette sur les affiches ne dépasse pas 15 francs par cachet.
A charge aux artistes de payer leurs toilettes, aussi cossues que possible et de les renouveler au moins tous les quinze jours, d'indemniser le souffleur, de payer l'orchestration de leurs numéros, enfin d'acquitter les nombreuses amendes qu'un régisseur plus ou moins grincheux leur inflige pour les retards aux répétitions (qui ont lieu chaque jour), pour leurs réponses un peu... vives, pour leurs... prises de bec trop accentuées avec les petits camarades.
A charge aux artistes de payer leurs toilettes, aussi cossues que possible et de les renouveler au moins tous les quinze jours, d'indemniser le souffleur, de payer l'orchestration de leurs numéros, enfin d'acquitter les nombreuses amendes qu'un régisseur plus ou moins grincheux leur inflige pour les retards aux répétitions (qui ont lieu chaque jour), pour leurs réponses un peu... vives, pour leurs... prises de bec trop accentuées avec les petits camarades.
Salaires en Province.
En province, les chanteuses moyennes engagées par des agences qui prélèvent le dix pour cent de leur salaire de saison, reçoivent 8 à 10 francs par soirée, avec obligation de se nourrir et de prendre leur chambre chez le propriétaire de l'établissement qui finit par rattraper d'une main ce qu'il débourse de l'autre.
Quand aux débutantes, elles entrent dans la carrière par le rôle modeste de figurantes dans les revues. Les seules conditions indispensables sont d'être jeune et jolie; on leur fournit le costume et elles reçoivent un cachet de deux francs. Lorsqu'elles sont arrivées à prononcer quelques paroles devant le public, l'émolument s'élève à trois francs, enfin à quatre si elles chantent un couplet en solo.
Le Chien.
La plupart des "artistes" de cafés-concerts n'ont fait aucune étude musicale; s'il s'en trouve qui ont passé par le Conservatoire, le cas est infiniment rare. Il suffit d'avoir du tempérament, la voix à peu près juste, mais surtout du... chien.
Du chien, me direz-vous... Qu'est-ce que cela?
Le chien, c'est un geste personnel, une diction particulière, un coup d’œil suggestif, mais un rien qui amorce le public.
Habituées des magasins d'éditeurs de musique, c'est là que les artistes vont faire choix des morceaux qui conviennent à leur "genre". Elles trouvent chez le négociant un piano et un pianiste; une chambre est réservée à cela. C'est là que le tapeur leur serine la chanson jusqu'à ce qu'elles puissent la chanter de mémoire.
Pour se récupérer de ses frais, l'éditeur prélève un tiers des droits d'auteur, la moitié lorsqu'il s'est rendu propriétaire de l'oeuvre chantée.
En somme, la carrière est aléatoire souvent, mais toujours fatigante et peu lucrative pour les artistes dépourvues d'autres ressources; en outre, elle n'est pas sans danger. La fluxion de poitrine, la pleurésie et la tuberculose quettent sans cesse ces jeunes femmes exposées, épaules nues, aux meurtriers courants d'air.
Inutile d'ajouter qu'à part les étoiles bien peu de ces artistes, intéressantes plus qu'on ne le croit, arrivent à assurer le pain de leurs vieux jours.
Nous en avons connu une cependant, qui pour une vieille romance, tombée à propos dans l'oreille d'un vieillard sentimental, conquit tout simplement la fortune.
Le cas vaut d'être conté:
C'était au Havre, en 1890, il était de mode alors de reprendre dans certains concerts, les vieilles romances de 1830; essai, du reste, qui n'a pas réussi. Un soir, au concert du Chalet, le public remarqua un vieux monsieur très bien qui essuyait son visage trempé de larmes à l'audition d'une romance de nos grand'mères qui commençait ainsi:
Portrait charmant, portrait de mes amis,
Don de l'amour, par l'amour obtenu
Troublé par les regards des spectateurs, le monsieur sortit, mais le lendemain, la chanteuse qui avait dit la romance fut mandée par lettre polie chez M. X..., propriétaire, lequel lui dit:
- Madame, hier en chantant, vous m'avez rappelé la voix d'une personne bien chère que j'ai perdue, il y a longtemps déjà et qui me chantait ces mêmes paroles. Si vous acceptez de venir deux fois par semaine aux heures qu'il vous plaira me chanter le "Portrait de mon Amie", je vous offre cinq cents francs par mois.
L'artiste accepta d'enthousiasme comme bien l'on pense et, durant sept mois, entretint consciencieusement l'émotion du brave homme.
Au bout de ce temps, celui-ci décéda brusquement, non sans avoir laissé par testament, à l'artiste qui l'avait charmé d'un attendrissant souvenir, une somme de deux cent mille francs, représentée par une maison dans la rue de Paris.
Henri Renou.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 27 septembre 1903.
*Nota de Célestin Mira:
Yvette Guilbert par Henri Toulouse-Lautrec. |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire