Notes d'un voleur.
C'est une vérité universellement reconnue aujourd'hui que par le vol, bien mieux que pas d'honnêtes procédés, on arrive à la fortune.. Un brave homme d'ex-voleur, au déclin d'une vie passée tout entière à dépouiller autrui par des moyens divers et toujours ingénieux, a pu se retirer dans une élégante villa de la banlieue de Paris où il jouit en paix de son... labeur spécial. Qui sait si une vieillesse pareillement heureuse lui eût été réservée après une vie consacrée au travail honnête et à la vertu? Quoi qu'il en soit, ce "retraité" a bien voulu se rappeler pour les lecteurs de Mon dimanche quelques-uns des plus curieux secrets de son ancienne profession.
Je reçois fréquemment, en ma retraite de Seine-et-Oise, la visite de mes anciens fournisseurs. Ces braves gens ne veulent pas croire que je puisse renoncer au plaisir de dépouiller mon prochain, afin de ne goûter que les joies "popotes" du rentier. Et ils me montrent leurs dernières créations pour pickpockets, dans l'espoir de me faire reprendre du service. Mais c'est fini! La manille, le billard m'ont alourdi la main. Et un artiste tel que je le fus jadis ne saurait se montrer en déchéance.
Curieux commerçants, ces fournisseurs de pickpockets! Comme ils ne possèdent pas boutique sur rue, il leur faut toujours aller en quête de la clientèle. Ce sont d'anciennes victimes du travail, manchots, béquillards, qui, ne pouvant plus opérer eux-mêmes, préparent pour leurs frères tous les instruments propres à favoriser le vol. Quand il leur arrive d'inventer un engin pratique et surtout inédit, les commandes affluent dans leur mansarde. Mais s'ils ne confectionnent que l'article communément employé, la vente de leurs produits est bien difficile. Pourtant, à l'encontre des autres petits industriels, ils ne se plaignent jamais aux pouvoirs publics.
La poche à Azor.
Il y a peu, ma bonne introduisait dans mon cabinet sir Mackson, qui eut l'intelligence, il y a vingt ans, de servir d'intermédiaire entre les grands pickpockets et les petits fabricants d'outils ingénieux. Je connaissais depuis longtemps ce courtier anglais, probe commerçant, père de famille accompli, qui ne livra jamais un des nôtres aux polices continentales.
En entrant dans la pièce, M. Mackson avait déposé sur une chaise une valise, sa canne et son parapluie.
Après les compliments d'usage et l'obligatoire couplet sur les tristes affaires du temps présent, M. Mackson me dit avec une gravité toute commerciale:
- Je viens vous soumettre, cher monsieur, nos "nouveautés". Je sais que vous n'achèterez pas, mais je serais heureux d'avoir sur la marchandise l'opinion d'un homme tel que vous!
Je m'incline, heureux du compliment, car Mackson se connait en filou de mérite.
- Voici, dit l'Anglais, après avoir débouclé les courroies de sa valise, ce que nos tailleurs ont crée de mieux pour la saison. Vous savez que ces messieurs ne firent jamais de trouvailles bien remarquables. Exception faite pour leur "complet de cambrioleur" muni de petites poches doublées de cuir juste assez amples pour servir d'étui à chacun des outils de la profession, ils ne nous avaient rien donné donné de pratique. Pour une fois, ils ont inventé une merveille! Voici, dis-je, la blouse du voleur de chien!
Et il jeta sur la table un vêtement grossier, en toile grise.
La blouse ressemblait à toutes les blouses, une sorte de housse tout unie, munie de deux fentes sur les côtés.
Mackson la retourna de façon à me montrer l'envers. Sur le devant du vêtement était aménagé une sorte de manchon en maroquin, flanqué à droite et à gauche de deux poches profondes, étroites.
Le voleur de chien, voulut bien m'expliquer le courtier, flâne dans un quartier élégant à la recherche de petites bêtes qui valent d'autant plus cher qu'elles sont de dimensions plus minuscules. Il s'empare adroitement d'un terrier et le cache sous sa blouse de la manière suivante: il passe le corps du chien à travers le manchon, glisse les pattes de devant dans la poche gauche, introduit les pattes de derrière dans la poche droite.
Un pauvre toutou dans le manchon spécial cousu sous la blouse des voleurs de chiens. |
Tout le poids du toutou est supporté par les membres captifs des gaines étroites. Le manchon ne sert qu'à éviter la chute d'Azor. Pour obtenir le silence de la bête, le voleur glisse sa main dans la fente de la blouse et serre le museau de son prisonnier. Et il peut continuer sa promenade, fumer sa pipe, sa cigarette. Son bras droit demeure inactif. Comment le soupçonner du vol?
- Très ingénieux, Mackson, très ingénieux.
- Très productif aussi! Et la blouse ne coûte que quarante francs.
Un coffre fort de comédie.
- Je vais vous montrer maintenant, continua le courtier, la reproduction d'un nouvel instrument fort à la mode chez les cambrioleurs londoniens.
Et il me tendit une photographie. Je fus étonné.
- Mais c'est un coffre fort!
- Oui! un coffre fort ou plutôt une apparence de coffre fort! Vous savez que les exploits des nôtres ont mis en garde tous les banquiers du continent. Ils déposent leurs valeurs dans une armoire d'acier et confient la surveillance du meuble à des veilleurs qui font leur ronde toutes les deux heures. Comment s'introduire dans une maison, crocheter cinq ou six portes et forcer une forteresse métallique en cent vingt minutes. Le problème devenait difficile à résoudre. Mais nos ingénieurs sont venus à l'aide des pickpockets. Ce que vous voyez est un coffre fort en feuille de zinc peintes et bronzées comme il convient. Quand nos gens pénètrent dans le sanctuaire d'une banque, ils déménagent le bon meuble et le remplacent par une reproduction. A chaque visite, le veilleur trouve le coffre fort en place, ne s'inquiète pas. Pendant ce temps les chevaliers de la nuit travaillent à loisir dans quelque pièce écartée.
- J'aime moins cela, Mackson. C'est un outil dangereux, difficile à placer.
- Sans doute, mais on ne l'emploie que dans les grandes occasions... Passons à autre chose... Que dites-vous de ma canne?
Et il me tendit un bâton en épine d'apparence tout à fait honnête.
- Un peu lourde! Elle est truquée n'est-ce pas?
- Sans doute!
Puis, pressant un ressort, il fit jaillir de son bâton un mince télescope métallique long de six à sept pieds.
- C'est pour "lorgner", me dit-il, les pièces de monnaie que les petits boutiquiers abandonnent un instant sur le comptoir. Un peu de glu au bout de l'instrument. Et le tour est joué.
Sac de voyage à ventouse.
- Je ne vous ferai pas l'éloge de mon parapluie, vous le connaissez déjà. C'est un parapluie griffe fort employé dans les grands magasins pour enlever les menus objets. Un ressort caché dans la poignée permet d'ouvrir et de fermer un petit crochet fixé à la pointe de ce débonnaire article de promenade. Mais voici le triomphe de cette fabrication anglaise.
Mackson me tendit sa valise.
- ça!
- Oui, ça, comme vous dites, un peu dédaigneusement... Un sac de voyage creux dont le fond est supporté par tout un système de ressorts ingénieux. Je le pose, en wagon, dans une salle d'attente, à l'hôtel, sur tout objet qui tente ma convoitise. Aussitôt, le fond se déplace, s'élève et des griffes saisissent le bien d'autrui pour le confier au ventre de l'appareil. Les pickpockets prisent beaucoup cet instrument qui leur permet de cheminer impunément aux côtés de leur victime.
- Mon cher Mackson, je ne disposais pas d'outils si perfectionnés, autrefois. Je le regrette. On peut faire de grandes choses aujourd'hui... Mais je ne veux plus travailler! Pourtant, je vous achèterai l'un de vos bibelots.
- Ah! ah! fit l'Anglais joyeusement, je vais retrouver l'un de mes bons clients!
- Détrompez-vous!... Je désire posséder une canne pour... chiper des morceaux de sucre sous le nez de la dame du comptoir qui gouverne mon café de petits rentiers.
- On commence de la sorte! sourit Mackson.
Le Grinche.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 2 juillet 1905.
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