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samedi 29 septembre 2018

Celles de qui on parle.

La Patti.


On ne sait comment appeler la célèbre cantatrice, tant elle a de fois changé de nom. Ses prénoms: Adèle-Jeanne-Marie ont été remplacé par celui d'Adelina. Née en Espagne de parents italiens, elle se rendit illustre sous le nom de Patti, qui était le leur. A vingt-cinq ans, elle épousa un Français, le marquis de Caux, écuyer de l'Empereur, c'était en 1868. Elle divorça pour épouser le ténor italien Nicolini, avec lequel elle s'installa en Angleterre. Mais le nom de Nicolini ne lui plaisait apparemment pas, car elle le troqua plus tard pour celui d'un baron suédois, M. Rudolph Cederstrom, dont elle devint la femme.
Mme Patti est, on le voit, d'un tempérament assez cosmopolite: elle a voulu faire des politesses à toute l'Europe. Encore n'ai-je rien dit de ses tournées qui l'ont conduite dans les pays les plus divers.



Il serait difficile de ne pas citer quelques chiffres quand on parle de cette artiste. Elle paraît s'entendre assez bien à soigner ses intérêts si l'on en juge par le prix courant de ses engagements qui, assure-t-on, se font sur le pied de 25.000 francs par soirée. C'est du moins le prix qui lui aurait été payé par un imprésario américain qui l'avait engagé pour soixante concerts à ce tarif. A cette occasion, une compagnie d'assurances du même continent assura sa voix pour 250.000 francs. C'était le moins qu'on pût faire pour une personne qui voyageait dans un train spécial dont la locomotive portait en lettres d'or le nom d'Adelina Patti. Pour compléter l'étiquette, on aurait pu ajouter: Vocalises de premier choix. Importation directe, mais on n'y pensa point. La tournée réussit tout de même et permit à Mme Patti d'ajouter quelques bijoux à sa collection qui, dit-on, ne vaut pas moins d'un million et demi de francs; Le chiffre est enviable et prouve que la diva s'est souvenue du conseil que lui donnait son illustre camarade l'Alboni: "Chante, c'est ton lot; tu es un rossignol; mais fais-toi payer, tu es femme."
Il y a presque un demi-siècle que la Patti a débuté, et ce fut pour elle un demi-siècle de triomphe. Elle avait seize ans quand elle se fit entendre la première fois en public, à New-York (1859); ses parents, qui étaient chanteurs et couraient le cachet, avaient hâte de la voir gagner sa vie. C'est son beau-frère Maurice Strakosch, qui fit son éducation musicale. Les leçons portèrent si bien leurs fruits que la jeune artiste devait plus tard étonner Rossini par sa science musicale autant que par le charme de sa voix.
Dès qu'elle parut au théâtre italien, en 1862, la Patti fut l'idole de Paris. Sa beauté égalait son talent et ce sont là deux choses qui ne laissent jamais indifférent le public parisien. Elle ne quitta la France qu'en 1870, sauf quelques absences momentanées, notamment en 1869, pour une tournée à Saint-Pétersbourg, où son succès fut aussi très vif: les journaux russes disaient qu'on l'avait rappelée trente-huit fois dans une même soirée.
Quand ces hommes du Nord se mettent à avoir de l'enthousiasme, ils n'y vont pas de main-morte; après tout, cette nouvelle était peut-être un canard, car ils en ont, même en Russie.
Depuis de longues années, la Patti est fixée en Angleterre. Elle possède à Craig-y-Nos (pays de Galles) un magnifique château qui renferme un théâtre où la prima-donna veut bien encore se faire applaudir de temps en temps. Elle a même consenti, voici quelques semaines, à chanter devant un phonographe, ce qu'elle a toujours refuser de faire, dans la crainte que la reproduction ne fut trop imparfaite. Quelle raison a pu vaincre sa répugnance? Un pressant besoin d'argent? Les perfectionnements des phonographes? Ou n'est-ce pas plutôt que la Patti a compris tous les services que ces appareils pouvaient rendre aux voix qui sont près du déclin, en endossant au besoin les défaillances de l'artiste? Je croirais volontiers la diva capable d'avoir fait ce calcul innocent, plus facile que celui de sa fortune; pour celui-ci, elle a auprès d'elle un jeune homme qui s'y entend assez bien: M. Cederstrom, son mari.

                                                                                                                                  Jean-Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 28 mai 1906.


Nota de Célestin Mira:




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