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dimanche 9 juin 2019

Les cartes.

Les cartes.


La bibliothèque de Rouen vient de s'enrichir d'une véritable rareté bibliographique: c'est la collection qu'un ancien chef du contentieux au ministère de l'intérieur, M. Leber,  a formé depuis trente ans de toutes les cartes à jouer qui ont été fabriquées depuis leur invention en tout temps et en tout pays.
Cet imposant témoignage des délassemens séculaires et contemporains des hommes d'autrefois et des joueurs d'aujourd'hui, prouve qu'on s'amuse et qu'on se ruine aussi bien dans les pampas de l'Amérique, dans les steppes de Moscou, dans les marécages de la Hollande que dans les salons de Baden, de Londres et de Paris.
On fait remonter les cartes à jouer au règne de Charles VI; mais au moyen de cette collection, on pourrait prouver qu'elle est plus ancienne. Parmi celles qui figurent fabriquées pour ce malheureux monarque, on distingue les images du peintre Jacquemin Gringonneur*; elles datent de 1392 et sont au nombre de dix-sept. Ce sont des quadrilatères de 6 pouces et demi de hauteur sur 3 pouces et demi de large. Chacune offre un petit tableau remarquable par la naïve expression des figures symboliques qu'elle représentent, telles que la Force, la Mort, la Tempérance, etc.
La Force* est représentée par une espèce de virago douée d'un poignet vigoureux, et qui brise comme verre un gros pilier. Quant à la Tempérance*, elle transvase du vin d'une bouteille dans une autre, sans céder à la tentation d'en goûter. La Mort* galope sur un cheval de sinistre figure, tout en fauchant au passage les grands comme les petits. Le Pendu* est accroché la tête en bas, tenant deux sacs d'argent, pour indiquer la nature du méfait qu'il expie. Quant au Soleil*, Jacquemin Grangonneur le représente resplendissant dans les cieux, tandis que, sous ses feux rayonnans, une humble bergère file sa quenouille, afin de prouver qu'il luit pour tout le monde, pour les villageoises comme pour les reines.
Il y a dans cette collection des cartes historiques imaginées par Mazarin pour amuser la jeunesse de Louis XIV; puis des cartes d'Indous* rondes et un peu moins petites que les écus de six livres; après cela viennent des cartes négrophiles, où les noirs de St-Domingue se vengent en peinture de la supériorité de la race blanche; des cartes républicaines où les rois sont remplacés par Solon* (cœur), par Jean-Jacques Rousseau* (trèfle), par Caton d'Utique* (carreau), et par Junius* (pique); les valets par Annibal, Décius, mucus-Scœvola et Horace* qui doivent être peu flattés de cette assimilation. Depuis ont été inaugurées les cartes impériales sous l'empire, et les cartes monarchiques sous la restauration.

Le Salon littéraire, dimanche 18 juin 1843.

Nota de Célestin Mira:

* La force:




* La Tempérance:



* La Mort:


* Le Pendu


* Le Soleil:



* Cartes Hindoues:




* Solon (roi de cœur)



* Jean-Jacques Rousseau (roi de trèfle)


* Caton d'Utique (roi de carreau)


*  Aucune trace de Junius, il s'agit probablement d'une erreur: l'ex roi de pique est représenté par Brutus (source BNF)




* Annibal, Décius et Horace:










* Quelques cartes de jeu historique dites de Jacquemin Gringonneur (source BNF)














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