Mlle Polaire.
S'il est vrai, comme le laisse entendre l'Ecriture, que la femme n'est qu'une côtelette qui a réussi, je croirais volontiers, en voyant Mlle Polaire, qu'il s'agit d'une côtelette à manche.
Aucune femme au monde ne peut mieux que cette artiste nous donner une idée approchée de ce qu'était le beau sexe au temps du mammouth et de l'ignanodon. Il ne viendra à l'idée de personne que la nature ait pu créer du premier coup cette merveille de grâce et d'harmonie qu'est la silhouette d'une jolie femme. (Je ne fais pas de personnalité, mais si Mlle Jeanne Bloch se reconnait, j'en serait fort aise.) Pareil résultat n'a dû être atteint qu'après des tâtonnements, des ébauches, sortes d'épreuves avant la lettre, dont Mlle polaire représente assez bien un spécimen. Elle a tout de la femme, mais, pour ainsi dire, en promesse. Si on lui enfonçait un bonnet de nuit jusqu'au cou, elle pourrait tourner autour d'elle, sans jamais savoir si elle se présente de dos, de face ou de profil.
Mlle Polaire a très habilement tiré parti de ses avantages physiques et de ses trente-sept centimètres de tour de taille*. Ayant eu l'idée, après avoir chanté à la Scala, de faire du théâtre, elle ne s'avisa pas d'interpréter le rôle de Phèdre ou celui de la Dame aux Camélias, qui exigent une comédienne adulte. Elle parut dans le personnage de Claudine*, sorte de fillette ou de femmelette en jupes courtes, puis dans celui du Friquet*, saltimbanque en maillot, et l'un et l'autre rôle lui valurent la faveur du public.
Le Friquet surtout fut applaudi: on aimait à voir Polaire, d'abord vêtue de vraies loques, se transformer en amazone, en acrobate, en danseuse, voire en jeune fille du monde, une jeune fille qui fait tranquillement la roue en public. Mlle Polaire assure même, mais je ne me porte pas garant du fait, que trois peintres, tous trois célèbres, désirant faire son portrait dans ce rôle, n'avaient pas encore pu, après plus de cinquante représentations, décider dans lequel des sept costumes ils la représenteraient.
C'est sous les auspices de Willy, auteur de Claudine à l'école et du Friquet, que Polaire fit ses débuts au théâtre. Polaire, M. et Mme Willy, étaient alors inséparables. On ne rencontrait pas l'un sans les deux autres; Mme Colette Willy copiait les costumes et la coiffure de son amie, et l'auteur de Claudine* paraissait tirer autant de fierté de son bras droit, qui supportait Mme Willy, que de son bras gauche, où était accrochée Polaire*.
Ces jours de concorde et de paix sont passés. Willy n'écrira plus pour Polaire. Polaire ne jouera plus pour Willy. C'est une nouvelle séparation dont la France s'afflige.
Mais que les âmes sensibles ménagent leur attendrissement: Mlle Polaire est à l'abri du besoin, et si les engagements de théâtre lui faisaient défaut, il lui resterait ceux du Mont-de-Piété, dont elle connait le chemin et où elle emprunta naguère la modique somme de quarante-cinq mille francs sur des bijoux qui en valaient peut être dix fois plus. Cette affaire se termina d'ailleurs en correctionnelle, un marchand ayant disposé de la reconnaissance qui avait été engagée à son tour. Tant qu'il restera à Mlle Polaire quelques écrins de ce prix, sa subsistance sera assurée. Quant à elle, elle espère bien remplir encore ses coffrets et si elle a quitté son nom vrai: Pauline Dufleuve, ce n'est pas par dédain pour les rivières... de diamants.
Jean-Louis.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 15 avril 1906.
Mais que les âmes sensibles ménagent leur attendrissement: Mlle Polaire est à l'abri du besoin, et si les engagements de théâtre lui faisaient défaut, il lui resterait ceux du Mont-de-Piété, dont elle connait le chemin et où elle emprunta naguère la modique somme de quarante-cinq mille francs sur des bijoux qui en valaient peut être dix fois plus. Cette affaire se termina d'ailleurs en correctionnelle, un marchand ayant disposé de la reconnaissance qui avait été engagée à son tour. Tant qu'il restera à Mlle Polaire quelques écrins de ce prix, sa subsistance sera assurée. Quant à elle, elle espère bien remplir encore ses coffrets et si elle a quitté son nom vrai: Pauline Dufleuve, ce n'est pas par dédain pour les rivières... de diamants.
Jean-Louis.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 15 avril 1906.
Nota de célestin Mira:
* Mlle Polaire:
* Polaire dans Claudine , de Willy, 1902.
* polaire dans le Friquet de Willy, 1904.
Polaire dans un scène du Friquet. |
* Claudine à l'école est un roman paru en 1900 sous le nom de Willy , mais en fait écrit probablement par sa femme Colette. Ce roman provoqua un énorme scandale. Il eut de nombreux tirages, d'abord sous le nom de Willy, puis de Colette et Willy, puis enfin de nos jours sous le nom de Colette. Le roman fut adapté au cinéma, en 1978, par Edouard Molinaro et même en bandes dessinées par Lucie Durbiano.
Marie Hélène Breillat dans Claudine à l'école de Molinaro. |
Claudine à l'école, BD de Lucie Durbiano. |
* Willy obligeai Colette et Polaire a se coiffer et s'habiller de la même façon. Il appelait les deux femmes ses "twins";
Willy et ses "twins", Colette et Polaire. (au vu de la taille, on devine aisément que Polaire est debout et Colette assise!) |
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