Un cas de pénétration des corps solides.
La catastrophe survenue le 26 octobre dernier à la gare de West-Hampstead devait causer dans la région londonienne une émotion d'autant plus durable que la ligne où elle se produisit dépend du Metropolitan Railway qui transporte chaque jour une multitude de voyageurs.
Comme aucun accident mortel ne s'était produit depuis la substitution de la traction électrique à la traction à vapeur, le public avait fini par croire à la parfaite sécurité du réseau. La désillusion fut cruelle. La mort instantanée de trois voyageurs et les blessures graves infligées à douze autres passagers transformèrent l'accident en une véritable catastrophe.
A 7 h 35 du matin, un train-ouvrier partait de la gare de Baker-Street (le centre de Londres) dans la direction de Willesden. Un quart d'heure plus tard, un épais brouillard l'obligeait de s'arrêter en gare de West-Hampstead. L'obscurité était si profonde qu'on ne distinguait à peine à deux mètres de distance.
Les employés du train causaient avec le personnel de la gare, quand un fracas épouvantable retentit, d'autant plus sinistre qu'il se produisait sans qu'un bruit précurseur (roulement des roues, grincement des roues, ou sifflet) eût troublé la quiétude des assistants.
Que s'était-il passé? Un autre train-ouvrier, parti de Baker-Street à 7 h 45, avait surgi silencieusement de la muraille de brouillard, et, avec une vitesse de 30 kilomètres à l'heure, s'était jeté sur le wagon de queue du premier train. La violence du choc avait été telle que les deux wagons s'étaient "télescopés". Selon le mot d'un témoin oculaire que corroborent sinistrement nos photographies, les deux voitures avaient agi comme les deux compartiments d'une boîte d'allumettes suédoises.
Les trois passagers tués, et la plupart des blessés, se trouvaient assis à l'arrière du wagon de queue. On ne peut songer sans frémir à l'effroyable hécatombe qui eût ensanglanté West-Hampstead, si le choc se fût produit entre deux trains-ouvriers lancés du centre de Londres vers la banlieue. A cette heure matinale, les trains déversent dans la Cité des foules immenses, entassés dans leurs voitures, tandis que les deux trains sinistrés étaient aux trois-quarts vides.
Nous avons suffisamment indiqué que le brouillard portait la responsabilité de la catastrophe. Il convient d'ajouter que le conducteur du second train s'aperçut de la présence du premier alors qu'il lui restait une distance de 9 mètres environ à franchir. Il fit jouer son frein, mais le brouillard avait tendu les rails si gluants que le train continua sa marche.
L'enquête a révélé d'autres faits. Il paraît prouvé que les fogmen (employés chargés spécialement de la surveillance des voies par les temps de brouillard) ne furent pas exempts de négligence, et que les pétards n'avaient pas été placés à des intervalles assez rapprochés.
On croit aussi que les signaux ne fonctionnèrent pas d'une façon normale. Un signalman affirma qu'il avait fait jouer le disque "danger" pour couvrir le premier train. Or, quand il reporta son regard vers les signaux, il constata qu'ils indiquaient line clear (ouvert).
Il put prouver que les signaux (dont il était chargé depuis huit ans) s'étaient déjà dérangés une fois en juillet. Mais il n'avait pas cru devoir signaler le fait à ses supérieurs, l'irrégularité ne s'étant pas reproduite. Il se contenta d'en parler à des camarades.
En outre, il reconnut que le grand nombre des trains dont il avait à surveiller le passage (290 en huit heures) lui causait des énervements passagers. Mais il affirma que le signal "ouvert' n'avait duré que 30 secondes, et qu'il l'avait remplacé aussitôt par le signal "danger". Cette demi-minute devait suffire à causer la mort de trois hommes.
Cette catastrophe perd beaucoup de son importance si l'on songe que le Metropolitan Railway transporte 100 000 000 de passagers par année, et qu'il en a transporté trois milliards depuis sa fondation sans avoir jamais causé, jusqu'au 26 octobre, la mort d'un voyageur.
J. Durand
La Nature, Revue des Sciences, Masson et Cie, Paris, 1908.


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