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dimanche 10 avril 2022

 La superstition chez les marins.


Les marins sont d'actualité. Les terribles combats que Russes et Japonais viennent de se livrer dans le détroit de Corée, les fêtes données à Cherbourg et dans plusieurs autres ports européens en l'honneur des escadres de guerre ont appelé l'attention du public sur la vie et les mœurs des rudes gens de mer. Les marins sont tous de fervents croyants, des superstitieux mêmes. Ce sont les plus pittoresques parmi leurs superstitions qu'il nous a semblé intéressant de conter à nos lecteurs.


Au nombre des superstitions particulières aux marins, ces éternels rêveurs, il en est qui reposent sur des faits certains.

Le serpent de mer. Les rats.

Le serpent de mer, par exemple, a peut-être plus de réalité que ne le croient les terriens: la faune sous-marine demeure assez mal connue, et elle abonde en monstres extraordinaires.
De même de cas des rats qui, dit-on, déserteraient toujours un navire sur le point de sombrer, n'est pas absurde: ces rongeurs resteront n'importe où tant qu'ils trouvent de quoi se nourrir, mais ils ont en horreur les endroits où ils ne se trouvent pas au sec: la cale humide d'un navire qui fait eau les chasse.

Les chats.

On comprend moins bien, par contre, les histoires de chats porte-guigne qui, amenés sur un bateau, sautent soudain dans la mer, avec des cris épouvantables. Les marins y voient un signe certain de mort prochaine pour quiconque a touché la bête à bord ou qui en a pris soin.
Ajoutons qu'il y a d'étranges coïncidences et que le peuple a toujours considéré le chat comme un être magique et de mauvais augure. Détail curieux, les chats noirs seuls passent pour porter bonheur et les femmes de marins qui en possèdent dans leur maison croient que leurs maris sont exempts de tout malheur en mer.

Les sirènes.

Les marins gardent fidèlement les vieilles traditions qu'ils acceptent comme paroles d'Evangile. Peut-être y a-t-il encore des matelots qui croient aux sirènes des anciens Grecs!
Vous connaissez, d'après les descriptions des poètes, ces nymphes de la mer aux gracieux corps de femme terminés par une queue de poisson.
Elles avaient coutume, nous dit-on, de charmer les matelots par leur voix mélodieuse, et de les rendre inattentifs à la manœuvre: ainsi les navires allaient se briser sur les récifs. Elles sévissaient de préférence dans les eaux bleues qui environnent la Sicile.


Les sirènes attiraient les navigateurs sur les récifs.



L'oracle avait prédit aux sirènes qu'elles périraient le jour où leurs chants manqueraient d'attirer les voyageurs.
On connait l'histoire d'Ulysse bouchant de cire les oreilles de ses compagnons et se faisant lui-même attacher au mât de son navire pour échapper à la funeste tentation.
L'astucieux Ulysse ayant réussi, les sirènes en furent à tel point inconsolables que, de dépit, elles se jetèrent dans la mer et s'y noyèrent. Un érudit ancien, Sabinus, a cru reconnaître dans cette légende les Reines des îles, qui avaient créé un collège d'éloquence près de la baie de Palerme. De là serait venue la tradition des sirènes, et la parenté d'Achelous, fleuve de Grèce, et de Calliope, une muse du même pays, venait de ce que les professeurs de cette école d'éloquence étaient tous Grecs d'origine.
Plus tard les sirènes ou les Reines des îles furent noyées quand les professeurs et les élèves se livrèrent à une débauche effrénée.
On fait aussi remonter l'existence des Sirènes à la présence de trois rochers dangereux qui se trouvent dans les parages de la Sicile.

Les harpies.

D'autres monstres hybrides étaient aussi les harpies qui portaient la terreur à son comble parmi les marins. On les décrit comme ayant tête et poitrine de femme et corps de vautour, ne se plaisant que dans une atmosphère corrompue et contaminant ce qu'elles approchaient.
Homère ne cite qu'une harpie, Hésiode deux, mais la plupart des auteurs anciens en portent le nombre à trois (Rappelons ici, que tout ce qui a trait à la religion, à la mythologie et au surnaturel prend les figures 3, 5, 7 ou 9)
Les harpies se nommaient Ocypète, Celéno et Aello, trois noms qui se rattachent aux tourbillons et aux tempêtes.




Nos brave mathurins d'aujourd'hui ont encore poussé à un haut degré le culte de la superstition.

Les "Cauls".

En Angleterre, on lit souvent dans les journaux, aux colonnes d'annonces, des offres d'achat des voiles transparents qui recouvrent quelquefois la tête d'un nouveau-né. Il n'est pas rare de voir offrir 125 fr. pour ce voile qu'on appelle "caul" car la tradition veut qu'un personne née avec ce voile ou en ayant un en sa possession ne sera jamais noyée.
Les histoires de revenants forment en grande partie le thème des conversations à bord.

Le Vaisseau fantôme.

Parmi ces légendes, la palme est acquise au fameux vaisseau fantôme, que connaissent, avec peu de variantes, les marins de tous les pays.
"Un capitaine hollandais, qui ne croyait à rien, avait tenté en vain de doubler le cap Horn, ayant contre lui la tempête qui faisait rage.
Il jura de réussir dans son entreprise, et, bien que la tempête redoublât, se rit des craintes de son équipage, et continua à fumer sa pipe.
Ceux de ses matelots qui le suppliaient de chercher refuge dans un port furent, par son ordre, jetés par dessus bord.
Le Saint-Esprit descendit sur le navire, et le capitaine, armé d'un pistolet, fit feu sur lui, mais ne parvint qu'à se blesser lui-même. Il maudit le Seigneur qui, pour le châtier, le condamna à naviguer pour toujours, sans jamais entrer dans aucun port. 




Il devait devenir le mauvais génie de la mer et porter la terreur chez les marins, car la vue de son vaisseau, battu par la tempête devait devenir un présage de malheur.
Son équipage, composé de criminels de toute sorte, de lâches, de voleurs et d'assassins, doit éternellement souffrir et ne rien manger ni boire."
Mais les revenants ne sont pas seuls à terroriser les marins.

Les feux Saint-Elme.

Les feux Saint-Elme, entre autre curiosité de l'Océan, sont des apparitions de lumières spectrales qui se fixent en haut des mâtures, au bout des vergues. Ce curieux phénomène est aussi connu sous le nom de feux de Saint-Nicolas et les anciens navigateurs le connaissaient aussi sous le nom de Castor et Pollux, de bon augure si les feux apparaissaient ensemble, et de mauvais présage, s'ils se succédaient.




Dompier décrit ainsi les feux Saint-Elme.
" Ce sont de petites lumières vacillantes, qui semblent des étoiles quand elles se fixent en haut des mâts, mais pareilles à des vers luisants quand elles arrivent sur le pont."
La science nous a prouvé qu'il faut voir là un phénomène d'électricité qui prend place dans une atmosphère raréfiée et qui se produit sur les parties de fer des mâtures.
Revenons aux autres superstitions des marins. 
Deux des plus anciennes sont celles qui s'attachent aux figures sculptées qui ornent la proue des navires et à la bénédiction des navires.
Les figures étaient primitivement les images de certaines divinités sous la protection desquelles on mettait les navires.
Quant au baptême des bateaux par un prêtre, c'est toujours une occasion de fêtes, et aujourd'hui encore cette cérémonie a lieu dans les pays d'origine latine où on lui attribue une grande importance.
Mais nous ne pouvons terminer cet article sans parler de l'ancienne coutume du "passage de la Ligne".

Le passage de la Ligne.

On fait d'ordinaire payer ce tribut à Neptune à ceux des passagers qui passent l'équateur pour la première fois.
Le capitaine Marryat nous en a fait un récit détaillé dans son Frank Mildman et nous ne saurions faire mieux que de le citer.
" Neptune paraît précédé d'un jeune mousse. Il est vêtu d'un maillot et son char est fait d'un affût de canon; traîné par des nègres presque nus et dont le corps est tacheté de larges plaques jaunes. Sa longue barbe est faite d'étoupe, sa tête est couronnée et il porte en main un trident surmonté d'un dauphin. Sa cour se compose d'un secrétaire couvert de plume d'oiseaux de mer; d'un médecin muni de sa lancette et pourvu d'une boîte de pilules; d'un barbier armé d'un immense rasoir de bois, et assisté d'un aide qui porte un tub en guise de plat à barbe.
Auprès de Neptune se tient Amphitrite coiffée d'un bonnet de nuit et portant dans ses bras un petit mousse. Elle est entourée de trois matelots déguisés en déesses marines, et munis de miroirs, de peignes et de pot de peinture. Un baquet, plein d'eau, attend le néophyte. La victime, les yeux bandés d'un mouchoir, est assise sur une planche posée en travers du baquet et, après avoir été rasée avec le rasoir en bois, est poussée en arrière et fait un plongeon dans l'eau du baquet.
Les officiers échappent à cette petite brimade, en payant une amende en argent ou en rhum."
Le prince de Galles, fils du roi Edouard VII d'Angleterre, lors de son récent voyage en Australie, a, lui aussi, payé son tribut à Neptune et s'est fort diverti de cet amusement des marins.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 25 juin 1905.


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