Restaurant.
Dans le principe, le mot restaurant (qui restaure), s'appliquait uniquement aux bouillons. La reine Marguerite fait dire à un des personnages de ses Nouvelles: "Je couchay en une garderobbe où l'on ne me fit manger que restaurans et les meilleures viandes que je mangeray jamais."
Le "restaurant divin" fut longtemps un des plus appréciés. Il se composait d'un mélange de chair de volaille et de viande de boucherie hachés très-menu, que l'on distillait dans un alambic avec de l'orge mondé, des roses sèches et du raisin de Damas.
Dans le courant du dix-huitième siècle, un médecin nommé Clarens en simplifia la formule. On devait se borner selon lui, à faire cuire une volaille grasse dans un peu d'eau aromatisée. La recette de Clarens eut du succès, et un industriel parisien imagina, vers 1765, d'ouvrir une boutique pour en débiter au public.
Ce premier... bouillon, pour employer l'expression moderne analogue, fut ouvert rue des Poulies, aujourd'hui disparue, mais dont l'emplacement est marquée par la rue du Louvre. D'après le Livre du citoyen, l'industriel avait mis sur son enseigne: Débit de restaurant. D'après Legrand d'Aussy, il aurait parodié avec un peu de légèreté l’Évangile, en adoptant cette devise:
Venite ad me omnes qui stomacho laboratis
et ego vos RESTAURADO.
Les grâces de la dame du comptoir ne furent peut être pas indifférentes à l'achalandage de ce doyen de nos restaurants. Diderot écrivait à mademoiselle Voland, à la date du 19 septembre 1767:
"Mardi, depuis sept heures et demie jusqu'à deux ou trois heures au salon, ensuite dîner chez la belle restauratrice de la rue des Poulies."
Le dîner était forcément un dîner léger, car les restaurateurs, ne pouvant empiéter sur les droits des traiteurs, devaient s'abstenir de servir tout ragoût. En dehors de ses consommés, le restaurateur de la rue des Poulies s'en tenait aux volailles servies avec du gros sel et aux œufs frais, "et tout cela, dit Legrand d'Aussy, était servi proprement sur ces petites tables de marbre connues dans les caffés."
"A son imitation, continue-t-il, s'établirent bientôt d'autres restaurateurs. Il s'en établit dans les wauxhals, au Colisée, dans les lieux d'assemblée et de réjouissance publique. La nouveauté, la mode, et peut être même leur cherté, les accréditèrent, car ce qu'ils fournissaient était plus cher que chez les traiteurs. Mais telle personne qui n'eût point osé aller s'asseoir à une table d'hôte pour y dîner, allait sans honte dîner chez un restaurateur."
Peu à peu cependant, la carte restreinte de ces industriels s'allongea de quelques friandises, ainsi qu'en témoigne ce passage des Tablettes royales de la renommée, édition de 1772:
"Les restaurateurs sont ceux qui ont l'art de faire les véritables consommés dits restaurants ou bouillons de prince, et le droit de vendre toute sorte de crèmes, potages au riz, au vermicel, œufs frais, macaronis, chapons au gros sel, confitures, compotes et autres mets salubres et délicats."
Legrand d'Aussy désigne sous le nom de Boulanger notre premier restaurateur parisien, et fixe à 1765 l'ouverture de son restaurant. Il n'est pas là-dessus tout à fait d'accord avec les Tablettes royales:
"Ces nouveaux établissements qui, en naissant, ont pris le titre de restaurant ou maison de santé, doivent leur institution en cette capitale aux sieurs Roze et Pontaillé en 1766."
Après cela, Boulanger pouvait n'être que le prête-nom des sieurs Roze et Pontaillé, ses bailleurs de fonds.
"Le premier de ces établissements qui ne le cèdent en rien aux plus beaux caffés, poursuivent les Tablettes royales, fut formé rue des Poulies; mais n'étant pas situé dans un emplacement assez avantageux, il fut transféré rue Saint-Honoré, hôtel d'Aligre, où il est toujours continué avec le même succès et sur les mêmes principes de propreté, de décence et d'intégrité, qui doivent faire la base de nos établissements.
"Le prix de chaque objet y est fixé et déterminé, et l'on y sert à toute heure du jour indistinctement. Les dames y sont admises et peuvent faire des repas de commande à prix fixe et modique."
Sur le fronton de ce nouvel établissement, la devise latine avait changé. On y lisait ce distique:
Hic sapide titillant juscula blanda palatum
Hic datur effœtis pectoribusque salus.
c'est à dire:
"Ici de suaves bouillons chatouillent agréablement le palais; ici est le salut des estomacs fatigués."
On eût pu s'attendre à voir de pire latin sortir des cuisines.
P. Parfait.
Le Musée universel, revue illustrée hebdomadaire, premier semestre 1874.
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