Celles dont on parle.
A l'en croire, Mlle Emma Calvé est une déracinée: elle envie les paysannes qui furent ses camarades là-bas, dans la campagne du Rouergue. Son pays est celui qu'elle aime le plus au monde, et la vie des champs eût fait son bonheur. Elle vous dit très sérieusement qu'elle ira avec joie finir ses jours parmi les paysans.
Vous vous étonnez d'une telle simplicité, mais, si la conversation se prolonge, vous apprenez que Mlle Calvé s'est acheté un château dans son pays, à Cabrières, et vous pensez immédiatement au hameau de Marie-Antoinette, une autre paysanne manquée. Au surplus, une question indiscrète vous vient aux lèvres: cette existence tant souhaitée, pourquoi ne pas l'adopter tout de suite, à présent que Mlle Calvé possède assez de rentes pour dépenser à elle seule autant que trois cents fermiers ruthénois?
Cette question qui vous brûle les lèvres, ne la posez pas, car tout à l'heure, la belle cantatrice vous avouera qu'elle ne peut pas se passer du théâtre. Ainsi, quand elle se retirera dans sa chère campagne, c'est qu'il lui sera impossible de faire autrement. Combien de gens aiment les champs de cette façon?
Il faudrait, avouons-le, une âme bien romaine pour mépriser les satisfactions que les planches ont données à Mlle Calvé. La fortune qu'elle y a gagné est considérable. Elle a un intendant pour l'administrer et dit nonchalamment qu'elle possède quelque part, en Ecosse et ailleurs, des propriétés où elle ne saurait pas aller. Mais les profits qu'elle recueille seule et sans intermédiaires, ce sont les acclamations de ses auditeurs, et jamais elles ne lui sont ménagées. Voilà certainement ce qui lui manquerait le plus à Cabrières. Elle a chanté souvent dans son pays; mais le public y est des plus calmes. Les paysans n'applaudissent pas Mlle Calvé. L'un d'eux pourtant lui témoigna un jour des marques d'intérêt: "Pauvre petite! comme tu cries! ça doit te faire mal!"
Partout ailleurs que dans son village, Mlle Calvé n'a jamais manqué d'admirateurs et d'adorateurs. Et pourtant... , le croirait-on?, elle a eu des chagrins d'amour. Cette jolie femme a trouvé des "cruels". Un mariage inattendu brisa son cœur. Dans sa détresse, elle en confia les morceaux à M. Jules Bois*; les fiançailles de l'écrivain et de l'artiste occupèrent pendant quelque temps la presse, mais le projet de mariage s'est évanoui. Est-ce M. Jules Bois qui a fait le dégoûté? Est-ce Mlle Calvé qui décidemment renonce à toute consolation? Il ne m'appartient pas de soulever le voile qui cache ces choses intimes. Je tiens seulement à dire que Mlle Calvé a d'autres mérites que d'être riche et belle: elle a un grand talent et beaucoup d'intelligence, et sa main n'est pas de celles qu'on refuse, à moins d'empêchement grave... Dites, mademoiselle, si M. Bois ne fait pas l'affaire, que ne me demandez-vous en mariage?
Jean-Louis.
Mon dimanche, revue populaire illustrée, 23 juillet 1905.
Nota de Célestin Mira:
* Emma Calvé:
* Jules Bois:
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