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dimanche 4 février 2018

Est-il vrai qu'on ouvre nos lettres?

Est-il vrai qu'on ouvre nos lettres?

Lorsque nous jetons une lettre à la poste, nous sommes à peu près convaincus que personne ne va s'occuper de l'ouvrir, de lire son contenu, et de la remettre ensuite en circulation. Mais on peut certifier qu'il n'est pas une lettre adressée à une personne suspecte qui ne soit remise au destinataire avant d'avoir été soigneusement examinée.
Il n'y a d'ailleurs pas que les suspects qui soient l'objet de ces procédés inquisitoriaux. La correspondance des princes de sang royal, pour un motif ou pour un autre, est presque toujours ouverte. Il est curieux de savoir comment ils parviennent parfois à se jouer de la police postale.


Monsieur met à la poste une lettre bien cachetée,
Madame ne la lira peut être pas la première.

Tout dernièrement il fut question de l'ingénieux stratagème qu'employa la princesse Waldemar de Danemark pour voir si les autorités françaises ouvraient les lettres qu'elle envoyait à sa mère, la duchesse de Chartres.

Les violettes de la princesse.

Il convient d'ajouter que la princesse est un des membres les plus importants de la famille des Orléans, prétendants au trône, et que, par conséquent, elle peut être classée dans la catégorie des personnes suspectes.
Elle écrivit donc une lettre à sa mère au bas de laquelle se trouvait ce post-scriptum bien tendrement féminin: "Je mets dans l'enveloppe quelques violettes de Danemark; garde-les, et pense à moi chaque fois que tu les regarderas!" mais délibérément, elle ne mit point les fleurs annoncées, et qu'elle ne fut la surprise de la princesse lorsqu'elle reçut une lettre de sa mère, en réponse à la sienne,  qui la remerciait de l'envoi des fleurs et lui promettait de les garder comme un trésor.
Les doutes étant confirmés, il fut facile à la princesse Waldemar de se rendre compte de ce qui s'était produit. Un des employés du cabinet noir français, chargé de violer la correspondance intéressant l'Etat, après avoir lu la lettre, se disposait à la fermer, lorsque s'étant aperçu qu'elle ne contenait pas les fleurs annoncées dans le post-scriptum, il crut les avoir égarées, et les remplaça par quelques violettes achetées à Paris.

L'espéranto déroute les espions.

La Russie est le pays où l'espionnage postal est le plus développé. Le grand duc Wladimir, comme héritier direct du trône, fut jadis très surveillé. La surveillance a beaucoup diminué depuis que le tzar est père d'un enfant mâle, mais dès que celui-ci tombe malade, toute la correspondance du grand-duc est à nouveau interceptée.
Les employés du cabinet noir russe se donnent beaucoup de mal pour ouvrir les enveloppes cachetées à la cire. Ils arrivent cependant à dissimuler d'une manière parfaite l'endroit où ils ont forcé la cire par un procédé spécial qui se conserve secret.
On sait que les enveloppes sans cachet s'ouvrent en les exposant à un léger courant de vapeur, et qu'elles se referment en les gommant de nouveau. Le grand duc Wladimir qui se doutait de ce qui se passait, cessa de cacheter ses enveloppes à la cire, il se servait seulement d'une gomme spéciale qui, exposée à une température un peu élevée, changeait sa couleur primitive en celle d'un rouge écarlate. Il eut ainsi la preuve certaine que sa correspondance était violée; c'est pourquoi il est rare qu'il écrive une lettre sans y ajouter quelques phrases peu flatteuses à l'égard des pauvres diables qui font ce triste métier d'espion.
En Turquie, il n'est aucun prince dont la correspondance ne soit violée, afin que le sultan soit informé de son contenu. Afin d'éviter cette surveillance, un frère de ce terrible potentat se procura une grammaire et un dictionnaire d'Espéranto, et au bout de quelques mois, il put posséder ce langage aussi parfaitement que ceux avec lesquels il lui convenait d'échanger une correspondance secrète. Les espions du cabinet noir ne parvenaient pas à déchiffrer cet usage. C'est le cas ou jamais de dire qu'ils en perdaient leur latin. Ezzel-Pacha, après de patientes recherches, finit par éclaircir ce mystère.
Quelques semaines après, le frère su sultan mourait subitement; certaines personnes bien avisées ont prétendu que cette mort n'était pas sans une étroite corrélation avec la langue inventée par le docteur Laménoff.

Le truc du cousin du roi.

Les lettres de l'ex-princesse de Saxe, aujourd'hui comtesse Montignoso, furent longtemps sous la surveillance du roi de Saxe, même après son divorce. La princesse, ayant de bonnes raisons de supposer que sa correspondance était ouverte voulut avoir une preuve concluante. Dans une lettre elle fit allusion à un personnage supposé qu'elle appela baron Kreutzinger, dont elle donna l'adresse, en ajoutant que c'était un ami dévoué. Immédiatement la police saxonne se livra à une enquête minutieuse afin de savoir quel genre d'individu était ce baron.
Cela confirma les soupçons de la princesse qui, depuis lors, envoya ses lettres par émissaires spéciaux, jusqu'au delà de la frontière.
Un des espionnages les plus curieux est celui auquel le roi d'Italie soumit la correspondance du duc de Turin pour éviter que celui-ci n'épousât une Américaine de grande beauté qui était venue visiter l'Italie et qui résidait à Florence.
Le roi voulait éviter à tout prix que son cousin fit une mésalliance et, pour parvenir à ses fins, il intercepta toutes les lettres dans lesquelles le comte parlait de ses intentions matrimoniales. Celui-ci, voyant que la dame de ses pensées ne lui répondait pas, lui écrivit une lettre méchante et hautaine qui alla tomber, comme les autres, dans les mains du roi, qui s'empressa d'envoyer à son cousin un télégramme le félicitant d'avoir rompu une liaison, qui pouvait devenir dangereuse.
Lorsque le comte apprit qu'il avait été trompé d'une manière aussi odieuse, il entra dans une vive colère, et alla voir le roi. On ignore quel fut leur entretien, mais on sait bien que l'amoureux sortit du palais du Quirinal après avoir donné sa parole de renoncer à ses romantiques amours.
La dame de ses pensées a quitté Florence dans les quarante-huit heures et regagné Chicago par le premier paquebot en partance du Havre.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 30 juin 1907.

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