Translate

jeudi 8 février 2018

Ceux de qui on parle.

Le prince des poètes Léon Dierx.


Le Languedoc et la Provence auront beau faire: ces deux pépinières de rimeurs ne nous fourniront pas souvent des poètes de la taille de Leconte de Lisle et de Léon Dierx. Distancé le Languedoc! Battue, la Provence! C'est à l'île de la Réunion qu'il faut aller chercher les vrais favoris des Muses. Le soleil de Toulouse fait pousser quelques avortons, mais les enfants d'Apollon naissent aux Tropiques. C'est à décourager d'être du Midi.
Comme Leconte de Lisle, qui était de dix-huit ans plus âgé que lui et qu'il a toujours appelé son maître, Léon Dierx est né à la Réunion (1838). Il vint en France à l'âge de quinze ans et suivit les cours de l'Ecole Centrale. Mais la carrière d'ingénieur cessa bientôt de le séduire. Il retourna à l'île Bourbon, en revint à vingt-quatre ans et se fixa alors définitivement à Paris.
Enrôlé dans la troupe du Parnasse, il collabora à la Revue fantaisiste qui fut fondée par Catulle Mendés et supprimée par un jugement de la 9e chambre correctionnelle. Il écrivait des vers majestueux et sonores qu'il a réunis dans un certain nombre de recueils. Le plus récent date de 1879: il est intitulé Les amants. M. Léon Dierx y montre une âme plus vibrante que dans ses autres ouvrages. L'impassibilité y fait place à la tendresse. Leconte de Lisle a dû désavouer son élève.
M. Léon Dierx a lui-même réuni ses œuvres complètes: elles forment deux volumes. Des éditions successives en ont été publiées; chaque fois de nouvelles poésies y prenaient place, mais le nombre des volumes est resté le même. Deux volumes et quarante-cinq de travail! M. Léon Dierx dédaigne les succès faciles. Il ne recherche point la réclame et se laisse ignorer de la mode. Il n'est point de l'académie, mais il est le Prince des poètes, depuis que Stéphane Malarmé est mort.
Comme à tout homme sans fortune, fût-il poète, il faut un métier. M. Léon Dierx se décida à quarante-et-un ans à en prendre un: il entra au Ministère de l'Instruction publique.




C'était fort sage. Plus jeune, la fastidieuse besogne administrative l'eût lassé, ou bien eût vidé son cerveau. A cet âge, l'esprit assagi, satisfait de son oeuvre, il s'assurait du pain pour sa vieillesse, du feu pour ses douleurs, et une occupation trop peu attachante pour le distraire de ses rêves. Ses supérieurs le traient d'ailleurs avec une certaine considération. Son chef fait partie de la Société des Gens de Lettres, et quelque fierté qu'il tire du prestige de ses fonctions, il entrevoit vaguement que dans la République des lettres, c'est lui qui serait le commis et Léon Dierx le chef.
Le soir venu, le Prince des poètes va s'asseoir au café. Il se fait servir un pernod sucre, promène son regard candide sur les consommateurs, puis il allume sa pipe et déploie la Patrie. Ce moment doit être le meilleur de sa journée, car M. Léon Dierx le prolonge extraordinairement.
Personne n'a eu jusqu'à présent la patience d'attendre qu'il ait fini son absinthe, sa pipe et son journal.
Cela doit pourtant arriver. Après le poète sort à pas lents, fait un frugal repas et regagne le modeste appartement qu'il occupe avenue de Clichy au cinquième étage. Des ouvriers, des fêtards et des sans-travail le croisent, tandis qu'il rentre chez lui. Sa pensée hautaine n'en est point troublée car il vient de faire une remarque qui concentre toute son attention: c'est qu'à la page 82 de son tome second le mot lueur peut être remplacé par le mot flamme.

                                                                                                                               Jean-Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 7 juillet 1907.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire