Le baptême des plats.
Brillat-Savarin et Berchoux, qui ont écrit de la cuisine, sont tenus en piètre estime par ceux qui en ont fait. Que les "maîtres" me soient cléments! ces courtes notes sur le baptême des plats ne sont qu'un hors d'oeuvre, un rien destiné à mettre en appétit les gourmands d'étymologie.
Des revues d'art culinaire discutent des semestres entiers sur l'origine qu'il convient d'attribuer au "pet de nonne" ou au "potage de la Vierge"! Je me bornerai à ne donner ici que des opinions admises, du "réchauffé au bain-marie".
J'ose dire que d'une manière générale, les sauces me semblent de naissance plus noble que les autres menus harnais de bouche.
Ainsi, la béchamel fut inventée par le marquis Louis de Béchameil, maître d'hôtel de Louis XIV*. Nous avons maltraité le nom et gâté la sauce. La béchamel de gargote ressemble à la béchamel du roi gros mangeur comme une servante de cuisine à Mme de Sévigné. Mais je n'ose expliquer ce qu'était la béchameil: Littré a reçut une volée de casseroles pour l'avoir qualifié de sauce roussie.
La sauce Colbert date, elle aussi, du grand siècle. Le cuisinier du ministre voulut perpétuer dans l'art culinaire le souvenir de son glorieux maître, chanté déjà en potage. L'une et l'autre de ces compositions sont aujourd'hui un peu démodées. Le potage Monaco fait meilleure figure sur la carte d'un restaurant à vingt-deux sous!
Des plats historiques.
En mémoire de la ville italienne Beneventum, dont il eut à se louer, le grand Carême légua à la postérité le potage Bénevent. Et un maître-queux surnomma bécassine à la Bernardine certain plat, de la façon des moines, dont il trouva la recette à la bibliothèque du couvent de Saint-Bernard, en 1602.
Le plat de l’Évêque, qui date du temps de François 1er, ne doit pas beaucoup le céder en finesse à la gourmandise des Bernardins. Un prélat suisse, ayant pris parti contre le roi de France, se contentait, au camp, d'un simple pot-au-feu. Il faisait mettre dans un chaudron un quartier de bœuf un peu gras, quelques bécasses, plusieurs pluviers, quelques perdreaux des Alpes. Tout cela cuisait doucement dans un peu d'eau et dans beaucoup de vin blanc. Aussi les archives de la cuisine conservèrent-elles précieusement le nom de ce cuisinier crossé.
Il en est des potages comme des hommes. La plupart d'entre eux, qui portent noms illustrissimes, ne sont que vils roturiers.
Tel le potage Crécy, où règne la carotte... de Crécy (arrondissement de Meaux, Seine-et-Marne). Et tous les fils de lièvre n'ont pas conquis leurs lettres de bravoure parce que certains lapereaux finissent à la sauce Marengo.
Les plats, de quelque nom qu'ils se recommande, ont une hiérarchie assez curieuse à observer. Deux biftecks peuvent être de mondes différents. Le bifsteck Nelson appartient à la cuisine bourgeoise anglaise, tandis que le bifteck Mirabeau ne peut naître que des fourneaux d'un restaurant.
Les "maîtres" orgueilleux.
Tout cuisinier compose son poème et veut gagner la gloire par quelque entremets. Mais la postérité ne goûte pas toutes ces œuvres ambitieuses: elles sont trop.
Certains plats ont la bonne fortune de naître déjà célèbres. Tel le poulet à la Favre, servi, pour la première fois, à un banquet de la Société française d'hygiène, qui fut salué de toasts enthousiastes par Ricord, Anatole de la Forge, Péan et de Lesseps! Bien des jeunes gens, pour aider leurs débuts dans le monde, ne souhaiteraient que parrains de cette qualité.
D'autres compositions culinaires ne valent que par leur étrangeté. Et il est très évident que le triomphe d'un cuisinier qui a piqué son nom sur un filet de caïman ne saurait être durable.
Beaucoup de restaurants ne se donnent pas le souci de créer, et, sous des noms nouveaux, servent des plats antiques. Il y a peu de temps, un Parisien demandait à un garçon du boulevard:
- Je lis sur la carte: rognons Henri IV. Pourquoi Henri IV?
- Parce que ces rognons-brochette, répondit gravement le menton gris, sont dressés sur pomme Pont-Neuf!
Il est sage, aux tables mercenaires, de ne pas choisir les plats grands personnages. Mieux vaut se contenter, le plus souvent, de quelques mets à la pauvre homme.
Léon Roux.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 1er novembre 1903.
* Nota de Célestin Mira:
Louis de Béchameil de Nointel. |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire