L'industrie des allumettes au Japon.
La fabrication des allumettes est parmi les grandes industries chimiques récemment introduite au Japon, une de celles qui ont fait le plus de progrès en ces dernières années. Actuellement, elle occupe plus de 130 000 personnes et consomme 1 million et demi de stères de bois; ce qui représente, comme le remarque un statisticien japonais, 32 millions de poteaux télégraphiques. Soixante fabriques travaillent pour l'exportation et 149 pour la consommation intérieure; il est fortement question de fondre la plupart des sociétés productrices en un trust qui règlera le marché extérieur; aussi, comme la loi japonaise n'autorise aucune centralisation, aucun monopole autre que ceux de l'Etat, un projet de loi a-t-il été soumis récemment, à cet effet, à la Chambre des Représentants.
La fabrication des allumettes offre ceci de curieux au Japon, comme la fabrication des biscuits et des gâteaux secs en Angleterre, que le pays ne produit pas la plupart des matières premières qui lui sont nécessaires et que la majeure partie des produits fabriqués sont exportés. Il s'ensuit que le bénéfice réalisé dans cette industrie représente en presque totalité la rémunération du travail et de l'ingéniosité que les Japonais ont incorporés dans le produit fabriqué.
Le bois est presque totalement importé; sa valeur, plus les 7 500 000 francs d'autres matières premières importées ne représente pas moins de 20 pour 100 du montant des exportations; c'est depuis peu seulement qu'on s'est mis à fabriquer le phosphore et à exploiter les riches soufrières du pays. Aujourd'hui, les allumettes japonaises inondent littéralement tous les pays d'Extrême-Orient. Les exportations s'élèvent à 26 250 000 francs; les principaux clients sont: la Chine (pour 14 125 000 francs), Hong-Kong (pour 6 500 000 francs), Singapour, les Indes anglaises et la Corée.
Le développement de l'industrie des allumettes s'est heurté pendant longtemps au Japon à des coutumes religieuses qu'il est intéressant de signaler, car elles sont encore très vivaces dans tout le pays et notamment dans la province d'Izumo, foyer de l'ancien culte shintoïste sur lequel le bouddhisme n'est venu que se greffer.
Tous les jours, au crépuscule, dans chaque famille, les lampes consacrées aux dieux et aux ancêtres sont allumées. Sous peine de sacrilège, ces lampes ne doivent brûler que de l'huile végétale la plus pure (tomoshi-abura) et ne doivent être allumées qu'avec le feu le plus pur, " le feu sacré qui vit caché au fond de toute chose". L'usage du pétrole est souvent considéré comme hérétique; quelques familles pauvres l'emploient cependant; de même, les allumettes étrangères sont sacrilèges, car il s'y trouve du phosphore qui provient "des os d'animaux morts". Aussi brûle-t-on presque toujours de l'huile de colza dans les lampes sacrées et emploie-t-on encore pour les allumer le briquet de nos ancêtres. Dans plus d'une famille qui affiche des manières européennes et qui s'éclaire à l'électricité, on conserve précieusement, caché en quelque coffret, la petite boîte qui renferme les objets sacrés servant à l'allumage des lampes; ce sont: le hi-uchi-ishi (la pierre à feu)*, le hokuchi (l'amadou fait de mousse desséchée), le hi-uchi-gane (le métal à feu, l'acier) et cinq tsukegi (brindilles de pin résineux).
Dans la plupart des provinces, cependant, les fabricants ont réussi à faire adopter les allumettes indigènes pour l'allumage des lampes sacrées. A cet effet, la boîte porte une information qui en informe le consommateur. Comme on peut le penser, ces boîtes d'allumettes restent des petites merveilles d'art, et l'inscription qu'elles portent est tout un poème quand elle est destinée à la province d'Izumo.
E. Lemaire.
La Nature, Revue des Sciences, Masson et Cie, Paris, 1908.
* Nota de Célestin Mira:
* hi-uchi-ishi et hi-uchi-gane:

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