Les rues de Paris.
A voir le Paris moderne avec ses rues larges, alignées, ouvertes à tout air et à tout rayon de soleil, et leur double rangée de maison si propres, si blanches, si riches, si coquettes qu'on les prendrait pour autant de palais, il serait difficile de se faire une idée du Paris d'autrefois, de se représenter cet inextricable labyrinthe de rues tortueuses sans nom et sans fin, sentiers bourbeux et infects tracés au pied de maisons grimpées les unes sur les autres et dont le ventre affaissé menace d'écraser le passant, mares pestilentielles qui recèlent souvent des cadavres et où vivent des troupes immondes de pourceaux affamés et féroces à qui l'on est obligé de disputer sa vie; carrefours maudits, routes impraticables où le bourgeois isolé, aussi bien que les gens du guet et les hommes d'armes du roi, deviennent la proie des truands, des malandrins, des mauvais garçons et autres bandits, à qui ils servent de repaires. L'imagination recule épouvantée devant cet horrible spectacle d'abîmes fangeux, de cimetières, d’égouts, de voiries, de charniers et de gibets avec leur exhibition permanente de cadavres tombants en lambeaux et de squelettes hideux, balancés au gré des vents. Cette cité boueuse, noire, empestée, avec sa population de mendians, d'estropiés, de lépreux, de scrofuleux et d'assassins, semble une création fantastique, un cauchemar qui tourmente un esprit malade; et pourtant ce n'est qu'un tableau exact et au dessous encore de la réalité.
Cependant, ce Paris si vieux, si sale, si laid, a son aspect curieux aussi, pittoresque, attachant même: plus ces populations nous apparaissent sauvages et abruties, plus on regrette cette bienfaisante influence de la foi, loi unique qui pût les moraliser; plus ces soudards, ces gueux sans nom et sans nombre, ces habitants de la fameuse cour des Miracles*, ces farouches truands, ce hideux gibier de toutes les prévôtés, sont redoutables, menaçans, plus on a lieu d'admirer, de bénir la puissance, la seule qu'ils reconnussent, de cette religion qui, plus forte que les rois, leurs gardes et leurs bourreaux, muselait, à la voix d'un prêtre, ces bêtes fauves et les transformait en dociles agneaux.
Puis parmi ces noms ridicules ou effrayans de rues du Sabot*, de la Femme-sans-Tête*, du Chat-qui-Pêche*, du Pet-au-Diable*, du Grand-Hurleur*, Trousse-Vache*, Tire-Chappe*, on rencontre avec satisfaction ceux toujours frais et sourians de la Cerisaie*, des Lilas*, du Champ-de-l'Alouette*, des Acacias*, des Amandiers*, qui vous parle encore, au sein de la cité, d'air frais, de beau soleil, de riche verdure, ou de ceux qui racontent d'une façon comique les mœurs et usages du temps, comme les rues Brise-Miches*, Taille-Pain*, Vide-Gousset*, ou bien encore comme la rue de l'Echelle*, où l'on pendait les condamnés; la rue Guillorg, où l'on coupait les oreilles; la rue du Bouloi*, où on les faisait bouillir, et la rue de la Croix-du-Trahoir*, où on les écartelait.
De tous les points du Paris qui nous reste, la Cité, qui fut le berceau de la grande ville, la fameuse Lutèce d'autrefois, a encore conservé son caractère primitif. Cependant, sans remonter aux dates reculées du moyen âge, nous trouverions encore une différence inimaginable entre les rues d'aujourd'hui et celle de l'avant-dernier siècle seulement et sans aller plus loin, sous Louis XIV lui-même, ce monarque surnommé le grand, le magnifique, et dont le goût est passé en proverbe, on regardait comme une chose miraculeuse d'avoir découvert un moyen d'échapper à l'action délétère et empestée de l'air qu'on respirait à Paris.
Une sorte d'agent voyer écrivait à la louange du roi dans un rapport de police: " Ceux d'entre nous qui ont vu le commencement du règne de sa majesté se souviennent encore que les rues de Paris étaient si remplies de fange que la nécessité avait introduit l'usage de ne sortir qu'en bottes; et, quant à l'infection que cela causait dans l'air, le sieur Courtois, médecin, que demeurait rue des Marmousets*, a fait cette petite expérience, par laquelle on jugera du reste: il avait dans sa salle sur la rue, des gros chenets à pommes de cuivre, et il a dit plusieurs fois aux magistrats et à ses amis que tous les matins il les trouvait couverts d'une teinture vert de gris assez épaisse, qu'il faisait nettoyer pour faire l'expérience le jour suivant; et que depuis 1663, que la police du nettoiement des rues a été établie, ces taches n'étaient pas reparues."
Ainsi, au dix-septième siècle on citait à la gloire du grand roi un acte d'assainissement pratiqué aujourd'hui dans le dernier de nos hameaux sans que le moindre procès-verbal transmette à la postérité reconnaissante le nom du maire ou du garde champêtre ordonnateur de la mesure.
Pourtant, dès le douzième siècle, quelques rues de Paris commencèrent, il faut le dire, à devenir presque praticables. Philippe-Auguste ordonna qu'on y posât des pavés de grès gros et forts; mais pour avoir des dénominations officielles et certaines, car jusque là chaque rue n'avait dû son nom qu'au hasard, qu'au caprice ou au souvenir des individus, il fallut attendre encore jusqu'au 16 janvier 1728, jour où l'on plaça les premières inscriptions au coin des rues.
Le Salon littéraire, dimanche 2 avril 1843.
Nota de célestin Mira:
* La cour des Miracles:
* Paris, rue du Sabot en 1867:
* Pais, Île Saint-Louis, rue de la Femme sans Tête:
* Paris, rue du Chat qui Pêche:
* Paris, rue du Pet-au-Diable devenue rue du Tourniquet-Saint-Jean:
* Paris, rue du Grand-Hurleur: la rue du Grand-Hurleur située vers la porte Saint-Denis dans le 3ème arrondissement, est aujourd'hui disparue.
* Paris, rue Trousse-vache devenue rue de la Reynie:
Paris, rue Tire-Chappe, située dans le 4ème arrondissement, disparue en 1854:
* Paris, rue de la Cerisaie, en 1876:
* Paris, rue des Lilas:
* Paris, rue du Champ-de-l'Alouette:
* Paris, rue des Acacias:
* Paris, rue des Amandiers:
* Paris, rue Brise-Miche en 1911:
* Paris, rue Taille-Pain:
* Paris, rue Vide-Gousset:
* Paris, rue de l'Echelle:
* Paris, rue du Bouloi:
* Paris, la rue de la Croix-du-Trahoir située dans le 4ème arrondissement, est aujourd'hui disparue. La fontaine de la Croix du Trahoir nous rappelle son existence passée:
* Paris, rue des Marmousets, 1865:
Cependant, ce Paris si vieux, si sale, si laid, a son aspect curieux aussi, pittoresque, attachant même: plus ces populations nous apparaissent sauvages et abruties, plus on regrette cette bienfaisante influence de la foi, loi unique qui pût les moraliser; plus ces soudards, ces gueux sans nom et sans nombre, ces habitants de la fameuse cour des Miracles*, ces farouches truands, ce hideux gibier de toutes les prévôtés, sont redoutables, menaçans, plus on a lieu d'admirer, de bénir la puissance, la seule qu'ils reconnussent, de cette religion qui, plus forte que les rois, leurs gardes et leurs bourreaux, muselait, à la voix d'un prêtre, ces bêtes fauves et les transformait en dociles agneaux.
Puis parmi ces noms ridicules ou effrayans de rues du Sabot*, de la Femme-sans-Tête*, du Chat-qui-Pêche*, du Pet-au-Diable*, du Grand-Hurleur*, Trousse-Vache*, Tire-Chappe*, on rencontre avec satisfaction ceux toujours frais et sourians de la Cerisaie*, des Lilas*, du Champ-de-l'Alouette*, des Acacias*, des Amandiers*, qui vous parle encore, au sein de la cité, d'air frais, de beau soleil, de riche verdure, ou de ceux qui racontent d'une façon comique les mœurs et usages du temps, comme les rues Brise-Miches*, Taille-Pain*, Vide-Gousset*, ou bien encore comme la rue de l'Echelle*, où l'on pendait les condamnés; la rue Guillorg, où l'on coupait les oreilles; la rue du Bouloi*, où on les faisait bouillir, et la rue de la Croix-du-Trahoir*, où on les écartelait.
De tous les points du Paris qui nous reste, la Cité, qui fut le berceau de la grande ville, la fameuse Lutèce d'autrefois, a encore conservé son caractère primitif. Cependant, sans remonter aux dates reculées du moyen âge, nous trouverions encore une différence inimaginable entre les rues d'aujourd'hui et celle de l'avant-dernier siècle seulement et sans aller plus loin, sous Louis XIV lui-même, ce monarque surnommé le grand, le magnifique, et dont le goût est passé en proverbe, on regardait comme une chose miraculeuse d'avoir découvert un moyen d'échapper à l'action délétère et empestée de l'air qu'on respirait à Paris.
Une sorte d'agent voyer écrivait à la louange du roi dans un rapport de police: " Ceux d'entre nous qui ont vu le commencement du règne de sa majesté se souviennent encore que les rues de Paris étaient si remplies de fange que la nécessité avait introduit l'usage de ne sortir qu'en bottes; et, quant à l'infection que cela causait dans l'air, le sieur Courtois, médecin, que demeurait rue des Marmousets*, a fait cette petite expérience, par laquelle on jugera du reste: il avait dans sa salle sur la rue, des gros chenets à pommes de cuivre, et il a dit plusieurs fois aux magistrats et à ses amis que tous les matins il les trouvait couverts d'une teinture vert de gris assez épaisse, qu'il faisait nettoyer pour faire l'expérience le jour suivant; et que depuis 1663, que la police du nettoiement des rues a été établie, ces taches n'étaient pas reparues."
Ainsi, au dix-septième siècle on citait à la gloire du grand roi un acte d'assainissement pratiqué aujourd'hui dans le dernier de nos hameaux sans que le moindre procès-verbal transmette à la postérité reconnaissante le nom du maire ou du garde champêtre ordonnateur de la mesure.
Pourtant, dès le douzième siècle, quelques rues de Paris commencèrent, il faut le dire, à devenir presque praticables. Philippe-Auguste ordonna qu'on y posât des pavés de grès gros et forts; mais pour avoir des dénominations officielles et certaines, car jusque là chaque rue n'avait dû son nom qu'au hasard, qu'au caprice ou au souvenir des individus, il fallut attendre encore jusqu'au 16 janvier 1728, jour où l'on plaça les premières inscriptions au coin des rues.
Le Salon littéraire, dimanche 2 avril 1843.
Nota de célestin Mira:
* La cour des Miracles:
* Paris, rue du Sabot en 1867:
* Pais, Île Saint-Louis, rue de la Femme sans Tête:
* Paris, rue du Chat qui Pêche:
* Paris, rue du Pet-au-Diable devenue rue du Tourniquet-Saint-Jean:
* Paris, rue du Grand-Hurleur: la rue du Grand-Hurleur située vers la porte Saint-Denis dans le 3ème arrondissement, est aujourd'hui disparue.
* Paris, rue Trousse-vache devenue rue de la Reynie:
Paris, rue Tire-Chappe, située dans le 4ème arrondissement, disparue en 1854:
* Paris, rue de la Cerisaie, en 1876:
* Paris, rue des Lilas:
* Paris, rue du Champ-de-l'Alouette:
* Paris, rue des Acacias:
* Paris, rue des Amandiers:
* Paris, rue Brise-Miche en 1911:
* Paris, rue Taille-Pain:
* Paris, rue Vide-Gousset:
* Paris, rue de l'Echelle:
* Paris, rue du Bouloi:
* Paris, la rue de la Croix-du-Trahoir située dans le 4ème arrondissement, est aujourd'hui disparue. La fontaine de la Croix du Trahoir nous rappelle son existence passée:
* Paris, rue des Marmousets, 1865:
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