Ceux dont on parle.
M. Porel.
M. Porel est dans la situation la plus contradictoire qu'un homme puisse rencontrer: directeur du Vaudeville* où, depuis nombre d'années, pas un vaudeville n'a été joué, acteur ne paraissant jamais en scène, il est en outre l'époux d'une femme qui ne veut pas être sa femme. Il y aurait dans cet amas d'incohérences de quoi ébranler l'esprit le plus solide. Celui de M. Porel a tenu bon jusqu'ici, mais qui peut affirmer qu'il résisterait à un nouvel assaut, à quelque autre événement inaccoutumé, comme, par exemple, à la représentation d'une bonne pièce au Vaudeville?
Nul n'ignore qu'il y a ou plutôt qu'il y avait deux sortes de comédies représentées à ce théâtre: celles dans lesquelles Mme Réjane* jouait et celles dans lesquelles elle ne jouait pas. Avec toute son intelligence et son expérience, M. Porel* n'a jamais pu arriver à un autre résultat que celui-ci: quand Mme Réjane jouait il faisait d'excellentes recettes; quand elle ne jouait pas, il n'en faisait ni de bonnes ni de mauvaises... On conçoit combien une telle femme doit être précieuse et quel mauvais mari on ferait si l'on ne faisait pas quelques concessions pour assurer la paix du ménage.
M. Porel dut en faire plus d'une, car les bruits de divorce qui ont couru à plusieurs reprises ont été étouffés: il y a deux ans, M. le président Baudoin réussit à réconcilier les deux époux. L'an dernier, M. Ditte l'essaya à son tour: ce fut en vain; mais voici qu'on annonce de nouveau la fin des hostilités. Mme Réjane reviendrait au Vaudeville à la saison prochaine. Souhaitons que l'actrice ne rentre pas sans l'épouse et que M. Porel recouvre tout à la fois intérêts et principal.
Devant le succès persistant qui s'attache aux rôles, quels qu'ils soient, joués par Mme Réjane, il ne faut pas s'étonner que le Vaudeville ne nous ait pas donné de chef-d'œuvre depuis plusieurs années: à quoi bon se fatiguer à chercher une bonne pièce dans les tas de manuscrits, quand on peut remplir la salle avec la première venue? M. Porel a pris le parti de ne monter que des pièces faites à la mesure de son étoile. Cela ne lui demande que peu d'initiative. Il mettait autrefois mieux à profits les qualités qu'il a reçues de la nature et qu'Alexandre Dumas fils apprécie dans les termes suivants: "Quand on a affaire à un artiste de ce mérite doublé d'un homme de ce caractère, on remercie l'un et l'on salue l'autre."
Quand éclata la guerre de 1870, M. Porel avait vingt-huit ans: il se battit vaillamment et fut blessé d'un éclat d'obus. Transporté à l'ambulance de l'Odéon, il fut soigné par Sarah Bernhardt, qui s'était faite infirmière. Elle ne se doutait pas alors que celui qu'elle pansait avec tant de dévouement, deviendrait l'époux d'une rivale. Elle doit se réjouir aujourd'hui, pour peu qu'elle ait d'envie, d'avoir conservé à Réjane, moins un mari qu'un plaideur.
Jean-Louis.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, dimanche 25 juin 1905.
* Nota de Célestin Mira:
* M. Porel.
* Le Vaudeville.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire