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jeudi 13 juin 2019

Le Cours-la-Reine.

Le Cours-la-Reine.


Il est loin le temps où les rois de France allaient dans les garennes voisines de leur jardin des Tuileries, chasser au faucon. Depuis l'emplacement actuel de l'Orangerie où l'on construisit, en 1616, la belle porte de la Conférence*, la campagne s'étendait à perte de vue et les promeneurs, que leurs rêveries conduisaient en ces lieux, purent pendant longtemps, dire avec justesse:

Venant à cette porte, on a cet avantage, 
Qui ne se trouve pas aisément autre part:
C'est d'y voir tout d'un coup, la ville et le village,
Les traits de la nature et les effets de l'art.

De cette porte partait, en longeant la Seine, la belle promenade que Marie de Médicis avait fait tracer. Le Cours-la-Reine, ou Petit-Cours, comme on l'appelait également, pour le distinguer du Grand-Cours, devenu depuis, l'avenue des Champs-Elysées; était séparé de la Seine par un quai, qui, du débarquement constant des moellons et des blocs destinés aux constructions de la Ville, tenait son nom de quai aux Pierres; de l'autre côté, un saut de loup interdisait l'accès du cours au public et, dans le fossé, le menu peuple pouvait, les dimanches d'été, venir jouer aux quilles ou au cochonnet.
C'est dans ce cours, dont le nom était emprunté au corso italien, que Marie de Médicis et ses courtisans venaient parader; c'est là que cette reine apparut, traînée dans un coche d'une singulière forme ronde, ressemblant à celui de Cendrillon; c'est là que Bassompierre "lança" le premier carrosse fermé par des glaces que l'on eut en France; c'est le même seigneur qui, fanatique d'une promenade conduisant si commodément à Chaillot, où il possédait sa maison des champs, insista pour qu'on surélevât le quai, afin d'éviter les inondations et contribua même aux frais des travaux.


Une des portes du Cours-le-reine,
d'après la gravure d'Israël Sylvestre
.

Longtemps, le roi, la reine, les princes de sang, les familiers de la Cour eurent seuls le privilège de parcourir les ombreuses allées du Cours; heureuses étaient les vieilles dames qui, mettant en avant leurs infirmités, recevaient l'autorisation d'aller prendre l'air dans cette promenade.
Le duc d'Antin, le premier, leva cette consigne sévère et ouvrit plus largement les grilles jusqu'alors seulement entre-bâillées. Pour rajeunir ces allées, il décida de les replanter et, par un véritable tour de force, ne mit que trois heures à accomplir ce travail. Des trous avaient été creusés, auprès de chaque fosse un arbre déposé et un soldat posté. Au premier roulement de tambour, chaque arbre était saisi et placé au "portez armes!", au second roulement, il est déposé dans la fosse; au troisième, la terre est rejetée sur les racines.
D'ailleurs, le surintendant des bâtiments était coutumier de pareilles singularités. Un jour, pour complaire à Louis XIV, auquel un bois voisin de Fontainebleau déplaisait, il fit scier plus qu'aux trois-quarts chacun des arbres, et, sur un simple signe du duc, la forêt s'écroula, aux yeux étonnés du monarque.
- Si le roi avait demandé nos têtes, s'écria la duchesse de Bourgogne, M. d'Antin les ferait tomber de même.

Vue de Paris prise de la hauteur du village de Chaillot,
montrant le long du fleuve, la promenade du Cours-la-reine
d'après une estampe de Rigaud.

Sous Louis XV, le Cours-la-Reine, toujours fréquenté par le public, n'eut pas l'honneur de voir passer le roi. C'est pourtant là que le Bien-Aimé aperçut Mlle de Romans, qui faillit, un instant, porter ombrage à la marquise de Pompadour.
Les élégantes du jour étaient, lorsque la nuit tombait, remplacées par des malandrins à figures sinistres, qui, bien souvent, dans le fossé du Cours, détroussaient les passants. Mazière, le fermier général, ne reçut-il pas l'ordre de déposer 360 livres au pied du poteau auquel on amarrait le bac qui joignait les deux rives du fleuve, et ne dut-il pas s'exécuter, par crainte des représailles?
Les gardiens, qui la nuit, veillaient aux portes d'entrées, et le jour, vendaient des rafraîchissements, ne pouvaient suffire à assurer la sécurité des passants, car l'ombre était propice aux maraudeurs.
Pour faciliter la surveillance, on établit, en 1729, des lanternes tout le long du Cours, en espérant que la lumière éloignerait les rôdeurs.
Mais le lieu que Marie de Médicis avait mis à la mode, que Mlle de Scudéry décrit dans son Grand Cyrus, qui, pendant l'été 1714, connut la joie des promenades nocturnes aux flambeaux avec accompagnement de musique et de danses, où l'abbé Prévost place un des épisodes de Manon Lescaut, commença à être délaissé à la fin du dix-huitième siècle.
Les tristes échos de la Révolution retentirent dans ses allées abandonnées, on y perçut le bruit de la foule, qui, le 5 octobre 1789, conduite par Théroigne de Méricourt, traversa les Champs Elysées pour aller chercher à Versailles "le Boulanger, la Boulangère et la Petit Mitron"; on y entendit le roulement de la berline qui ramenait à Paris le roi après la fuite à Varennes, et, quelques mois plus tard, les cris du peuple rassemblé sur la place Louis XV (aujourd'hui de la Concorde), saluant par des acclamations la mort de son souverain.
Les Admirables et les Incroyables vinrent redonner quelque animation aux Champs-Elysées et au Cours-la-reine. C'est dans l'allées des Veuves* (aujourd'hui avenue Montaigne), qui joignait l'extrémité du Cours au rond point des Champs-Elysées, que fréquentait cette jeunesse dorée. Elle était bien accueillie par une Merveilleuse d'hier, dont Thermidor avait fait une héroïne, presque une divinité. C'est là, en effet, qu'était située la "Chaumière"* que Tallien habita avec sa femme, la belle Thérésa Cabarrus*, jusqu'au jour où celle-ci l'ayant abandonné, sa fortune politique déclina. Il dut quitter ce nid qui avait abrité son bonheur, et qui devint une gargote à l'enseigne de l'"Acacia". Quelles devaient être les pensées de ce déchu, lorsqu'il voyait, de la misérable chambre qu'il avait loué chez un maraîcher voisin, cette demeure qui lui rappelait la femme qu'il aimait toujours et qui l'avait quitté pour devenir princesse de Chimay?
Après avoir côtoyé l'histoire et traversé le roman, le Cours eut une plus prosaïque fortune.
C'est sur le Cours-la Reine que fut inauguré, en 1853, le premier tramway sur rail* qui, de la place de la Concorde conduisait à Passy. A toutes les expositions, on vit transformer la misérable promenade et tous se souviennent encore des suites de celle de 1900. La porte de la Parisienne* et la rue de Paris avaient disparues depuis longtemps que le quai de la Conférence était encore encombré de plâtras et de madriers; les immenses serres*, avant d'être démolies, gâtèrent pendant de nombreuses années, la perspective de ce ravissant paysage. Le Cours était redevenu depuis une promenade. Mais les inondations y amenèrent de nouveaux bouleversements. Comme jadis Bassompierre, la ville voulut en empêcher le retour. On piocha, on terrassa, afin de relever, et le sol et le parapet.
Enfin, tout étant réparé, la Société Nationale d'Horticulture  obtint d'aménager en jardins l'ancien emplacement des serres et d'y exposer, à chaque saison, ses plus belles essences. Et en ce moment même, c'est une ravissante exposition de fleurs d'automne qu'on peut y admirer.

                                                                                                                           George Servant.


Nota de Célestin Mira:

* Porte de la conférence construite en 1632 et démolie en 1730:





* Paris, allée des Veuves:

Allée des Veuves, au XVIIIème siècle.


Allée des Veuves: la promenade.
Fin XVIIIème début XIXème siècle.

* Paris, la Chaumière, allée des Veuves:



* Thérésa Cabarrus, épouse de Tallien:



* Paris, premier tramway sur rail tracté par des chevaux, place de la Concorde,  dit: tramway américain:



* La Parisienne, réalisée par Binet, porte monumentale d'entrée de l'Exposition universelle de 1900 à Paris:



* Paris, les serres du palais de l'Horticulture de l'Exposition universelle de 1900:


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