Ceux dont on parle.
M. Emile Bergerat
Si la longueur de ses portraits devait être proportionné à la fécondité du modèle, ce ne serait pas trop, pour tracer celui de M. Bergerat, d'un numéro complet de Mon Dimanche. Mais peut-être m'arrêterais-je court, s'il ne fallait plutôt mesurer au génie. Du génie, M. Bergerat en a demandé à tous les échos, même aux "échos de la semaine"; il en a demandé aux colonnes de tous les grands quotidiens*, ainsi qu'aux colonne Morris, on l'a vu entasser des Pélions de romans sur des Ossas de chroniques*, et, escaladant ce tas, grimper jusqu'au Parnasse: mais il a fait sur le Parnasse la figure de Tartarin dans les Alpes. Il vit de près la Muse et s'en revint tout seul. Tout seul! non pas. Le grand et bon Théophile Gautier, ému de son infortune, lui donna sa fille en mariage.
Toute sa vie, Bergerat a courageusement lutté et ses efforts sont d'un salutaire exemple. A dix-huit ans, il avait un acte joué par la Comédie-Française. Un pareil début devait lui faciliter singulièrement le succès: il en eu un grand... dans le journalisme. Sa copie s'enleva avec une facilité inouïe: les abonnés du Figaro s'abonnèrent au Voltaire pour se délecter de la verve de l'Homme masqué. Les abonnés du Voltaire s'abonnèrent au Figaro pour se désopiler avec Caliban.
Entretemps, Bergerat courtisait d'autres muses: il composa de la musique; il fit de la peinture, à l'exemple de sa femme, et la mit en vente (la peinture). Après avoir ainsi épuisé toutes ses ressources, il s'aperçut que ni les littérateurs, malgré le mot tripatouiller, dont il les avait enrichis, ni les peintres, malgré ses aquarelles, ni les auteurs dramatiques, ni les poètes, ne le voulaient compter parmi leurs pairs. Chroniqueur il était, chroniqueur il devait rester, c'est à dire un zéro mondain et primesautier.
M. Bergerat se résigna et pour montrer qu'il entendait désormais se ranger et rester à sa place, il accepta, on dit même qu'il sollicita, la croix de la Légion d'honneur, cette croix qu'il avait accablée jadis de tant de sarcasmes, disant que " la demander au Gouvernement, c'était une politesse à lui faire". M. Bergerat est si poli qu'il est maintenant officier dans cet ordre. Mais la plus grande preuve d'humilité qu'il ait donnée, celle qui dut lui coûter le plus d'effort et qui a par là même la plus haute signification, c'est sa candidature à l'Académie française qu'il a posé en 1896 et qu'il renouvelle cette année. Cette candidature, à l'en croire, est une manifestation en l'honneur de la littérature, à laquelle il donné 300 volumes et qui est à peine représentée à l'Académie. Eh bien, je dis que ce geste est crâne. Demander à faire partie d'une assemblée qu'on a maintes fois taxée d'incompétence et faire cette démarche dans le seul intérêt de la littérature, quand on a si peu d'obligations, c'est un bel acte d'héroïsme... ou de modestie.
Jean-Louis.
Mon dimanche, revue populaire illustrée, 13 août 1905.
Nota de célestin Mira:
* Publicité pour Bergerat:
* Entasser Pélion sur Ossa: dans la mythologie grecque, les géants prétendaient vouloir entasse le mont Pélion sur le mont Ossa afin de pouvoir atteindre les cieux. Entasser Pélion sur Ossa signifie vouloir entreprendre une action impossible.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire