Rue des Marmousets.
Part V.
Part V.
Trois jours après celui où s'accomplissaient les tristes événements que nous venons de raconter, un personnage mystérieux, la figure cachée sous sa cape rabattue, entrait dans l'hôtel du grand prévôt, lequel, disait-il, il avait à entretenir d'une affaire de la plus haute importance et qui ne pouvait souffrir d'aucun retard.
Après qu'il eut levé toutes les difficultés faites par les huissiers, au moyen de quelques signes d'intelligences qui attestaient suffisamment qu'il était un homme de la maison, c'est à dire un espion à la solde de la prévôté, on prévient le grand prévôt, qui donna l'ordre de l'introduire à l'instant.
Le grand prévôt était, comme l'on sait, à cette époque, un homme redoutable; sa charge était une sorte de royauté d'autant plus formidable que ses moyens d'action étaient latents et par conséquent plus sûrs. Une lutte entre le roi de France et ce roi rival, le grand prévôt, n'eût peut-être abouti qu'à conduire le roi de France au gibet.
C'était bien à coup sûr le véritable maître de Paris: tous les hommes d'armes, archers, francs-archers, sergents, arquebusiers, et les cent mille corps de milice en apparence chargée de protéger les bourgeois, qu'en réalité elle ne servait qu'à vexer, ne reconnaissaient que ses ordres; Paris était à lui, mieux que la France au roi. Il avait pour ministre fidèle, et dont il ne changeait jamais, l'homme rouge, le bourreau. Aussi n'arrivait point facilement jusqu'à lui qui avait besoin de l'implorer; il fallait du crédit, des recommandations puissantes; ce fut à lui pourtant que s'adressa la veuve de Christian pour retrouver son Éveline. Munie d'une supplique de l'évêque, qu'elle était aller invoquer, elle avait vu toutes les portes s'ouvrir au nom de monseigneur le chef de l'église, et le grand prévôt, touché de ses larmes, de sa douleur extrême, et voulant donner à l'évêque une preuve éclatante de sa déférence, avait, par son épée de grand prévôt, juré à la mère de lui rendre son enfant.
Mais en vain les espions inondèrent la ville, en vain ils pénétrèrent jusqu'aux retraites les plus secrètes, les plus inaccessibles... nulle trace, nul indice révélateur n'avaient pu les éclairer sur le sort d’Éveline; et depuis trois jours, pour une mère, trois siècles! la veuve de Christian venait s'asseoir dans la grand'salle de la prévôté, attendant qu'on lui dit si elle devait vivre ou mourir.
Au passage du personnage mystérieux que nous venons d'introduire, un instinct, auquel répondit son cœur, avertit la mère que cet homme savait ce qu' était devenue son enfant, et, au moment où celui-ci entrait dans la pièce sombre qui servait de cabinet de travail au grand prévôt, elle se glissa derrière lui et y resta agenouillée, garantie par l'obscurité et les vêtements du visiteur.
A peine l'homme avait-il paru aux yeux du maître, que celui-ci se leva par un mouvement de curiosité impatiente en lui criant:
" Eh bien, l'as-tu trouvée?
- Oui" fit celui qu'on interrogeait.
A ce mot un cri parti du fond des entrailles de la mère allait s'échapper, lorsque la pensée du salut de son enfant vint étouffer ce cri; elle écouta.
" Où?
- O monseigneur! c'est une longue et horrible histoire, et dont le récit va vous faire pâlir.
- Parle, parle! reprit le grand prévôt avec rudesse; mon devoir est de faire justice, comme le tien de me dénoncer les criminels."
Alors celui qu'on interrogeait s'étant rapproché de son chef, fit avec une rapidité que le prévôt hâtait encore du geste, le rapport de ce qu'il avait découvert.
De l'endroit où elle se trouvait, la pauvre mère ne pouvait suivre ce récit, qui devait être bien horrible!... par moments des mots monstrueusement accouplés arrivaient à son oreille épouvantée, elle se croyait l'objet d'un songe rempli de sanglantes apparitions, lorsqu'un mot, un seul, cette fois nettement prononcé, lui révéla la vérité affreuse.
" Oh! merci mon Dieu, s'écria-t-elle en se dressant tout à coup et en s'élançant comme un fantôme; merci, mes seigneurs, à présent je n'ai plus besoin de votre aide, allez! seule je saurais bien reprendre mon enfant."
Et avant qu'on eût le temps de lui répondre, elle avait disparu.
Journal des Demoiselles, mars 1843.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire