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dimanche 26 octobre 2025

 Voleurs et assassins.



L'été, pour le commun des mortels, est généralement l'époque du travail ralenti, du repos plus fréquent, de la vie moins fiévreuse. Pour les commerçants c'est la "morte-saison". Mais au contraire, pour MM. les cambrioleurs et voleur "modern-style", l'été est la saison du gros travail, du "coup de feu" en vue duquel on fait monter tout le monde sur le pont. Infatigables gredins, ils "travaillent" en été et ne se reposent pas l'hiver, hélas!







Sans doute, les apaches de la Villette ou de Montparnasse, les perceurs de murailles, les chevalier qui font "le coup du père François" ou qui jouent du couteau sur les boulevards extérieurs, tous les artistes de l'os de mouton, du surin, de la pince-monseigneur, etc., travaillent d'un bout à l'autre de l'année. Il faut bien vivre et, par conséquent, "descendre des pantes"*.
Mais, quand vient l'été, quand le soleil de juillet et d'août chasse des villes vers la mer, les bois et la montagne, des milliers de gens qui s'entassent dans les chemins de fer, sur les bateaux, dans les hôtels cosmopolites, c'est la belle saison aussi, celle des grandes opérations pour certaines catégories de voleurs et d'assassins.
Nous ne saurions les énumérer toutes, mais en voici quelques-unes.

Les écumeurs de plage.

Il ne s'agit pas des pickpockets qui, sur les plages comme ailleurs, glissent adroitement la main dans vos poches et vous subtilisent montre et portefeuille. Ce sont là des opérations vulgaires. Il s'agit des spécialistes qui "font" les baigneurs et qui travaillent dans le bain même. Vous ne sauriez croire combien ces messieurs sont intéressants, tant ils dépensent pour réussir, d'audace et de finesse!
Vous êtes, je suppose, un banquier opulent, un bourgeois cossu et sans méfiance ou bien une jolie femme qui aime partout à montrer ses bijoux. C'est l'heure du bain; vous entrez dans votre cabine. En même temps, deux gentilhommes s'enferment dans les cabines qui touchent la vôtre, à droite et à gauche. L'un est prêt tout de suite. Il a déjà fait maint plongeon et s'est pas mal ébroué, quand vous mettez le pied dans l'eau*. L'autre va moins vite, il attend que vous soyez en train de vous ébattre dans les vagues, et, discrètement, il visite votre cabine, rafle tout ce que vous avez laissé qui ait quelque valeur. Le butin disparaît dans les profondeurs d'une ceinture qui entoure les reins chevaleresques du gentilhomme. Si vous le suiviez des yeux, sans qu'il pût s'en apercevoir, vous le verriez s'approcher de son compagnon et lui passer la ceinture. Cela fait, il s'attache à vous, règle son bain sur le vôtre, sort de l'eau avec vous. Tout à l'heure, il sortira aussi de sa cabine, une fois rhabillé, en même temps que vous sortirez de la vôtre. Si vous criez au voleur et que vous osiez le soupçonner, on peut l'arrêter et le fouiller, ce sera peine perdue, et vous lui devrez des excuses. Comment vous en prendre, d'autre part, au complice qui était dans l'eau avant vous et qui nage toujours? ... Enfin, vous pourriez avoir cette insolente idée... On peut le fouiller aussi... Il a laissé couler la ceinture, qui est allée au fond... Un petit flotteur indique à quel endroit... Quand il n'y aura plus de danger, il ira la reprendre.


Rien dans les mains, rien dans les poches: votre voleur est innocent.




A l'hôtel.

Ces mêmes opérateurs, ou d'autres, sont peut-être logés au même hôtel que vous. Peut-être l'un d'eux occupe-t-il une chambre contiguë à la vôtre. Peut-être, par un pur hasard, a-t-il la tête de votre lit de l'autre côté de la cloison.
Si oui, votre voisin fera dans cette cloison deux ou trois petits trous presque imperceptibles. Par ces petits trous,  avec le plus exquis des vaporisateurs, il vous enverra une dose convenable de chloroforme. Puis, vers trois heures du matin, il s'introduira chez vous et fouillera tranquillement tiroirs, malles et valises. Quand vous vous réveillerez, il sera loin.


Durant votre sommeil, le redoutable rat d'hôtel vous dévalise:
malheur à vous si vous vous réveillez.



Si vôtre voleur n'est pas logé à côté de vous et s'il ne peut vous préparez, à travers sa cloison, à recevoir sa visite, il ne renoncera pas au bénéfice espéré. Il procédera autrement, voila tout. Il forcera votre porte avec le moins de bruit possible. Il s'avancera vers votre lit. Si vous ne dormez pas, malheur à vous! Il est armé d'une peau d'anguille, pleine de sable et de menu plomb, dont un seul coup assomme les plus solides. Il a aussi un délicat poignard qui achève, sans qu'il y ait à redouter un cri, l'œuvre de la peau d'anguille. La besogne, en ce cas, est plus compliquée, mais le profit est le même.

Au casino.

Autour des tables de jeu des casinos et des cercles, le "grec"* opère toujours.
Mais quand on peut aller de Nice à Ostende, à Aix-les-Bains, à Vichy, à Luchon, à Biarritz, des Alpes aux Pyrénées, quand on peut courir cent casinos en quinze jours, c'est le moment des illustres exploits.
Un beau matin, on voir débarquer au premier hôtel de la ville un grand seigneur, avec une innombrable suite: une femme dont l'élégance est sans rivale; des domestiques merveilleusement stylés.
Le grand seigneur devient bientôt le plus habitué du casino, il ne quitte pas la table au tapis vert. 


Un grand seigneur fait un beau jour une apparition au casino.
Méfiez-vous: ce grand seigneur est un rastaquouère.



Il perd un peu; il paie. Il gagne, il gagne beaucoup; il empoche. Certains soirs, il perd une somme considérable. Il donne en paiement un chèque sur une banque de Londres ou de Bruxelles.
Le chèque est faux; le grand seigneur n'a jamais eu aucun compte courant, dans aucune banque. Mais quand on apprend la chose à Vichy, le grand seigneur a eu le temps de faire de nouvelles dupes à Spa ou à Carlsbad.

En chemin de fer.

Les "bonneteurs" également sont mieux à même de faire des "affaires" à cette époque de villégiatures. Nous parlons de l'aristocratie des "bonneteurs", de ceux qui ne s'adonnent qu'aux entreprises importantes.
Les voilà cinq, c'est le chiffre d'une équipe. Ils avisent une "poire" sur le quai de la gare Saint-Lazare, par exemple. Il s'arrangent pour qu'elle monte dans un compartiment inoccupé, où ils prennent place avec elle. Personne n'y montera ensuite, ils ne le permettront pas. Ils n'ont pas l'air de se connaître. La conversation s'engage, très courtoise, et bientôt, la partie. On vide la "poire" gentiment.
Celui qui a joué avec elle et qui l'a vidée, descend avant elle, peu importe à quelle station. Si la "poire" prend mal son aventure et veut protester, les autres sont là. Elle ne peut approcher de la portière; elle ne peut toucher au signal d'alarme. Il faut qu'elle se tienne bien sage, jusqu'au prochain tunnel, où elle passera par la portière, mais ne sera plus à craindre.
Mais nous serions fort inexcusables si nous ne révélions à nos lecteurs et à la police, pour qu'il en tirent respectivement profit, la dernière trouvaille, la "nouveauté du jour" de MM. les cambrioleurs.

Gare aux coups de revolver.

Pendant que des cambrioleurs dévalisent une boutique, un complice fait le guet sur le trottoir. Soudain les agents, en tenue ou en bourgeois, apparaissent au tournant d'une rue, ils se dirigent droit vers la boutique pillée. Le guetteur va-t-il pousser quelque cri d'alarme?
Point, c'est "vieux jeu". Il laisse passer la police. Soudains, dans le dos des agents, retentissent des coups de revolver. Les inspecteurs se retournent. Ils aperçoivent un individu qui se sauve à toutes jambes. Ils se jettent à ses trousses. La poursuite est longue, difficile: le fuyard s'égare par le dédale des ruelles. Souvent, il s'échappe. Et si on parvient à le rattraper, de quoi le peut-on accuser? De tapage nocturne, de port d'arme prohibée? Ce n'est rien. Mais durant la poursuite, ses complices ont pu à loisir achever leur cambriolage et en emporter le produit sans être inquiétés.

Mon Dimanche, Revue populaire illustrée, 3 septembre 1905.


* Nota de Célestin Mira:

* Les apaches à Paris:









Les armes des apaches.



L'os de mouton.
Préfecture de police, 1881.


Pante: Ce mot vient de Pantin et désigne un individu faible que l'on peut détrousser.



* Les bains de mer vers 1900:





Les bains de jambes.





* Grec: le "grec" est en argot un tricheur, joueur professionnel escroc, un filou des cafés.

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