Mystificateurs mystifiés.
Madame de Noizy avait un fils, âgé de quinze à seize ans, auquel elle était bien aise de procurer quelques-uns des plaisirs de son âge, mais qu'elle désirait être surveillé dans les commencements par un ami prudent qui pût lui en éviter les écueils. Le jeune homme avait grande envie d'aller à l'Opéra, et sa mère crut ne pouvoir mieux faire que de réclamer l'amitié de Marville (lieutenant général de police) pour l'y accompagner.
Celui-ci ne fit aucune difficulté d'y consentir, et le prince de Conti, qui se fit informer exactement de la manière dont il serait masqué, ne manqua pas cette occasion de lui jouer un tour cruel. Il fit rassembler une douzaine de filles publiques, auxquelles il distribua des billets de bal, sous la condition, très-agréable pour elles, d'y tourmenter autant qu'il leur serait possible, le lieutenant de police, dont il leur indiqua le déguisement.
Ces filles, fort contentes, se disposèrent à remplir leur commission avec le plus grand zèle. Elles s'associèrent encore plusieurs de leurs compagnes, et vinrent entourer le magistrat, qu'elles poursuivirent inhumainement, en le faisant reconnaître de tout le monde, et lui disant toutes les horreurs dont elles étaient capables. Marville chercha inutilement à les dérouter, en faisant semblant de se prêter à la plaisanterie, et paraissant jouer le rôle de lieutenant de police assez maladroitement pour faire croire qu'elles se trompaient.
Il lui fut aisé de savoir que ce perfide tour lui avait été joué par le prince de Conti, et il désirait avec impatience l'occasion de s'en venger, sans manquer cependant le respect dû à l'Altesse.
Un jour il apprend que le prince se dispose à aller dîner, le lendemain, dans une maison de campagne à huit lieues de Paris, et qu'il avait demandé ses voitures pour dix heures du matin, comptant bien faire ce petit voyage en moins de quatre heures. Aussitôt le lieutenant général de police dépêche des courriers dans tous les bourgs et villages sur la route, pour avertir que S. A. S. Monseigneur le prince de Conti devait y passer le lendemain et donner ordre de le haranguer et de lui rendre tous les honneurs dus à son rang, ce qui fut exécuté très-ponctuellement.
Arrivé au premier bourg, que le prince s'attend à traverser rapidement, sa voiture est arrêtée par les consuls et officiers municipaux en grand costume, et il est forcé d'écouter patiemment la plus plate harangue, à laquelle on imagine bien qu'il répondit brièvement. Il comptait en être quitte, mais, même cérémonie au second, au troisième village, et ainsi d'endroit en endroit, jusqu'à son arrivée, qui ne fut plus qu'à sept heure du soir.
(Mystères de la Police)
Dictionnaire encyclopédique d'Anecdotes, Edmond Guérard, librairie Firmin-Didot, 1876.
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