Les Chinois.
Le nihilisme, engendré par l'absence de la foi, menace l'Europe, mais cette menace n'est pas la seule suspendue sur nos têtes.
L'Europe pourrait, dans un avenir peu éloigné, avoir d'autres ennemis que les religieux.
Un missionnaire qui connait la Chine nous disait que le mépris qu'on fait des peuples de l'extrême Orient est une marque d'ignorance, et que les Chinois peuvent peser tout à coup sur l'Europe civilisée comme autrefois les barbares méprisés par l'empire romain.
La Chine a près de 406 millions d'habitants; le Japon sur ses petites îles a un territoire presque semblable à la France et 33 millions d'habitants.
Ces peuples ont des qualités intellectuelles qui peuvent être développées très-vite, ils sont vigoureux de corps et employés facilement à de rudes travaux, capable d'ailleurs de beaucoup de discipline. L'Empire chinois a une certaine cohésion au milieu de ses difficultés intérieures, et si l'élément militaire, qui est peu considéré, venait a être mis en honneur, des vice-rois ou gouverneurs chefs de province immenses et ayant de 60 et 70 millions de sujets, pourraient bientôt fournir de redoutables armées. Qui sait si la Russie ne disciplinera pas un jour ces nouveaux soldats de l'extrême Orient, après avoir conquis leur sol! nous pourrions donc voir un jour, au lieu des corps d'armée prussiens qui se substituaient les uns aux autres après leurs défaites, des armées d'un million d'hommes chacune se succéder pour nous écraser.
Si le Chinois sortait de son pays où le sol refuse à nourrir une population déjà bien plus compacte que la nôtre dans le même nombre d'hectares, le Chinois se multiplierait rapidement et envahirait de cette façon surtout les pays appauvris par le vice et par les crimes contre Dieu et contre la société, qui sont le propre des races décrépites. On voit cette multiplication du Chinois à l'étranger là où l'on permet aux coolies de s'établir et de fonder des familles.
Deux officiers inconnus l'un à l'autre qui ont voyagé en extrême Orient, lors de nos expéditions militaires, nous avaient signalé des choses analogues. Le soldat chinois, nous disaient-ils dans des conversations séparées, est excellent soldat, et depuis notre expédition de Chine et les leçons prises de nous, une nouvelle expédition là-bas, ne saurait plus du tout se faire comme s'est faite la première.
On avait fourni alors des infrastructures aux impériaux qui combattaient les rebelles avec nous, et l'on avait vite formé parmi eux des officiers et des sous-officiers. Ces corps d'armée sans armes, avec de seules échelles, ont accompli le plus rude de notre campagne, ils ont pris les forts et montré les qualités de vrais soldats.
Faisons une réflexion.
Si jamais le vieil empire des fils du soleil païen et barbare dans sa civilisation s'ébranlait pour tomber sur l'Europe, on ouvrirait sans doute les yeux et l'on reconnaîtrait alors, mais trop tard, quel crime d'indifférence commet l'Europe chrétienne depuis plusieurs siècles en ne portant point, comme elle le devrait, les lumières de l'Evangile à ces malheureux qui pourrissent dans les ténèbres de l'idolâtrie.
Il y a des missionnaires, c'est vrai; parfois les navires de France les ont portés gratuitement et même, çà et là, les ont protégés, comme on protège aussi les marchands, ou un peu moins. Il y a loin de là à une action sociale, où le pays se serait saigné pour envoyer des armées d'apôtres, de moines, de prêtres séculiers, comme le voulait Colomb pour l'Amérique. Sous Louis XIV, cet effort n'eût pas demandé autant d'astuce que les affaires de la régale et des commandes qui ont commencé la destruction des ordres religieux que la Révolution a consommée. M. Ferry achève heureusement de les ressusciter en voulant les sceller au tombeau.
Cela n'eût certes pas coûté autant de millions et de sang que les diverses expéditions ruineuses, où l'on a entassé l'argent par 50, 60, 100 millions, tandis qu'un impôt volontaire d'environ sept millions doit suffire en ce moment à l'entretien des missionnaires de tout l'univers entier.
A l'intérieur, la France, sur un budget de quatre milliards, a refusé aux prêtres 100 fr., aux évêques 5 000 fr.; la vraie politique de la France catholique eût été de jeter dans l'extrême Orient au moins cent millions par an et mille missionnaires. Notre budget alors n'eût pas pris les accroissements qu'on sait; car l'argent donné à Dieu rapporte dès ce monde, et aujourd'hui, nous aurions un immense commerce, d'immenses revenus donnés par surcroit et des bénédictions qu'on n'estime pas au poids de l'or.
Que l'on dise bien son Credo, et ce que nous affirmons ici ne semblerait pas extraordinaire, et l'on comprendrait que l'Europe, pour n'avoir pas voulu envahir par la croix, pourrait être un jour envahie de la façon la plus inattendue par le fer et le feu.
Le Pèlerin, 3 avril 1880.
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