Translate

jeudi 19 juillet 2018

Un omnibus automobile.

Un omnibus automobile.

Paris vient de faire accueil aux premiers omnibus automobiles*. Quelque chose, dans la physionomie de la capitale, disparaîtra avec les vaillantes bêtes qui, depuis mars 1662, traînaient les "carrosses à cinq ou six sous". Lorent reconnaissait, dès l'origine,

Que c'étaient des chevaux point rosses
Mais qui pouvaient, à l'avenir,
Par leur travail, le devenir.

Sous la Restauration, on célébrait encore l'avantage des omnibus sur les fiacres, dont les cochers,

Ivres-morts, exigeaient un odieux pourboire.

Les premiers cochers d'omnibus étaient superbes, sanglés dans leur casaque bleue, avec les armes du roi et de la ville sur l'estomac, un galon aurore, blanc et rouge sur les coutures. Leurs voitures n'avaient que huit places. On les distinguait, non par un numéro banal, mais par le nombre des fleurs de lis qu'ils affichaient. Les départs avaient lieu toutes les sept minutes de six heures du matin à six heures du soir, avec une longue halte de onze heures à deux heures et demie. Le public avait le droit de faire arrêter les véhicules, soit pour descendre, soit pour monter, quand une place restait vide.
Mais les automédons étaient déjà grincheux et faisaient la sourde oreille. Les voyageurs mécontents pouvaient transmettre leurs griefs aux commis des voitures.
La "correspondance" ne date que de 1834 et les "banquettes d'impériale" de 1853.

A l'eau! l'omnibus.

Les premiers omnibus, en certains quartiers du moins, déchaîner une émeute. Le petit peuple les poursuivit à coup de pierres. Il injuriait ces coches nouveaux où ni laquais, ni page, ni manœuvres, ni soldats, n'avaient le droit de monter. On jugea prudent de loger, dans chaque omnibus, un garde de M. le grand prévôt. Les archers municipaux et des hommes à cheval surveillaient la route;
Mais peu à peu, l'effervescence se calma. Sur le Pont-Neuf, les badauds vinrent faire la haie. Ils laissaient éclater leur enthousiasme. Tous les omnibus étaient pleins. A la porte Saint-Merry, dans la rue de la Verrerie, la sœur de Blaise Pascal eut le déplaisir, le 21 mars 1662, d'en voir passer cinq, sans réussir à y trouver une place.
Par économie, les gens qui ne voulaient pas faire la dépense d'une chaise à porteur, d'un fiacre ou d'un carrosse, louaient un omnibus; ils réclamaient abusivement huit places pour six personnes. Ils malmenaient méchamment ceux qui voulaient s'introduire dans leur compagnie.
Un préjugé menaça quelque temps la vogue des omnibus: par sotte vanité, tels bourgeois ou tels gentilshommes avaient peur de s'y asseoir.
Les gens de loi, les premiers, passèrent outre: et, par exemple, des auditeurs et maîtres des comptes, des conseillers du Châtelet et de la cour des aides. Le monde du Palais se laissa gagner.
Quand le duc d'Enghien et Louis XIV lui-même en eurent fait usage, les courtisans s'inclinèrent. Et pourtant, sous Charles X, quelque chose de la défaveur de jadis s'attachait encore aux omnibus. Il fallut, pour en avoir raison, une fantaisie de la duchesse du Berry. Elle paria qu'elle traverserait Paris dans l'une de ces voitures. Elle tint parole. En descendant, elle révéla son incognito: elle donna au conducteur, non pas 25 centimes, prix de la place, mais le prix du pari qu'elle venait de gagner: 25 louis. c'était vraiment un royal pourboire!*

                                                                                                                       G.-D. F.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 3 septembre 1905.

* Nota de Célestin Mira:










Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire