Pour se marier autrement que tout le monde.
Au nom de la loi, vous êtes unis!- Que dieu bénisse votre union! - Quand le maire et l'ecclésiastique ont prononcé l'un après l'autre ces phrases rituelles accompagnées d'un petit discours bien senti, on s'en va: le mariage est dûment célébré.
Mais combien banale est cette cérémonie qui se passe, en France, par an, près de 230.000 fois dans le décor habituel; la salle des mariages à la mairie; l'église, le temple, la synagogue; les curieux goguenards faisant la haie pour voir passer des habits noirs, d'autres habits noirs, des robes de soie.
Banalité que tout cela. On a fait mieux en Amérique... et en France aussi. Mais le mariage qui détient le record le plus ancien est certainement celui du célèbre astronome Camille Flammarion. Au lieu de s'en aller en voiture ou en chemin de fer, comme un simple pékin, le savant et sa femme, qui est restée toujours sa dévouée collaboratrice, saluèrent poliment leurs invités et s'enfuirent... en ballon.
Un astronome ne pouvait aller chercher la lune de miel que dans le ciel étoilé.
Cette aventure ajouta encore à la renommée universelle du savant si populaire qui contribua tant et qui contribue encore à vulgariser les sciences astronomiques.
Seuls les Américains regrettèrent de ne pas avoir eu cette idée; ils jurèrent de trouver mieux qu'un voyage en ballon, et nous ne sommes pas certain qu'ils y aient réussi.
Ils eurent, il est vrai, le premier mariage en patins à roulettes, les mariés et leurs invités montés sur quatre roues, roulèrent vers le clergyman également "patiné" qui prononça les phrases sacramentelles.
L'esprit inventif des Yankees voulut se surpasser. Vers 1895, un mariage fut célébré sur l'Hudson en un cortège de bateaux pavoisés.
Sur le premier bateau, le pasteur officiait à l'avant, en face des deux conjoints, debout, tandis que les témoins et les amis ramaient à force de bras. Le deuxième bateau suivait de près: on y avait installé un harmonium et une fanfare qui jouaient alternativement des cantiques, des marches nuptiales et des refrains à la mode. On luncha dans un île et on s'amusa beaucoup. On assure qu'il n'y a pas eu de naufrage au retour.
A Union-Hill, New-Jersey (Etats-Unis), les trois frères Herbert épousèrent le même jour les trois sœurs Smith, au milieu d'une affluence considérable.
On a peut-être vu mieux à Paris, où en 1902, deux jeunes peintres élèves de Cormon, deux frères jumeaux, conduisirent à la Madeleine deux sœurs jumelles.
Un négociant du quartier du Sentier vit un jour entrer dans son bureau quatre de ses meilleurs employés qui venaient lui annoncer leur prochain mariage avec quatre employées de la maison! Le patron, charmé de l'aventure demanda que les quatre noces fussent célébrées ensemble et à ses frais, tout le personnel étant invité. Ce fut l'une des plus gaies noces parisiennes.
Retournons en Amérique.
Commencer ses noces par une douche, c'est peut-être excessif. Tel fut cependant le caprice de la fille d'un ingénieur du Massachusetts. Elle exigea que le mariage fut célébré... dans une cloche à plongeur, son père procédant à cette époque à la construction d'un pont.
Le pasteur dûment rétribué consentit à descendre dans la cloche; il avait conservé son costume noir à redingote et prit un fameux bain de pieds; les mariés et les témoins étaient en grand costume de bain.
Tout se passa correctement. Seul le clergyman attrapa un gros rhume.
Dans l'Etat de Vermont, deux jeunes voulaient se marier.
Les parents s'y opposaient; comment faire? Comme les lois américaines varient d'un Etat à un autre, le couple recourut à un pasteur de l'Etat voisin (New-Hampshire). Mais le jeune homme eût perdu un gros héritage en se mariant en dehors de l'Etat du Vermont. Aussi tourna-t-il la difficulté en priant le pasteur de venir à la borne frontière séparant les deux Etats.
Ainsi fut fait et le mariage fut déclaré parfaitement valable par les Tribunaux.
L'amour rend ingénieux. Voila qui va le démontrer. Certaine jeune fille, orpheline, avait été élevée par son oncle, un gros manufacturier. Quand le futur vint faire sa demande, l'oncle consentit de bon cœur, sans faire la moindre difficulté. Il exigeait seulement que le mariage fût célébré au sommet d'une cheminée de son usine.
Pas moyen de regimber avec ce diable d'homme; les témoins, les mariés, le pasteur, l'oncle et quelques intrépides grimpèrent donc par l'échelle de fer intérieure, jusqu'à 60 mètres de haut. Le cortège parvint sans difficulté sur la spacieuse plateforme supérieure. Les oui furent prononcés, le pasteur écourta son speech puis on descendit sans accroc. Mais la cheminée n'était pas neuve et on y avait mal essuyé la suie, de sorte que nos gens blancs en montant en ressortirent nègres, au milieu des lazzis des autres invités qui, restés en bas, ont baptisé cette escapade du nom de la Noce des Machurés.
Voilà déjà quelques mariages bizarres; mais il y en eut d'autres. On s'est marié en auto, à bicyclette, à la devanture de grands magasins, dans un wagon, sur un champ de courses, et il y a quelques années, en Suisse, au milieu des bois. Qui contractera maintenant un mariage vraiment excentrique? Nous n'avons pour le moment comme perspective que le dirigeable, l'aéroplane ou encore, dans l'immense profondeur des mers, les épousailles en sous-marin.
A qui le tour?
Pour être bizarres, ces mariages célébrés "pas comme tout le monde" n'en sont ni plus ni moins heureux que les autres.
Mais les "mariages excentriques" ont peu de chance de se populariser en France. Malgré notre ironie toujours prête à s'exercer aux dépens des cérémonies pompeuses, malgré nos plaisanteries faciles sur "monsieur le Maire", nous ne considérerions pas comme sérieux un mariage contracté sur une cheminée d'usine ou au fond d'une cloche à plongeur. Et on peut, en effet, concevoir quelque inquiétude pour la destinée d'époux qui apportent au début de leur union une fantaisie aussi exagérément outrancière.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 14 juin 1908.