Napoléon et les femmes.
M. Frédéric Masson, publie, entre deux grands ouvrages, des recueils de variétés et d'études très remarquables sur l'époque qu'il connait si bien: le règne de Napoléon 1er. Celle-ci est très piquante; quelle opinion napoléon se faisait-il de la femme, de son rôle familial et social? La question appartient plus que jamais à l'actualité.
Qu'on ne vienne pas lui parler d'égalité entre l'homme et la femme, il ne saurait en admettre aucune: - Ce qui n'est pas Français, dit-il, c'est de donner de l'autorité aux femmes. Nulle parité donc entre les deux sexes qui ont à remplir des fonctions très diverses: l'un doit commander, l'autre doit obéir. L'homme, en échange de cette obéissance, est tenu de nourrir et de protéger la femme; mais la mesure dans laquelle cette protection s'exercera n'est pas réglée par la loi, tandis que les pénalités y sont accumulées pour prévenir la désobéissance de la femme. Où il plait à l'homme de résider, la femme est obligée de le suivre, et, pour la contraindre, l'homme n'a qu'un signe à faire pour mettre en mouvement l'autorité judiciaire.
Si Napoléon a prétendu, par les lois divines et humaines, subordonner la femme à l'homme; si, convaincu du bon droit masculin, il a inventé des entraves de toute nature pour comprimer la révolte féminine, c'est que, en lui comme en tout homme sincère, il est deux modes de penser: l'un en présence de la femme, l'autre hors de son influence; l'un qui est traditionnel et raisonné, l'autre qui est instinctif et sexuel. C'est que, personnellement, il connait son incapacité à dominer la femme, sa faiblesse vis-à-vis d'elle, cette faiblesse nerveuse qui l'empêche de rien refuser à la femme qui se jette à ses pieds, qui implore et le supplie. Rien de vrai comme le mot de Joséphine à Mme de Polignac:
- Il faut que vous le voyiez. S'il vous voit au désespoir, si vous ne vous laissez pas rebuter par un premier refus, vous obtiendrez tout de lui.
En vérité, il ne sait pas, il ne peut pas. Une seule fois en toute sa vie, il a résisté à des femmes, à une sœur demandant la grâce de sa sœur, à des jeunes filles demandant la grâce de leur mère. C'est à Schœnbrunn, en 1809. Il s'agissait de Mme Acquet de Ferolles, condamnée à mort par la cour criminelle de Rouen pour complicité dans des attaques de diligences, des vols à main armée qu'on colorait de politique. Ses enfants se précipitèrent aux genoux de Napoléon; il les relève, prend leur pétition, la lit tout entière; il pose des questions, il s'émeut.
- Deux fois, dit un témoin, je l'ai vu changer de couleur, des larmes roulaient dans ses yeux, sa voix était altérée.
Enfin, brusquement, il s'échappe en disant:
- Je n'en ai pas la puissance.
Et, tout le reste du jour, il reste attristé et sombre.
Qu'on cite un cas où, sa politique et sa vie seules étaient en jeu, il ne se sois pas senti faible vis-à-vis d'une femme, et il ne faut point parler de l'argent! C'est des têtes qu'il peut refuser, non de l'or. - Les femmes ont deux choses qui leur vont fort bien, disait-il: le rouge et les larmes.
Mais, devant ces larmes, il est sans force: il le sait et on le sait.
S'il s'attendrit ainsi, c'est que la femme lui apparaît alors "sensible et bonne, naïve et douce", dans la mission qu'il lui attribue, dans le caractère qui lui convient, abaissée devant la puissance de l'homme en qui elle reconnait le maître. Mais de telles catastrophes, où l'existence d'un époux, d'un père, d'un frère est en jeu, ne composent point la trame de l'existence. Dans la vie sociale, il est bien plus d'heures où la femme est suppliée qu'il n'en est où elle supplie, et, d'ordinaire, pour obtenir ce qu'elle désire, elle n'a ni à demander, ni même à se le faire offrir, mais à se faire supplier pour l'accepter, à moins qu'elle ne se fasse contraindre pour le recevoir. C'est l'art suprême où la femme du monde est passée maîtresse, et cela seul suffirait pour que Napoléon, qui ne comprend rien à ces finesses, ait en aversion la femme du monde. N'est-ce pas, en effet, que, ayant constamment besoin de l'homme, de celui qui, théoriquement et légalement, est le maître, elle retourne les rôles, intervertit les caractères et présume assez l'amour, même contenu, qu'elle inspire, pour se jouer à sa guise de tout être masculin qui l'approche? N'est-ce pas que tout, dans la vie qu'elle mène, est combiné par elle pour s'assurer une indépendance qui paraît à Napoléon un crime? Cette indépendance, elle l'affirme par ses relations mondaines et par ses amitiés féminines.
Si une femme impose à son salon un homme de lettres et le met à la mode, c'est pour se faire sa muse et régir sa littérature. Si elle prend du goût pour un artiste ou, du moins, qu'elle le dise, c'est pour que son art lui appartienne, qu'elle en obtienne la primeur et qu'elle en goûte tous les succès. Si c'est un homme en place, c'est pour satisfaire des rancunes, distribuer des emplois, conduire des intrigues, mener à son caprice les êtres et les choses, et mettre en jeu des ressorts dont elle ignore autant l'objet que l'action, la construction que l'effet. Elle en use à l'aveugle, sans connaître aucune responsabilité, sans avoir conscience d'aucun devoir, sans admettre aucune loi, sans avoir reçu aucune tradition, sans éprouver aucun patriotisme et, en même temps, sans ressentir jamais aucune inquiétude.
Que les femmes ainsi faites tinssent académie des belles-lettres, de toilette et d'amour, Napoléon n'y contredisait pas; mais il ne souffrait point qu'elles touchassent à la politique. De sa lecture de l'histoire, il avait rapporté l'horreur de la Fronde, de la Régence, du règne de Louis XV, des périodes où la femme a régné sur les hommes et par les hommes. Il en avait vu la nation compromise en sa gloire, sa fortune et son honneur. Si, en 1795, à ses débuts à Paris, il avait subi un instant la séduction de ces femmes "qui seulement ici, de tous les lieux de la terre, écrivait-il, méritent de tenir le gouvernail", il n'avait point tardé, en Italie, à faire son expérience d'un gouvernement que les femmes conduisent. Le revirement avait été brusque.
- Les femmes sont l'âme de toutes les intrigues, disait-il à son retour. On devrait les reléguer dans leur ménage; les salons du gouvernement devraient leur être fermés.
Frédéric Masson
de l'Académie française.
Les Annales politiques et littéraires, janvier-juin 1907.
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