Les almanachs révolutionnaires.
* Calendrier républicain:
* Jugement dernier des Rois de Sylvain Maréchal:
* Sylvain Maréchal fut condamné, en 1788, à quatre mois de prison pour avoir, dans son almanach, substitué les noms des saints ceux de personnages célèbres.
A noter que Sylvain Maréchal était profondément misogyne puis qu'il est l'auteur d'un projet de loi portant interdiction d'apprendre à lire aux femmes!
* Deux pages du Calendrier républicain de Sylvain Maréchal:
* Dictionnaire des Athées de Sylvain Maréchal:
* Almanach d'Aristide pour l'an III (source BNF):
Nous avons sous les yeux, en ce moment, un assortiment fort piquant et surtout très peu commun, voire même unique, ou il ne s'en faut guère; ce sont des almanachs du temps de la première révolution et de la terreur.
A cette belle époque si brillamment inaugurée par messieurs les vainqueurs de la Bastille, que les conservateurs d'aujourd'hui se sont empressés de pensionner à nos frais, le calendrier lui-même avait subi, comme on sait, la loi du progrès régénérateur.
Au milieu de cette vaste réforme des anciens abus, prêchée par l'éloquence du couperet, l'astronome de Liège* ne pouvait se flatter de rester inamovible sur son observatoire. On vous le destitua, on vous le mit hors la loi, on vous le traita comme un ci-devant. Nous sommes étonnés que le soleil et la lune n'aient pas été aussi déchus de leurs titres et de leurs fonctions. Il paraît que l'on n'avait pas encore besoin d'eux.
Nous avons d'abord l'honneur de vous présenter l'Almanach du Père Duchesne, pour l'an 1790. Quelques adorateurs de cette aimable révolution veulent bien convenir que la dame de leurs pensées se permit certaines petites licences un peu fortes, quand elle fut devenue majeure, quand elle eut tout-à-fait la bride sur le cou. Mais 1789! 1790! 1791! Les beaux jours de l'assemblée nationale, de l'assemblée constituante! C'était un nouvel âge d'or, tout plein de candeur et d'innocence! Par malheur, dans cet âge d'or on pillait et l'on brûlait beaucoup, l'on assassinait pas mal, et l'on publiait, sans le moindre obstacle, dans le goût de cet Almanach du Père Duchesne, dont le style était aussi énergique, dès 1790, qu'il fut trois ou quatre ans après*.
Le calendrier est-il dit sur le titre, a subi des changemens notables. Très notables, en effet, car ce n'est rien moins que l'intronisation complète d'une nouvelle légende, substituée aux saints du fanatisme et de la superstition. Le personnel de cette légende perfectionnée se compose de tous les grands hommes de l'assemblée nationale.
Le Père Duchesne intitule son almanach: Ouvrage b... ment patriotique*. Le mot y est en toutes lettres. Chaque phrase répondant au patriotisme expressif de ce début, on est obligé de s'abstenir de citer. Mais vous croiriez sans peine, sur notre parole, que les idées sont à hauteur du style.
Les anciens bienheureux n'étant pas encore officiellement supprimés, et les nouveaux se voyant exposés, d'une législature et même d'une séance à l'autre, à passer du Capitole aux gémonies, ce qui ne laissait pas que d'avoir de légers inconvéniens, nous retrouvons, provisoirement, les saints du vieux calendrier en tête de l'Almanach du père Gérard pour l'année 1793, troisième de la liberté*, "ouvrage qui a remporté le prix proposé par la société des amis de la constitution, séant aux Jacobins, à Paris." Un tel suffrage doit être une recommandation bien puissante, surtout si l'on se rappelle quels personnages de marque se faisait gloire de siéger au sein de cette assemblée. L'huissier des Jacobins, en particulier, nous en sommes convaincus, arrangea sur ses lèvres son sourire le plus gracieux, et tendit sa main le plus affectueusement du monde, quand il eut la flatteuse mission d'introduire dans la salle l'heureux lauréat: d'autant que l'écrivain honoré de cette brillante couronne était J.-M. Collot-d'Herbois, membre de la société, ni plus ou moins.
Le rapporteur de la commission chargée de l'examen des ouvrages envoyés au concours fut (nous en sommes bien fâchés pour sa mémoire) Dussaulx, le traducteur de Juvénal! Il faut voir, dans son rapport imprimé à la fin de l'almanach en question, les éloges personnels dont il accablait ce bon, ce digne, cet ingénieux citoyen, Collot, autrement dit; comment, en fait de qualité de style, il met la voix du patriotisme bien au dessus de l'exactitude grammaticale, de la mesure, de la réserve, de la politesse des esclaves. Cela signifie que la plupart des concurrents ne savaient ni le français, ni l'orthographe. Mais sous le règne de la liberté, la grammaire était considérée comme une aristocratie. Ne soyez donc pas surpris si les Brutus de l'époque ne voulaient avoir rien de commun avec elle.
Un coup d’œil, s'il vous plait, pour la gravure qui orne le coquet in-24 du citoyen Collot-d'Herbois. Elle représente le vénérable père Gérard, vieillard à cheveux blancs, assis sous une treille, à la porte de sa chaumière, comme un vrai patriarche de mélodrame ou d'opéré-comique, et débitant à des villageois attendris ses civiques enseignemens. Le bonnet rouge était essentiellement sentimental et champêtre. La littérature sans-culotte, la rhétorique de club, a dépensé, en quelques années, cent fois plus de phrases sur la vertu et la nature que l'on en trouverait dans tous les écrivains moraux et les poètes bucoliques des temps anciens et modernes. Saint-Just, s'il faut en croire le portier républicain de M. Cagnard, ne fredonnait-il pas avec délices: Baisez, baisez, petits oiseaux! La guillotine n'avait-elle pas son Anachréon dans Barrère? Robespierre lui-même, qui nous a laissé des petits vers fort galamment troussés, était loin de haïr la musette pastorale, et en sa qualité d'homme vertueux, il aimait à voir lever l'aurore.
Nous n'avons pas besoin de vous dire quel esprit anime les douze entretiens de ce digne père Gérard, qui a Collot d'Harbois comme secrétaire. Il nous suffira de vous citer un couplet de la chanson patriotique qui couronne agréablement le volume:
Le rapporteur de la commission chargée de l'examen des ouvrages envoyés au concours fut (nous en sommes bien fâchés pour sa mémoire) Dussaulx, le traducteur de Juvénal! Il faut voir, dans son rapport imprimé à la fin de l'almanach en question, les éloges personnels dont il accablait ce bon, ce digne, cet ingénieux citoyen, Collot, autrement dit; comment, en fait de qualité de style, il met la voix du patriotisme bien au dessus de l'exactitude grammaticale, de la mesure, de la réserve, de la politesse des esclaves. Cela signifie que la plupart des concurrents ne savaient ni le français, ni l'orthographe. Mais sous le règne de la liberté, la grammaire était considérée comme une aristocratie. Ne soyez donc pas surpris si les Brutus de l'époque ne voulaient avoir rien de commun avec elle.
Un coup d’œil, s'il vous plait, pour la gravure qui orne le coquet in-24 du citoyen Collot-d'Herbois. Elle représente le vénérable père Gérard, vieillard à cheveux blancs, assis sous une treille, à la porte de sa chaumière, comme un vrai patriarche de mélodrame ou d'opéré-comique, et débitant à des villageois attendris ses civiques enseignemens. Le bonnet rouge était essentiellement sentimental et champêtre. La littérature sans-culotte, la rhétorique de club, a dépensé, en quelques années, cent fois plus de phrases sur la vertu et la nature que l'on en trouverait dans tous les écrivains moraux et les poètes bucoliques des temps anciens et modernes. Saint-Just, s'il faut en croire le portier républicain de M. Cagnard, ne fredonnait-il pas avec délices: Baisez, baisez, petits oiseaux! La guillotine n'avait-elle pas son Anachréon dans Barrère? Robespierre lui-même, qui nous a laissé des petits vers fort galamment troussés, était loin de haïr la musette pastorale, et en sa qualité d'homme vertueux, il aimait à voir lever l'aurore.
Nous n'avons pas besoin de vous dire quel esprit anime les douze entretiens de ce digne père Gérard, qui a Collot d'Harbois comme secrétaire. Il nous suffira de vous citer un couplet de la chanson patriotique qui couronne agréablement le volume:
Nos droits sont dans la nature,
La raison les recouvrera.
Ils ne craignent pas l'injure
D'un coup de vent ni d'un rat.
Mais aussi, c'est la nature
Qui dans nos cœurs les grava.
Ceci est de la gaîté révolutionnaire, et de la meilleure.
Pour aller de plus en plus fort, comme chez Nicolet, voici le Calendrier des Républicains pour 1793*. (A la fin de 1792, quand ce calendrier s'imprimait, l'ère républicaine n'était pas encore décrétée.) L'auteur est Sylvain Maréchal. On lui doit également, si nous ne sommes pas dans l'erreur, le Jugement dernier des Rois et des Prêtres*, gracieuse plaisanterie dramatique, où l'on voyait, au dénouement, tout ce qui portait diadème, tiare ou mitre, englouti par un tremblement de terre, noyé dans les flots débordés, ou dévoré par les flammes d'un volcan, nous ne savons plus lequel des trois.
Dès 1788, Sylvain Maréchal, pelotant avec la partie, s'était avisé d'un certain Almanach des Honnêtes gens*, dans lequel les personnages célèbres de l'histoire profane ancienne et moderne étaient substituées aux saint de l'Eglise. La justice eut l'esprit assez mal fait pour prendre en mauvaise part cette gentillesses philosophique. Malheureusement, elle en tolérait bien d'autres; et d'ailleurs, rassurez-vous, Sylvain Maréchal en fut quitte à très bon marché. Après que la révolution fut venue donner libre cours à son génie progressif, Maréchal ne manqua pas de ressusciter une si brillante création. Son Calendrier des Républicains* nous offre un salmigondis très bouffon, philosophes et écrivains, héros ou prétendus tels de tous les pays, Coriolan et Voltaire, Timoléon et Tournefort, Epicure et le Tasse, Confucius et l'abbé de Saint-Pierre, Thasibule, qui chassa les trente tyrans d'Athènes, et Chamousset qui inventa la petite poste, deux illustrations d'un genre assez différent. Les saintes ne sont pas oubliées, saintes d'espèce originale, la tendre Héloïse, par exemple. Spinosa et Boindin, célébrités de l'athéisme, ne pouvaient être omis par Sylvain Maréchal, lui qui a fait un Dictionnaires des Athées*, où il se glorifiait de mérité place. C'est ce dictionnaire que l'astronome Lalande s'est contenter de revoir et de corriger.
Prenons à tout hasard, dans le calendrier de Maréchal, un mois quelconque, le mois d'août, surnommé le Mois des Républicains:
Jeudi 1-Mutius Scevola
V. 2 - Condillac.
S. 3 - Dollet, martyr.
D. 4 - Abolition de la féodalité.
L. 5 - Tullia, fille de Cicéron.
M. 6 - Anaxagore.
M. 7 - Mallebranche.
J. 8 - Homère.
V. 9 - Dryden.
S. 10 - Siège et prise du château des Tuileries.
D. 11 - Doria, Génois.
L. 12 - Barclay.
M. 13 - Fra Paolo.
M. 14 - Camille, général Romain.
J. 15 - Antonius Urceus
V. 16 - Mme darcier
S. 17 - Bernouilli.
D. 18 - Abou-hanifah, successeur de Mahomet.
L. 19 - Pascal.
M. 20 - Décl. des droits de l'homme.
M. 21 - Lope de Vega.
J. 22 - Aboulola, premier poète des Arabes.
V. 23 - Liberté des opinions.
S. 24 - Liberté de la presse.
D. 25 - L'amiral de Coligny.
L. 26 - Fairfax.
M. 27 - Thompson.
M. 28 - Washington.
J. 29 - Timon le Misanthrope.
V. 30 - L'abbé de Lépée.
S. 31 - Ossian.
Que vous semble de la fête de la Liberté des opinions en 1793 ? Nous osons à peine ajouter que, dans cet incroyable chaos, un délire sacrilège a placé Jésus-Christ, en qualité de philosophe, de martyr, avec Mahomet et Diogène, sans préjudice d'infâmes couplets, où l'impiété parle le langage le plus cynique.
Pour ce qui est du petit Catéchisme à l'usage des grands enfants, où l'auteur prêche les doctrines du jour sous forme de dialogue, contentons-nous de cette demande et de cette réponse: "Que faut-il faire pour être patriote? - Couper le pouce droit aux aristocrates et la langue aux mauvais prêtres." La recette est énergique. Encore ne se bornait-on pas au pouce et à la langue.
Mais nous arriverons enfin au calendrier républicain pur, complet et officiel. Feuilletez, s'il vous plait, l'Almanach d'Aristide pour l'an III de la république*, présenté à la Convention nationale, et édité par Caillot, imprimeur-libraire, rue du Cimetière-des-Arcis. Vous savez que, vu la suppression des saints, on disait la rue Antoine, le rue Denis. L'auteur de l'Almanach d'Aristide est le citoyen Bulard, de la section Brutus. Nous regrettons vivement de n'avoir aucun autre détail sur le citoyen Bulard, mais nous sommes persuadés que la section de Brutus le comptait parmi ses plus beaux ornemens, et que la carmagnole lui allait à merveille.
Sur le titre de l'Almanach d'Aristide, on lit cet épigraphe tirée de Fénelon: Heureux le peuple qui a des vertus! Quels doux agneaux que ces messieurs les sans-culotte, et comme ils devaient se reposer, en effet, dans le calme et la félicité pure que donne une bonne conscience! Néanmoins, ce pauvre Fénelon, qu'il leur avait plu d'adopter et de traîner triomphalement sur les planches (voire certaine rapsodie de Marie-Joseph Chénier*), n'entendait-il pas absolument les vertus à la manière de Couthon et de Marat. Aussi n'est-il pas douteux que, s'il eût vécu sous leur règne, ces braves gens-là auraient fait sauter sa tête comme celle de son digne parent, l'apôtre des petits savoyards.
Ici encore on se trouve, dès le frontispice, en pleine idylle. Contemplez l'intéressant tableau d'Aristide assis sur un banc de gazon, et expliquant les principes de la morale. Ne confondons pas. Cet Aristide n'est pas le général Athénien condamné au bannissement par un peuple volage qui s'ennuyait de l'entendre appeler le juste. (Nos industriels politiques de 1843 auraient tort de redouter une semblable cause d'exil.) L'Aristide dont il s'agit est une frère du père Gérard, un bon patriarche de village. Il a pour auditeurs de simples enfans de la nature, en veste et en sabots, mais décorés de la cocarde aux trois couleurs que ne portaient ni Tircis, ni Némorin; des mères de famille caressant et allaitant leurs innocens marmots. Probablement elles appartiennent à cette classe d'héroïnes auxquelles la convention décerna une prime d'encouragement pour avoir mis leur maternité au dessus des préjugés gothiques.
Viennent ensuite les douze mois républicains, escortés de leur légende bestiale et végétale. Vous plaît-il de faire connaissance avec la première décade de frimaire, et d'y choisir un patron ou une patronne?
1- Primidi -Pomme
2 - Duodi - Céleri.
3 - Tridi - Poire.
4 - Quartidi - Betterave.
5 - Quintidi - Oie.
6 - Sextidi - Héliotrope.
7 - Septidi- Figue.
8 - Octidi - Scorsonère.
9 - Nonidi - Alisier.
10 - Décadi - Charrue.
Dans d'autres décades, le quintidi est consacré au bouc, au mulet, à la vache, au veau, à la carpe, au canard. Le cochon n'est pas oublié, lui qui avait un homonyme au sein de la convention elle-même.
Pour les sans-culotides ou jours complémentaires, le calendrier républicain les consacre à la vertu, au génie, au travail, à l'opinion, aux récompenses. L'année est close par une fête sans-culotide.
Telle conclusion est digne de l'exorde.
Suit la nomenclature des fêtes décadaires: à l'Etre-Suprême, que la révolution avait eu la bonté de reconnaître par décret; à la Pudeur; aux Bienfaiteurs de l'humanité, à la Bonne-Foi; à l'Amour; à la Piété Filiale; à l'Enfance; au Bonheur; au Malheur, etc. La Frugalité n'est pas non plus oubliée. Vu l'abondance et la prospérité dont cette époque de régénération avait gratifié la France, il est de fait que le culte de la Frugalité se trouvait être d'une application tout-à-fait pratique.
On se rappelle qu'un décret avait ordonné d'effacer, partout où ils pourraient se trouver, et n'importe sous quelle forme, les signes ou emblèmes de la royauté. En conséquence, on alla jusqu'à faire retourner les plaques de cheminée qui, suivant un usage assez général, portaient un écusson fleurdelysé. Dans l'opéra-comique du Déserteur, on ne chantait plus: Le roi passait, mais: La loi passait. Le Géronte du Bourru bienfaisant aurait joué très gros jeu si, dans sa partie d'échecs, il n'avait pas dit: échec au tyran au lieu d'échec au roi.
Un spirituel et aimable écrivain, M. Vial, que les lettres et le monde ont perdu il y a quelques années, nous a plusieurs fois raconté une anecdote qui se rattachait à sa première pièce, intitulée: l’Éleve de la nature. Le héros de ce tableau gracieux était un jeune garçon qui, nourri jusqu'à quinze ou seize ans dans une complète solitude, est jeté tout à coup au milieu de la vie sociale, sent à la fois s'éveiller son intelligence et son cœur. C'était en 1793. La pièce fut soumise à la censure: car il y avait alors bel et bien une censure, exercée par le savetier ou le rempailleur du coin, pourvu que ce savetier ou ce rempailleur ne fussent pas d'honnêtes gens. Donc, le censeur ayant lu, ou à peu près l'ouvrage, exigea impérieusement que l'auteur mit dans la bouche de son élève de la nature la déclaration des droits de l'homme. Il fallut bien s'exécuter, en tâchant d'être le plus innocent et le moins absurde possible, sauf à supprimer cet étrange hors-d'oeuvre, aussitôt que le règne de la terreur serait fini.
Vial avait composé lui-même, à la même époque, une autre bluette, une légère esquisse de boudoir, dans le goût de Dorat et de Forgeot, où un jeune chevalier, un fat à talon rouge, recevait, par une mystification de bon goût, la punition de sa légèreté présomptueuse. Nouvel examen du censeur à bonnet rouge. Le rôle du chevalier lui fit froncer les sourcils. "Tu as dans ta pièce, dit-il à l'auteur, un aristocrate, un muscadin de l'ancien régime, il faut que tu le fasses guillotiner à la fin."
Délicieux dénouement pour une petite comédie parfumée d'ambre. Cette fois, l'auteur préféra garder provisoirement son oeuvre en portefeuille.
Hélas! ce dénouement était tous les jours sur la place publique, une épouvantable réalité.
Vraiment, on a peine à se figurer que ce soit là l'histoire de ce pays où nous sommes, l'histoire d'une époque si rapprochée de nous. Le fait pourtant n'est que trop vrai, tous les monumens existent, tous les souvenirs sont encore palpitants.
Th. Muret
(Quotidienne.)
Le Salon littéraire, dimanche 28 mai 1843.
M. 13 - Fra Paolo.
M. 14 - Camille, général Romain.
J. 15 - Antonius Urceus
V. 16 - Mme darcier
S. 17 - Bernouilli.
D. 18 - Abou-hanifah, successeur de Mahomet.
L. 19 - Pascal.
M. 20 - Décl. des droits de l'homme.
M. 21 - Lope de Vega.
J. 22 - Aboulola, premier poète des Arabes.
V. 23 - Liberté des opinions.
S. 24 - Liberté de la presse.
D. 25 - L'amiral de Coligny.
L. 26 - Fairfax.
M. 27 - Thompson.
M. 28 - Washington.
J. 29 - Timon le Misanthrope.
V. 30 - L'abbé de Lépée.
S. 31 - Ossian.
Que vous semble de la fête de la Liberté des opinions en 1793 ? Nous osons à peine ajouter que, dans cet incroyable chaos, un délire sacrilège a placé Jésus-Christ, en qualité de philosophe, de martyr, avec Mahomet et Diogène, sans préjudice d'infâmes couplets, où l'impiété parle le langage le plus cynique.
Pour ce qui est du petit Catéchisme à l'usage des grands enfants, où l'auteur prêche les doctrines du jour sous forme de dialogue, contentons-nous de cette demande et de cette réponse: "Que faut-il faire pour être patriote? - Couper le pouce droit aux aristocrates et la langue aux mauvais prêtres." La recette est énergique. Encore ne se bornait-on pas au pouce et à la langue.
Mais nous arriverons enfin au calendrier républicain pur, complet et officiel. Feuilletez, s'il vous plait, l'Almanach d'Aristide pour l'an III de la république*, présenté à la Convention nationale, et édité par Caillot, imprimeur-libraire, rue du Cimetière-des-Arcis. Vous savez que, vu la suppression des saints, on disait la rue Antoine, le rue Denis. L'auteur de l'Almanach d'Aristide est le citoyen Bulard, de la section Brutus. Nous regrettons vivement de n'avoir aucun autre détail sur le citoyen Bulard, mais nous sommes persuadés que la section de Brutus le comptait parmi ses plus beaux ornemens, et que la carmagnole lui allait à merveille.
Sur le titre de l'Almanach d'Aristide, on lit cet épigraphe tirée de Fénelon: Heureux le peuple qui a des vertus! Quels doux agneaux que ces messieurs les sans-culotte, et comme ils devaient se reposer, en effet, dans le calme et la félicité pure que donne une bonne conscience! Néanmoins, ce pauvre Fénelon, qu'il leur avait plu d'adopter et de traîner triomphalement sur les planches (voire certaine rapsodie de Marie-Joseph Chénier*), n'entendait-il pas absolument les vertus à la manière de Couthon et de Marat. Aussi n'est-il pas douteux que, s'il eût vécu sous leur règne, ces braves gens-là auraient fait sauter sa tête comme celle de son digne parent, l'apôtre des petits savoyards.
Ici encore on se trouve, dès le frontispice, en pleine idylle. Contemplez l'intéressant tableau d'Aristide assis sur un banc de gazon, et expliquant les principes de la morale. Ne confondons pas. Cet Aristide n'est pas le général Athénien condamné au bannissement par un peuple volage qui s'ennuyait de l'entendre appeler le juste. (Nos industriels politiques de 1843 auraient tort de redouter une semblable cause d'exil.) L'Aristide dont il s'agit est une frère du père Gérard, un bon patriarche de village. Il a pour auditeurs de simples enfans de la nature, en veste et en sabots, mais décorés de la cocarde aux trois couleurs que ne portaient ni Tircis, ni Némorin; des mères de famille caressant et allaitant leurs innocens marmots. Probablement elles appartiennent à cette classe d'héroïnes auxquelles la convention décerna une prime d'encouragement pour avoir mis leur maternité au dessus des préjugés gothiques.
Viennent ensuite les douze mois républicains, escortés de leur légende bestiale et végétale. Vous plaît-il de faire connaissance avec la première décade de frimaire, et d'y choisir un patron ou une patronne?
1- Primidi -Pomme
2 - Duodi - Céleri.
3 - Tridi - Poire.
4 - Quartidi - Betterave.
5 - Quintidi - Oie.
6 - Sextidi - Héliotrope.
7 - Septidi- Figue.
8 - Octidi - Scorsonère.
9 - Nonidi - Alisier.
10 - Décadi - Charrue.
Dans d'autres décades, le quintidi est consacré au bouc, au mulet, à la vache, au veau, à la carpe, au canard. Le cochon n'est pas oublié, lui qui avait un homonyme au sein de la convention elle-même.
Pour les sans-culotides ou jours complémentaires, le calendrier républicain les consacre à la vertu, au génie, au travail, à l'opinion, aux récompenses. L'année est close par une fête sans-culotide.
Telle conclusion est digne de l'exorde.
Suit la nomenclature des fêtes décadaires: à l'Etre-Suprême, que la révolution avait eu la bonté de reconnaître par décret; à la Pudeur; aux Bienfaiteurs de l'humanité, à la Bonne-Foi; à l'Amour; à la Piété Filiale; à l'Enfance; au Bonheur; au Malheur, etc. La Frugalité n'est pas non plus oubliée. Vu l'abondance et la prospérité dont cette époque de régénération avait gratifié la France, il est de fait que le culte de la Frugalité se trouvait être d'une application tout-à-fait pratique.
On se rappelle qu'un décret avait ordonné d'effacer, partout où ils pourraient se trouver, et n'importe sous quelle forme, les signes ou emblèmes de la royauté. En conséquence, on alla jusqu'à faire retourner les plaques de cheminée qui, suivant un usage assez général, portaient un écusson fleurdelysé. Dans l'opéra-comique du Déserteur, on ne chantait plus: Le roi passait, mais: La loi passait. Le Géronte du Bourru bienfaisant aurait joué très gros jeu si, dans sa partie d'échecs, il n'avait pas dit: échec au tyran au lieu d'échec au roi.
Un spirituel et aimable écrivain, M. Vial, que les lettres et le monde ont perdu il y a quelques années, nous a plusieurs fois raconté une anecdote qui se rattachait à sa première pièce, intitulée: l’Éleve de la nature. Le héros de ce tableau gracieux était un jeune garçon qui, nourri jusqu'à quinze ou seize ans dans une complète solitude, est jeté tout à coup au milieu de la vie sociale, sent à la fois s'éveiller son intelligence et son cœur. C'était en 1793. La pièce fut soumise à la censure: car il y avait alors bel et bien une censure, exercée par le savetier ou le rempailleur du coin, pourvu que ce savetier ou ce rempailleur ne fussent pas d'honnêtes gens. Donc, le censeur ayant lu, ou à peu près l'ouvrage, exigea impérieusement que l'auteur mit dans la bouche de son élève de la nature la déclaration des droits de l'homme. Il fallut bien s'exécuter, en tâchant d'être le plus innocent et le moins absurde possible, sauf à supprimer cet étrange hors-d'oeuvre, aussitôt que le règne de la terreur serait fini.
Vial avait composé lui-même, à la même époque, une autre bluette, une légère esquisse de boudoir, dans le goût de Dorat et de Forgeot, où un jeune chevalier, un fat à talon rouge, recevait, par une mystification de bon goût, la punition de sa légèreté présomptueuse. Nouvel examen du censeur à bonnet rouge. Le rôle du chevalier lui fit froncer les sourcils. "Tu as dans ta pièce, dit-il à l'auteur, un aristocrate, un muscadin de l'ancien régime, il faut que tu le fasses guillotiner à la fin."
Délicieux dénouement pour une petite comédie parfumée d'ambre. Cette fois, l'auteur préféra garder provisoirement son oeuvre en portefeuille.
Hélas! ce dénouement était tous les jours sur la place publique, une épouvantable réalité.
Vraiment, on a peine à se figurer que ce soit là l'histoire de ce pays où nous sommes, l'histoire d'une époque si rapprochée de nous. Le fait pourtant n'est que trop vrai, tous les monumens existent, tous les souvenirs sont encore palpitants.
Th. Muret
(Quotidienne.)
Le Salon littéraire, dimanche 28 mai 1843.
Nota de célestin mira:
* Astronome de liège: allusion à l'almanach Matthieu Lansbert ou almanach de Liège dont le premier exemplaire date de 1626. Sa publication fut stoppée en 1793 lors de la révolution de la principauté de Liège. Elle fut reprise par la suite et de nos jours Castermann en édite un exemplaire chaque année.
* Le Père Duchesne:
Le Père Duchesne, 1790. |
* Le Père Duchesne: lettre bougrement patriotique.
* Almanach du père Gérard pour l'année 1792:
* Calendrier républicain:
Calendrier républicain en usage de 1792 à 1806. |
* Jugement dernier des Rois de Sylvain Maréchal:
* Sylvain Maréchal fut condamné, en 1788, à quatre mois de prison pour avoir, dans son almanach, substitué les noms des saints ceux de personnages célèbres.
A noter que Sylvain Maréchal était profondément misogyne puis qu'il est l'auteur d'un projet de loi portant interdiction d'apprendre à lire aux femmes!
* Deux pages du Calendrier républicain de Sylvain Maréchal:
* Dictionnaire des Athées de Sylvain Maréchal:
* Almanach d'Aristide pour l'an III (source BNF):
* Marie-Joseph Chénier est l'auteur de l'hymne de guerre connu sous le nom de Chant du départ:
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