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lundi 7 octobre 2019

Ceux de qui on parle.

M. Lucien Descaves.

M. Descaves est le fils d'un graveur au burin qui a laissé de nombreux portraits d'hommes de lettres et d'artistes. En voyant travailler son père, M. Lucien Descaves a appris à se servir de "mordants" et son origine explique un des côtés de son talent, lorsqu'il trouve que la plume est insuffisante pour dépeindre un personnage odieux, il utilise le burin paternel et rehausse son ouvrage de traits incisifs, vigoureux, définitifs.
Il avait à peine vingt ans quand il publia son premier roman: le Calvaire d'Héloïse Pajadou*. Cet ouvrage fut publié à Bruxelles par l'éditeur des naturalistes, M. Kistemaeckers, père de l'écrivain de ce nom. M. Descaves fit paraître ensuite plusieurs romans et un livre de nouvelles sur les mœurs militaires, intitulé "Les Misères du Sabre*" où il donnait un avant-goût de la peinture de la caserne à laquelle il travaillait dès cette époque (1887).
Son livre le plus célèbre, Sous-Offs*, parut en 1889. Dans un style extrêmement étudié et plein d'images, le jeune romancier, qui avait été soldat et qui était sergent-major de réserve, décrivait tous les abus et tous les vices dont il avait été témoin. Son livre avait un caractère général et la satire se dissimulait sous la fiction du roman, mais certains personnages crurent, peut être avec raison s'y reconnaître et manifestèrent l'intention de poursuivre en justice M. Descaves. De leur côté quelques journalistes et surtout M. Reinach* qui, dès  ce temps-là se réservaient le monopole du vrai patriotisme et que la défaite du boulangisme avaient gravement atteints, furent enchantés de l'occasion qui s'offrait et dénoncèrent "Sous-Offs" comme "un amas d'outrage à la pudeur et à l'armée".
Le gouvernement se montra énergique, il déféra l'auteur à la cour d'assises, et du livre qui lui était représenté comme nuisible il fit du même coup multiplier la vente. L'éditeur déclara, non sans ironie,  à la Cour que le chiffre des exemplaires vendus, qui était de 7.000 avant le procès, était monté, grâce à cette magnifique réclame, à 34.000. L'éditeur encaissa ainsi quelques billets de mille francs, que d'autres vinrent rejoindre par la suite, puisque auteur et éditeur furent acquittés et que, du même coup la vente du livre resta permise; mais, afin de prouver que sa conviction seule et non une idée du lucre avait guidé M. Descaves, son avocat signala au jury qu'il avait refusé de laisser traduire son livre en Allemagne. L'effet de cette parole fut excellent.
Je n'en dirai pas autant de tous les arguments de cet avocat, Me Tézenas, puisqu'il faut l'appeler par son nom, et surtout d'une période attendrissante dans laquelle il désigna M. Descaves comme un jeune homme de vingt-neuf ans "tout menu" ce qui indique "qu'il a dû souffrir au régiment". 


Je crois que le maître du barreau s'aventurait beaucoup en soutenant que, pareil aux chapons, les hommes sont gras à proportion qu'ils sont bien traités.
Puisque le mot de chapon est venu sous ma plume, j'en profite pour signaler que c'est le titre d'un acte (Les Chapons*) que M. Descaves a fait jouer, cette même année 1890, au théâtre Antoine, au milieu d'un grand vacarme qui faillit interrompre la représentation. En 1898, au autre acte, La Cage*, fut interdit par le Ministre à la deuxième soirée.
Malgré ces avatars, ce beau joueur est devenu Immortel de l'Académie Goncourt.

                                                                                                                        Jean-Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 9 décembre 1906.

* Nota de célestin Mira:

* Calvaire d'Héloïse Pajadou:



* Les Misères du Sabre:



* Sous-Offs:



* Reinach:

Caricature de Joseph Reinach,
journaliste et homme politique (1893).


* Les Chapons:



* La Cage:


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