L'homme-sandwich.
Vous le connaissez tous, gens de Paris, le misérable placard ambulant que la blague publique a baptisé de ce surnom. Vous avez tous rencontré, par les voies les plus encombrées, ces habits à basques, de couleur indécise, flanqués d'un panneau où se détache en lettres flamboyantes le titre de la revue de concert: la mode.
La plupart du temps, les habits vont par groupes et les panneaux se déplacent parallèlement, ce qui ne veut pas dire qu'ils se rencontreront qu'à l'infini; vous n'aurez pas besoin de les suivre jusque là pour les voir, arrêtés au seuil d'un débit, composer les figures les plus compliquées de la géométrie dans l'espace et la spirituelle revue Ça boulotte! fraterniser, verre en main, avec la non moins fine revue Au beuglant, Fernand!
Habitué à ce qu'on lui fasse place, car nul ne se soucie d'être giflé par son appendice encombrant, même si les traits de quelque gracieuse ballerine y sont représentés, l'homme-sandwich a de la fierté. Il a raison. Il est payé pour ne vendre aucun service. Il est payé pour marcher. Une réclame a-t-elle besoin de marcher! Non; l'essentiel pour une réclame, c'est de frapper le plus de regards possible. Or, personne ne soutiendra sérieusement qu'Henri IV, par exemple, ait rencontré plus de monde pendant toute sa vie que sa statue n'en voit passer en dix ans sur le Pont-Neuf.
Pourtant, à tout prendre, l'homme-sandwich a peut-être sa raison d'être; il eut sans doute pour inventeur un psychologue averti, qui remarqua qu'on ne prête aucune attention aux objets qu'on a coutume de voir; l'homme-sandwich, en interceptant à l'improviste un coup d’œil que vous destiniez à quelque portail gothique, vous apprend bon gré mal gré que les onze sœurs Kam Isoll débutent le soir même.
Nul ne peut dire où s'arrêtera l'ingéniosité de la réclame pour frapper l'attention des malheureux promeneurs. Tous les moyens sont bons: le soir, d'aveuglantes combinaisons de feux multicolores et intermittents rendent la traversée des boulevards plus dangereuse qu'un débarquement à la pointe du Raz; dans le jour, des miroirs oscillants vous renvoient rythmiquement dans les yeux les rayons du soleil. A quand le pétard avertisseur?
En attendant ce progrès inévitable, je ne puis m'empêcher de signaler aux pouvoirs publics un moyen sûr de remédier, sans bourse délier, à l'insuffisance reconnue de la police. Il n'en coûterait rien d'augmenter le nombre des agents, si l'on pouvait simplement les munir de l'appareil dit sandwich.
Tout en arpentant leur îlot, les braves sergots feraient de la publicité pour la Boîte à Nini et leur équipement justifierait enfin une légendaire impassibilité.
Jean-Louis.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 3 septembre 1905.
Nota de célestin Mira:
Habitué à ce qu'on lui fasse place, car nul ne se soucie d'être giflé par son appendice encombrant, même si les traits de quelque gracieuse ballerine y sont représentés, l'homme-sandwich a de la fierté. Il a raison. Il est payé pour ne vendre aucun service. Il est payé pour marcher. Une réclame a-t-elle besoin de marcher! Non; l'essentiel pour une réclame, c'est de frapper le plus de regards possible. Or, personne ne soutiendra sérieusement qu'Henri IV, par exemple, ait rencontré plus de monde pendant toute sa vie que sa statue n'en voit passer en dix ans sur le Pont-Neuf.
Pourtant, à tout prendre, l'homme-sandwich a peut-être sa raison d'être; il eut sans doute pour inventeur un psychologue averti, qui remarqua qu'on ne prête aucune attention aux objets qu'on a coutume de voir; l'homme-sandwich, en interceptant à l'improviste un coup d’œil que vous destiniez à quelque portail gothique, vous apprend bon gré mal gré que les onze sœurs Kam Isoll débutent le soir même.
Nul ne peut dire où s'arrêtera l'ingéniosité de la réclame pour frapper l'attention des malheureux promeneurs. Tous les moyens sont bons: le soir, d'aveuglantes combinaisons de feux multicolores et intermittents rendent la traversée des boulevards plus dangereuse qu'un débarquement à la pointe du Raz; dans le jour, des miroirs oscillants vous renvoient rythmiquement dans les yeux les rayons du soleil. A quand le pétard avertisseur?
En attendant ce progrès inévitable, je ne puis m'empêcher de signaler aux pouvoirs publics un moyen sûr de remédier, sans bourse délier, à l'insuffisance reconnue de la police. Il n'en coûterait rien d'augmenter le nombre des agents, si l'on pouvait simplement les munir de l'appareil dit sandwich.
Tout en arpentant leur îlot, les braves sergots feraient de la publicité pour la Boîte à Nini et leur équipement justifierait enfin une légendaire impassibilité.
Jean-Louis.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 3 septembre 1905.
Nota de célestin Mira:
Affichage à Paris. |
Fausses publicités vers 1900. |
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