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jeudi 15 février 2018

Mariages d'enfants.

Mariages d'enfants.


A Lisbonne, ville maritime où les senteurs des tropiques errent sur les quais, j'ai longtemps voué dans mon enfance un culte mystérieux et tendre à la délicatesse créole dont la miniature représentait pour moi une grand'tante maternelle. Elle était la fille d'un armateur des Antilles et elle s'appela Lolita. Toute jeune, elle épousa un planteur des îles Barbade.
Elle avait treize ans et elle était déjà mariée lorsque le pinceau de l'artiste fixa sur l'ivoire sa grâce éphémère.
J'ai souvent conversé avec cette petite camarade d'autrefois, comme si elle avait pu m'entendre. La patine du temps avait éteint la langueur de ses yeux, mais elle avait conservé sur la bouche cette sérénité de la jeunesse à laquelle les enfants reconnaissent les leurs. Un trait de sa vie me ravissait surtout. On l'avait arrachée du pensionnat pour la conduire à l'autel, et son mari, de quelques années plus vieux, l'intimidait si fort qu'elle pleura de longs jours en appelant Maya, la fidèle négresse, sa nourrice. Quand elle demeurait seule, elle s'enfermait dans sa chambre pour jouer avec ses poupées.
Sous le ciel brûlant des Antilles, ces mariages précoces, jadis très fréquents, sont encore de mode. Il n'est pas rare de rencontrer des époux qui n'ont pas quarante ans à eux deux.

Madame à douze ans!

En Afrique, en Algérie, en Egypte, en Turquie, les filles se marient entre dix et douze ans. Une enfant de quinze ans est une vieille femme.
Même état de chose aux Indes. Là-bas, les enfants sont fiancés dès leur naissance; les parents prévoyants prennent cette précaution pour le cas où les nouveaux-nés mourraient dès le premier âge, parce qu'il est écrit dans leurs livres religieux que les célibataires ne connaîtront pas les joies de la vie future.
Il semble bien, dans nos climats tempérés, qu'on n'ait jamais déployé un tel empressement matrimonial. Même dans la Rome antique, la sagesse du législateur fixa un âge avant lequel il n'était pas permis de se marier. La Gaule romaine reconnut la justesse de ces prescriptions et, du moyen âge jusqu'à nos jours, le commun des mortels demeura soumis à ces lois respectables.
Seules, les grandes familles, par intérêt d'état ou nécessités dynastiques, connurent des mariages d'enfants.
Les noms des petites infantes espagnoles, fiancées aux héritiers des plus grands trônes d'Europe, sont trop présents à la mémoire de tous, pour qu'il soit nécessaire de les rappeler. Ces bambins royaux qu'on conduisait à l'autel aux acclamations du "bon peuple" se voyaient souvent pour la première fois le jour de leurs noces. Et ils ne sympathisaient toujours pas. Les premières grimaces qu'ils échangeaient, préludes des horions futurs, étaient interrompues par les remontrances de leurs gouverneurs et dames de chambre respectifs. La cérémonie terminée, on les séparait pour un temps. Et chaque époux reprenait de son côté, l'étude des abécédaires et du langage des cours.
Citons parmi les plus jeunes ménages d'autrefois, Marguerite de France et Henri II d'Angleterre. Quand ils avaient été fiancés, ces deux enfants comptaient cinq ans à peine. Deux ans plus tard, le roi voulut néanmoins que le pape leur accordât les dispenses nécessaires pour qu'il fut procédé à leur mariage.
Le Saint Pontife ne résista pas à cette requête: elle équivalait à un ordre et les deux enfants furent déclarés mari et femme au cours d'une somptueuse cérémonie.
Ils ne firent d'ailleurs pas ménage par la suite.

Le petit fiancé d'une bossue.

En des temps reculés, un autre mariage précoce fut celui d'Armand-Emmanuel de Vignerot du Plessis, duc de Richelieu. En 1782, alors qu'il n'était encore que comte de Chinon et qu'il venait à peine de terminer ses études, ses parents le déclarèrent mûr pour l'hyménée. Il était âgé de quinze ans tout juste.
A cette époque, les considérations de famille et de fortune réglaient les unions bien plutôt que les sympathies ou l'amour. Un "beau parti" devait l'emporter sur les affaires de coeur. Le comte de Chinon l'apprit à ses dépens.
Sa fiancée, Alexandrine-Rosalie de Rochechouart était bossue. En lui parlant d'elle, on avait simplement omis ce détail. Quand le jeune de Richelieu aperçut pour la première fois celle qui devait être la compagne de sa vie, il tomba évanoui dans les bras de son grand père.
Mlle de Rochechouart avait treize ans. Elle était timide, sans volonté, mais douce et bonne. La plus affreuse infirmité n'avait pas aigri son coeur et elle ne demandait qu'à aimer celui dont on lui avait dit de si aimables choses.
Leur entrevue fut de courte durée... Au sortir de l'église, le jeune époux monta en chaise de poste et commença un grand voyage de noces... avec son précepteur. Il laissait sa femme à Paris, dans sa famille. -Étranges mœurs!
L'adolescent déclara plus tard qu'il avait seulement commencé de respirer un petit peu quand il avait senti "vingt bonnes lieues" entre sa légitime et lui.
Autre mariage d'enfant, celui du prince de Nassau, qui n'avait pas plus de onze ans lorsqu'il épousa le jolie princesse de Montbancy, laquelle annonçait vingt-deux printemps. La princesse avait des lettres et beaucoup de sagesse. Elle forma donc son mari aux règles de l'orthographe et de la bienséance mondaine. Elle l'avait vu nature, elle avait guidé ses premiers pas. Malgré la différences des âges, ils demeurèrent tous deux, leur vie durant, les époux les mieux assortis.
Aussi piquante, fut l'union du marquis de Mailly-Hautefort, noble vieillard de quatre-vingt ans, avec la fille de la vicomtesse de Narbonne, enfant de quatorze ans.
Et le duc de Luynes s'était bien marié à quinze ans avec la veuve du marquis de Charost, dame obèse qui allait tout doucement vers la cinquantaine, en soufflant un peu.

Comme à Gretna-Green.

Voici maintenant les recordmen modernes des mariages d'enfants. Cette véridique aventure qui obtint un succès fou en Amérique, eut pour héros un garçonnet de douze ans, Lewis Jewart et une mignonne fillette du même âge, Bettie Hotchkiss, sa voisine. Tous deux habitaient alors Saint-Petersburgh, petite ville des bords du Missouri.
Les parents de ces bambins occupaient deux cottages dont les jardins étaient seulement séparés par une haie. Vous devinez si Lewis et Bettie avaient vite fait de la passer pour s'amuser ensemble.
Un jour, les deux petits amis s'avisèrent que décidément ils étaient faits l'un pour l'autre. Ils jurèrent donc avec leur sang qu'ils s'épouseraient. Cette mode de serment est piquante chez les écoliers américains qui jouent naturellement aux Apaches comme les petits Français jouent aux soldats. On s'extrait une gouttelette de sang du doigt et l'on signe un traité en règle en y imbibant sa plume.
Ceci fait, ils allèrent solliciter l'autorisation de leurs parents. - Mais ceux-ci leur rire au nez. -Nous passerons donc par la forge de Gretnagreen, dit Lewis.- Et Bettie approuva.
L'un et l'autre avaient entendu parler d'un vénérable pasteur qui habitait Port-Jackson, à quelques lieues de Saint-Petersburgh. Ils s'y rendirent en hâte: mais pour vaincre les résistances possibles de l'ecclésiastique, à cause de leur jeune âge, Lewis s'était affublé d'une fausse barbe, et Bettie avait mis une robe et le chapeau de sa maman.
Ici commence le plus extraordinaire de leur aventure. Le pasteur était vieux et presque aveugle. Et précisément, il attendait ce jour-là deux fiancés qu'il devait unir. Lorsque les deux enfants arrivèrent, il ne s'aperçut pas de leur jeune âge, et prononça le mariage!...
Les deux époux revinrent aussitôt après dans leurs familles. Celles-ci, après avoir contrôlé leur stupéfiant récit, ne s'opposèrent plus à leur volonté. On envoya seulement Lewis à Philadelphie, afin qu'il y apprit le commerce, jusqu'au jour où il aurait de la barbe au menton.

A la cour du Tsar.

Les gracieux rejetons de nos souverains actuels se marient jeunes, en général. Mais ils savent se garder de l'excentricité de ces unions dès le maillot, comme celles que nous avons citées.
Deux des fils de l'empereur Guillaume II ont à peine atteint leur majorité et sont déjà parés
Entrons maintenant à la nursery du tsar. Nous savons qu'il y a là quatre fillettes, Olga, Tatiana, Marie et Anastasie, et que toutes ces demoiselles sont fiancées. Déjà!
L'aînée, la grande duchesse Olga (12 ans) épousera le fils du roi de Serbie, un jeune homme dont on dit grand bien. En attendant, il collectionne des timbres-postes et les coups de cravache que ne lui ménage pas son papa.
La princesse Tatiana(10 ans) sera unie au prince Georges, petit-fils du roi de Grèce. On voudrait voir la Grande Duchesse marie (8 ans) s'asseoir un jour sur le trône de Carmen Sylva: elle épousera à cet effet le prince Charles, héritier du bagage littéraire de la reine et du trône du roi de Roumanie. La Grande Duchesse Anastasie enfin (6 ans), épousera le petit prince Boris, fils aîné de Ferdinand de Bulgarie.
Les fiancés ont respectivement et dans l'ordre: dix-huit, seize, quatorze et seize ans.
Ce petit jeu des combinaisons matrimoniales, que l'on peut considérer comme un des prodiges de la diplomatie à long terme, intéresse prodigieusement Nicolas II. Il appelle ça: ses placements de père de famille...
Heureuse, très heureuse expression!

                                                                                                                  Antoine Royat.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 7 juillet 1907.


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