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mercredi 18 juillet 2018

La canne universelle.

La canne universelle.


La canne porte-cigare, la canne d'arpenteur, la canne-trousse, la canne-brosse, revolver, gobelet, siège, table, en un mot la canne universelle! L'être primitif qui, il y a des milliers de siècles cassa ou ramassa une branche d'arbre pour s'aider à marcher, eût-il jamais pu soupçonner pareil prodige! Et pourtant le "gourdin préhistorique" est devenu tout cela.
C'est que la canne a totalement changé de destination. Autrefois légère badine aux mains des seigneurs ou des oisifs, elle servait à donner une contenance à son propriétaire et au besoin à écarter de son passage les chiens trop entreprenants. Elle n'était arme de défense qu'aux mains des voyageurs qui parcouraient à pied les routes mal fréquentées. Aujourd'hui on se sert, contre les malfaiteurs, de moyens de défense plus efficaces, aussi a-t-il fallu que la canne changeât d'usage et résumât, pour l'homme actif et pressé, tout un encombrant bagage.

Cannes pour fumeurs.

Voici la canne porte-cigare dont la pomme représente une tête de canard. Cette tête est trouée dans toute sa longueur, c'est à dire de l'occiput au bec. Le promeneur veut-il fumer? Il place son cigare dans le trou de l'occiput (fig 1) et le bec dans sa bouche. Veut-il rendre la canne à son usage naturel? Il n'a qu'à retirer le mégot.




Il existe d'autres cannes dont la poignée, ne représentant aucune tête de palmipède, mais formant simplement un angle droit avec le manche, est creuse et contient un cigare (fig 2) que le fumeur aura mis en réserve et qui peut réparer une absence de mémoire s'il oublie, en sortant de chez lui, de se munir de son étui à cigare.




Après la canne select pour les fumeurs de cigare, la canne plus démocratique pour les fumeurs de pipe. Le corps de la canne percé d'un bout à l'autre, forme le tuyau de la pipe, dont le fourneau se trouve placé dans la poignée qu'on dévisse. Cette pipe simple et pratique rappelle à s'y méprendre les célèbres les célèbres calumets que fumaient les Peaux-Rouges. Cette canne pipe, qui eut pour un temps un grand succès en Angleterre, était d'un tirage doux et très frais, du fait de sa longueur. Pour la facilité du nettoyage, on la segmentait souvent en plusieurs longueurs se vissant l'une à l'autre. Les raccords étaient absolument invisibles.


Autres cannes.

Il y a aussi la canne-lampe, dont la poignée se trouve remplacée par une pomme creuse, divisée horizontalement en deux parties. A l'intérieur se trouve une petite lampe ronde à alcool, munie d'un couvercle (fig 3), pouvant donner lumière ou chaleur à volonté.
L'arpenteur se servira de la canne au mètre (fig 5); le médecin pourra introduire bistouris, ciseaux et même médicament dans le "gosier" de sa conne transformée en trousse (fig 6). Le géologue peut loger son marteau explorateur et briseur (fig 4) avec ses coins dans l'intérieur de la canne. A moins qu'il ne préfère se servir de la canne dont la poignée même forme marteau (fig 7) et dont le corps est en frêne poli.




Car le corps de la canne peut être en toute sorte de bois, en frêne, en chêne, en ébène, en cerisier, etc, tout comme la poignée peut affecter toutes les formes et servir à tous les usages.
Désirez-vous, la chose peut avoir son intérêt, vous assurez que votre demeure ou un mur que vous faite ou avez fait construire conserve sa verticale et ne menace pas de s'écrouler?
Vous employez la canne de l'architecte (fig 8), contenant dans sa poignée A, vissée sur la monture B, une chambre creuse C, D, où se trouve un fil à plomb F, terminé à un bout par un anneau E, à l'autre une petite boule de métal G, qui assurera la perpendiculaire. 



On passe l'anneau dans dans le corps de la canne tenue horizontalement et le fil pendant H vous donnera la perpendiculaire.
Faut-il mentionner la canne porte-encrier (fig 9) contenant également le porte-plume? la canne porte-gobelet (fig 10), qu'ignorait le cynique Diogène, puisqu'il se servait du creux de sa main, insoucieux des microbes qui élisent domicile sur notre épiderme.
Diogène, qui devait se peigner avec ses doigts et qui s'en servait aussi comme de couvert, eût non moins dédaigné la canne porte-peigne et celle qui se démonte en fourchette, couteau et tire-bouchon (fig 13).



La canne-siège, pliante et formant trépied (fig 11), servira à éviter aux personnes sensibles à l'humidité le contact du sol. Et c'est surtout une protection pour les toilettes élégantes des dames.


La canne-bougeoir (fig 14) est très commode et très pratique pour rentrer chez soi le soir, quand le gaz est éteint. L'embout de métal qui se glisse sur la bougie sert à la protéger.
La canne de peintre (fig 17) simplifie le bagage de celui qui va courir les champs et les bois.



La canne-table (fig 15) est d'une grande utilité en voyage et même en chemin de fer.



Autre canne de voyage pour ceux qui s'exposent à de longues ou courtes traversées: la canne de sauvetage (fig 15 bis) avec parachute et bouée.
Enfin la canne porte-paquets (fig 16) sera apprécié par tous les maris dont une des corvées est de porter les paquets.


Pour voir et pour aveugler.

Veut-on augmenter sa puissance de vision?
On emporte la canne-télescope (fig 19) que nous montre la figure ci-dessous. Veut-on, au contraire, affaiblir la vision d'un autre? 


La poignée de la canne étant creuse, on la remplit de poivre qu'on souffle délicatement à la figure de l'individu qui vous accoste. très recommandé à ceux qui craignent les attaques nocturnes.
Quelques policemen de Londres et de New-York sont porteurs d'appareils de ce genre.

Comme le sabre de M. Prudhomme.

La canne sert à tous, aux malfaiteurs pour attaquer les honnêtes gens comme aux honnêtes gens pour se défendre contre les malfaiteurs, aux contrebandiers pour passer en fraude tabac, cigares, cigarettes, allumettes,etc., comme aux détectives se servant de la canne photographique, lumineuse ou électrique.
Par la multiplicité de ces usages, la canne surpasse le légendaire sabre de M. Prudhomme, qui servait à défendre les institutions et au besoin, à les combattre.

Les cannes défensives.

Par ce temps d'apaches renouvelant la nuit sur les boulevards extérieurs les exploits d’Oeil de Faucon ou de Griffe d'Ours dans la grande prairie américaine, parlons un peu des cannes défensives.
Tout le monde connait la canne à épée dont l'homme pacifique peut être obligé de se servir ente minuit et deux heures du matin. Lorsque le nocturne agresseur se précipite sur vous, présentez-lui le bout de votre canne, comme si vous étiez un escrimeur cherchant à lui porter un coup droit. Instinctivement, il saisira l'extrémité de la canne qui se séparera alors, pour peu que vous appuyiez sur le bouton, en deux parties: le fourreau et la lame. Et tandis que le fourreau restera sans résistance entre les mains de l'individu ébranlé par son faux mouvement, vous présenterez à sa poitrine la lame nue.
Mais si l'arme blanche ne vous dit point, vous avez la canne-revolver (fig 18) et la canne-fusil . Dans cette dernière, la tige est creuse, formant tube, et l'on y place la cartouche près de la poignée qui s'entr'ouvre, permettant ainsi le chargement par la culasse. Dans cette poignée se trouve le ressort et le chien ou l'aiguille qui doit frapper sur l'amorce de la cartouche. La gâchette se trouve à l'angle de la poignée et de la tige: un mouvement du doigt suffit pour faire partie le coup. Un autre genre de canne défensive: la canne électrique, on appuie le doigt sur un ressort et un jet lumineux intense aveugle les malfaiteurs. La canne contient une très forte pile sèche.
Mais il existe encore un usage de la canne fort en honneur à Paris.
Assis à la terrasse d'un café, vous êtes tout étonné de remarquer parmi les pauvres hères qui défilent devant vous, certains individus très déguenillés, très miséreux et porteurs de cannes. Cette canne est le gagne-pain de votre pauvre diable. Un clou très pointu la termine. Soudain la canne, adroitement lancée sous votre table, glisse entre vos jambes, l'homme la redresse en empoche ce qu'elle a ramassé. Cette canne pique sur le sol les cigarettes inachevées: le vagabond parisien a créé la canne ramasse-mégots.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 3 septembre 1905.

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