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mardi 26 septembre 2023

Midinettes de Paris.

Le déjeuner. 



Aux Tuileries.
Entre les thyrses* et les feuilles des marronniers, le ciel semble un dais de vieille soie, s'élargit profond, limpide, strié comme des floches de duvet. Des gouttes d'or fluides parsèment les allées.
Dans l'air léger, des pépiements aigus, des roucoulis, des rires puérils, des voix fraîches se mêlent à la sourde et grave rumeur de la Ville, aux hoquets stridents des sirènes, aux vibrations des cloches qui annoncent le passage des remorqueurs et des bateaux-mouches.
Les midinettes*, éparpillées sur chaque banc, achevèrent de déjeuner, les cheveux au vent, le regard en éveil, tout heureuse de ne plus être en cage, de paresser un instant, d'avoir pour salle à manger, au lieu de l'arrière-boutique étroite, mal éclairée, empuantie de quelque crémerie, ce vaste et beau jardin en fleurs.
Devant le parterre à la française que domine la statue d'Atalante*, trois d'entre elles, des apprenties de quinze ans, de ces gosselines que l'on surnomme, à l'atelier, des lapins de couloir, mettent les bouchées doubles, en une hâte d'aller courir et jouer.
Elles se ressemblent. Elles ont l'air de poupées qui seraient sorties de la même fabrique. Elles sont coiffées de la même manière avec une frange sur le front et une natte nouée d'un ruban dans le dos. Leurs joues et leurs lèvres sont d'une roseur de fruit. Chacune a entre les pieds une bouteille et un corbillon d'osier verni.
La plus petite, une châtaine déjà presque jolie, amusée, s'oubliant soi-même, de la main gauche tend un morceau de sucre à un de ces pauvres chiens crottés, faméliques, qui n'ont ni race, ni gite, ni maître, qui rodent à l'aventure par les rues et les quais, et de l'autre émiette les restes de son pain à d'effrontés moineaux. Et les prunelles tendres, humides, veloutées du chien, les mirettes bougeuses, brillantes, telles que des têtes d'épingle noire des friquets, les yeux clairs, lumineux, hardis de cette gamine de faubourg ont quelque chose de fraternel...

                                                                                                   René de Maizeroy.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 27 août 1905.

Nota de célestin Mira:

* Thyrse:

Dans la mythologie gréco-romaine, le thyrse est un bâton recouvert de lierre et de vigne accompagnant Dionysos ou Bacchus.


En botanique, le thyrse est une inflorescence pyramidale en grappe, comme le raisin de la vigne, la fleur du lilas ou celle du marronnier.


Thyrse du marronnier.

* Midinette: le mot est la contraction de midi et de dinette. Les employées de la mode faisait dinette à midi, pendant leur pose déjeuner.



* Statue d'Atalante aux Tuileries:





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