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vendredi 30 septembre 2022

Fleurs de feu.

Grandeur et décadence des feux d'artifice.


Les plus brillants parmi les feux d'artifice auxquels nous avons pu assister dans ces derniers temps ne nous donnent aucune idée de ce qu'ils étaient aux siècles derniers, à l'époque de leur grande vogue. Ils représentaient alors des scènes savamment ordonnées et composaient un spectacle qui avaient une réelle valeur d'art. C'est là une tradition que nous avons laissée se perdre et à laquelle il y aurait lieu de revenir du moins en partie. Sans être plus coûteux, les feux d'artifice de nos jours pourraient être plus artistiques. Ils auraient ainsi leur utilité en contribuant à entretenir et à développer dans le peuple le sentiment du beau.



Une gerbe de fleurs de feu. Feu d'artifice tiré en l'honneur du dauphin en 1735.

C'était une véritable œuvre d'art qu'un feu d'artifice au siècle dernier.
Longtemps d'avance on en préparait la mise en scène d'un luxe merveilleux:
 des châteaux, des galeries, des constructions de bois étaient dressées qui
le jour de la fête s'embrasaient tous ensemble.

Le feu paraît avoir de tout temps exercé une fascination particulière sur l'esprit de l'homme. Après avoir commencé par trembler devant cet élément insaisissable et brillant, devant cette flamme mobile qui dardait sur lui ses langues innombrables, l'homme ne tarda pas à s'en rendre maître. Il s'empresse alors de l'utiliser. Puis il s'en amuse. L'art se met de la partie; il manie avec ingéniosité ce feu redoutable, et lui commande de tracer des figures et des ornements combinés d'avance. Les feux d'artifice faisaient, à n'en pas douter, partie des divertissements offerts au peuple de Rome dans l'amphithéâtre; un curieux passage du poète latin Claudien nous parle en effet d'échafaudages mobiles sur lesquels "courent des globes de feu dont les flammes semblables à celles d'un vaste incendie, escaladent les hautes tours, les enveloppent, puis les quittent, à un signal donné". Comment, par quels moyens  ces "feux automatiques", comme les nomment encore deux autres auteurs, étaient-ils obtenus? Sans doute avec des composants chimiques dont la base était le soufre, le salpêtre et la poix. Telle était aussi la recette du fameux feu grégeois qui apparut au Moyen âge et qui jetait pendant les guerres de cette époque la terreur dans les rangs des armées en présence.




Marque de fabrique des frères Ruggieri, 
artificiers en France depuis deux siècles.


Il venait de Byzance, et seuls quelques initiés en connaissait le secret; c'était, au dire des contemporains, un feu ailé, magique et infernal, que projetait un tube dissimulé dans la gueule des dragons et autres bêtes fantastiques en bois doré.
" La queue de feu qu'il traînait après lui, écrit Joinville, était bien aussi grande qu'un grand glaive; il semblait que ce fût la foudre du ciel." Plus loin, il ajoute: "Une autre fois, le cheval du roi (saint Louis) en fut tout couvert, on eût dit des étoiles tombant du ciel". C'étaient donc là de simples fusées, et rien de plus. N'est-ce pas une chose plaisante de voir apparaître chez nos pères les feux d'artifice comme une arme de guerre? Ils soupçonnaient de la magie dans ces pétards inoffensifs que tirait sur eux un ennemi un peu plus instruit en chimie; ces "pluies d'étoiles", qui font aujourd'hui l'amusement de la foule, leur semblait un nouveau produit des maléfices de Satan!
Ce fut également sous forme de pétards et de fusées volantes que la poudre à canon fit son apparition en Europe; seulement, au lieu d'utiliser sa force de projection, c'est avec des arbalètes qu'on lançait d'abord ces fusées enflammées de salpêtre et de soufre. On ne tarda pas cependant à découvrir la puissance redoutable du nouveau produit qui, à côté de son emploi destructeur, allait trouver dans les feux d'artifice une application de ses propriétés moins fâcheuses pour les hommes. Le feu d'artifice moderne, avec toutes ses ressources décoratives, date en effet de l'invention de la poudre à canon.


Les premiers feux d'artifice au XVIIe siècle, d'après une œuvre du temps.

Au XVIIe siècle, il n'y avait pas de réjouissance publique sans un feu d'artifice. Celui-ci fut tiré, en 1644, en l'honneur de Louis XIV encore mineur
 et de sa mère Anne d'Autriche.


Les feux d'artifice étaient jadis des spectacles d'art.

Ce divertissement eut dès son origine un éclat considérable. Les feux d'artifice que nous voyons aujourd'hui ne peuvent nous donner une idée de ceux qui étaient offerts en spectacles à nos pères par les rois et les grands seigneurs à l'occasion des évènements importants de la vie publique. Un feu d'artifice était un vrai spectacle, une œuvre d'art préparée longtemps à l'avance; un grand nombre d'acteurs et de figurants y prenaient part; la machinerie était des plus compliquée, et une fantaisie merveilleuse s'y donnait carrière. Ainsi l'an 1602, le 24 août, jour de la fête du roi (Louis XIII), une sorte de donjon en bois recouvert de toile peinte avait été élevée dans l'île qui, en avant du Pont-Neuf, partage la Seine, tandis que sur les rives du fleuve quatre petits fortins avaient été construits; enfin une longue corde, partant du Louvre, était tendue jusqu'à la Tour de  Nesle. L'heure du feu d'artifice arrivée, le roi paraît à son balcon et la "représentation" commence.
Les petits fortins se mettent à bombarder le grand château; ce dernier riposte; c'est pendant une demi-heure une véritable bataille d'artillerie, simulée par des fusées et des pétards innombrables. Cependant le grand château prend feu; il renfermait dans ses flancs un immense bouquet que l'incendie enflamme à son tour, et qui envoie au loin ses gerbes resplendissantes reflétées par l'eau du fleuve; les chiffres du roi et de la reine-mère apparaissent, surmontés d'une couronne, au milieu de soleils tournants. Finalement l'ossature toute entière de la "décoration" s'écroule au milieu des étincelles.


L'âge d'or des feux d'artifice.
Feu d'artifice tiré devant le palais épiscopal, en 1744,
à l'occasion du voyage de Louis XV.

A voir ce gigantesque panache de flammes, ces belles gerbes de feu
illuminant les bateaux qui portaient des groupes de statues en bois,
on se fait une idée de la magnificence à laquelle atteignaient
souvent les feux d'artifice au XVIIIe siècl
e.


Puis vint la seconde partie: tous les regards se posèrent sur la tour de Nesle. Le jeune roi en personne met le feu à une fusée volante; celle-ci, glissant le long du câble jusqu'à l'autre rive, y allume une étoupille qui retenait la détente d'une machine. Cette machine, déroulant ses puissants ressorts, met alors en mouvement une figure de Jupiter, qui s'élève vers le sommet de la tour en tenant dans ses deux poings deux foudres enflammées qui embrasent tous les artifices disposés sur la plate-forme supérieure. Une dernière fois la tour légendaire reflète sa silhouette dans les eaux rouges du fleuve. 
Les feux d'artifice sont alors si bien une œuvre d'art qu'ils suivent le caractère d'art et participent au style particulier de chaque époque. Ainsi les feux d'artifice du règne de Louis XIV ont le faste et la grandeur pompeuse qui est la note du temps. Lorsqu'une statue fut élevée au monarque par la ville de Paris, la "décoration" du feu d'artifice donné à cette occasion représenta le temple de l'Honneur; quatre statues personnifiant la Piété, la Fidélité, le Respect et la Reconnaissance, emblèmes des sentiments éprouvés par le peuple pour son roi, formaient le motif central; elles servaient de support et de soubassement à une autre statue, celle de Louis XIV, qui, après l'embrasement final, resta seule debout.




Feu d'artifice tiré en 1785, sur la place de l'Hôtel-de-Ville, à Paris,
à l'occasion de la naissance du Dauphin, fils de Louis XVI,
d'après une gravure de Moreau le Jeune.

On conçoit, en voyant la foule énorme qui se presse sur la place, quels terribles désordres pouvait amener le moindre accident. Dans la fête donnée au moment
du mariage de Louis XVI et de Marie-Antoinette, plus de 3 000 personnes
périrent en quelques minutes.

Lorsque, le 19 juillet 1660, le roi épousa  Marie-Thérèse d'Autriche, infante d'Espagne, le feu d'artifice tiré sur la Seine était disposé sur un bateau qui représentait le fameux navire des Argonautes partant avec Jason à la conquête de la Toison d'or, allusion à la Toison d'or d'Espagne que le roi recevait en épousant Marie-Thérèse. Quand naquit aux royaux époux un fils, le Grand Dauphin comme on disait,  les fusées du feu d'artifice semèrent dans les airs de petits dauphins, sorte de poissons lumineux "qui, dit la Gazette du jour, par leur éclat et leur tintamarre, éclairaient et chantaient le triomphe du nouveau-né, en faisant part au ciel des réjouissances de la terre."
Dans tous les feux d'artifice de cette époque nous retrouvons le même curieux symbolisme qui est la note dominante.

Le XVIIIe siècle, apogée des feux d'artifice.

Avec le XVIIIe siècle l'amour du feu d'artifice devint une véritable frénésie; tout le monde en tire: les grands seigneurs devant le portail de leur hôtel (on cite en particulier le duc d'Albe, ambassadeur d'Espagne, qui, au milieu des fusées, fit jeter à la foule des pièces d'argent), les bourgeois dans la cour de leur maison, les communautés religieuses elle-même, et les couvents!
Cependant, ce plaisir s'affine: à coté des fêtes populaires et tumultueuses, d'autant plus belles que les fusées sont plus nombreuses, les esprits délicats demande au feu d'artifice un divertissement tout aristocratique, où la note d'art se précise et s'affirme davantage. Les procédés matériels se sont perfectionnés, de nouvelles combinaisons chimiques donnent des effets nouveaux, et les cinq frères Ruggieri, mettant leur talent en commun, sont venus en France apporter d'Italie des jeux pyrotechnique inconnus. D'autre part, Versailles a surgi du sol avec son palais et ses statues, avec son parc immense et enchanteur. C'est là, dans son enceinte fermée au profane vulgaire, que les fleurs de feu vont s'allumer pendant les nuits embaumées du printemps, illuminant de leur fugitif éclair les pâles divinités de marbre, souriantes parmi les charmilles.
Un théâtre a été dressé sur le Tapis-Vert pour le spectacle du feu d'artifice. Les invités enrubannés descendent les escaliers du bassin de Latone dont les jets d'eau sont imprégnés de mille reflets par les "feux aquatiques" qui brûlent dans les vasques dorées; lentement les groupes gracieux prennent place; le roi et la reine sont assis chacun dans un fauteuil légèrement surélevé. Une décharge de huit cents grosses bombes annonce l'ouverture du spectacle. Vulcain d'abord apparaît, suivi bientôt par les Cyclopes; devant lui, à chaque pas qu'il fait, des flammes sortent du sol. Avec ses forgerons monstrueux, il s'installe à sa forge, et tous, à tour de bras, ils frappent en cadence sur leur enclume; le claquement strident des cymbales imite le bruit du fer frappant le fer, et des gerbes d'étincelles en sortent chaque fois, les enveloppant d'une pluie d'étoiles. Mais une douce symphonie se met à résonner: Vénus descend du ciel, sur un char, au milieu d'un nuage lumineux; l'Amour et les Grâces l'accompagnent. Puis c'est une marche guerrière: Mars, dieu de la Guerre, vient rendre visite à Vulcain, qui lui remet les armes merveilleuses fabriquées pour lui. Tandis que Vulcain est tourné vers sa forge, l'Amour décoche son dard fatal au farouche dieu Mars, qui tombe aussitôt aux genoux de Vénus. Mais Vulcain s'est retourné; une furieuse colère l'anime, et Vénus se sauve avec son cortège effaré.
Les deux rivaux restés face à face se provoquent; ils luttent et Vulcain va être vaincu, quand les Cyclopes accourent à son aide; avec leurs énormes soufflets, ils attisent les flammes qui, de toutes parts, enveloppent Mars; de partout jaillissent des bombes qui éclatent, l'embrasement est général, et tous les figurants de la pantomime disparaissent dans un gouffre de fusées et de serpenteaux.
Alors, derrière le théâtre consumé lui-même, le bassin d'Apollon et le Grand Canal dessinent soudain dans la nuit leur immense perspective, illuminée toute entière en un instant par des milliers de pots à feu auxquels une corde soufrée a communiqué la flamme. Un apaisement délicieux s'étend sur toute la nature, et l'on entend plus que le chant des violons dans les bosquets, tandis que la Cour remonte à la suite de Leurs Majestés vers le château, sur les terrasses duquel ruisselle une dernière cascade de feu, éblouissante et silencieuse comme un céleste météore.




Sous le premier Empire. 
Bouquet du feu d'artifice tiré pour la naissance du roi de Rome.

Le style "Empire", si caractéristique, se traduit jusque dans ce feu d'artifice: 
au milieu de deux cartouches lumineux apparaissent les initiales de l'Empereur 
et de l'impératrice Marie-Louise.

Cependant, cette passion des feux d'artifice n'était pas sans danger; si, dans les jardins de Versailles, toutes les précautions étaient prises pour éviter les accidents, il n'en était pas toujours de même dans les fêtes populaires; beaucoup de gens, ignorant le maniement des fusées, s'estropiaient ou même estropiaient les autres. Le métier d'artificier était des plus dangereux; l'artificier était une sorte de soldat qui devait risquer sa vie.
On sait la terrible catastrophe dont fut la cause le feu d'artifice tiré le 16 mai 1770, à l'occasion du mariage du Dauphin, plus tard Louis XVI avec Marie-Antoinette. Une foule immense s'était portée place Louis XV (aujourd'hui place de la Concorde); une fusée mal dirigée vint tomber dans le corps de réserve des artifices et l'enflamma. une lueur fulgurante jaillit aussitôt, et tout éclata à la fois en un immense bouquet, fantastique et formidable. Croyant que c'était à dessein, le roi, la reine et tous ceux qui ne se rendent pas compte de la vérité applaudissent; pendant ce temps, ceux qui sont sous le volcan en éruption poussent des cris d'épouvante et de douleur; une effroyable panique se produit; il y en a qui mettent l'épée à la main pour se frayer un passage. Pendant une semaine, on porta au cimetière de la Madeleine les cadavres brulés, piétinés, défigurés.
Cet événement parut un sinistre présage: vingt ans après, en effet, la guillotine se dressait sur cette même place, chaque jour ensanglantée.
On tira peu de feux d'artifice sous la Révolution; mais, sitôt l'Empire proclamé, on revint à la traditionnelle coutume; le mariage de Napoléon et de Marie-Louise, ainsi que la naissance du roi de Rome, furent, entre autres, célébrés par de brillants feux d'artifice. La Restauration fit de même; mais d'autres temps étaient venus, et, peu à peu, la note d'art disparut complétement de ce divertissement dont l'ordonnance est aujourd'hui moins ingénieuse et moins artistique.


Pièce montée moderne, dite "La Salamandre."

La disposition et la couleur des pièces montées varie suivant la forme
des fusées, suivant les matières chimiques dont on les charge.


Préparation d'un feu d'artifice; la fabrication des fusées; ouvriers en cellule.

L'usine d'un artificier n'en est pas moins demeurée une des choses les plus curieuses que l'on puisse voir: amas de matières explosives et inflammables au premier degré, elle est reléguée par des règlements de police sévères loin du périmètre habité des villes, en des terrains vagues dont les voisins s'écartent avec terreur. Nulle autre industrie n'est astreinte à des précautions semblables. Ce n'est pas même une usine a proprement parler,  ce sont des quantités d'usines minuscules, de petites cahutes où travaillent séparément un ou deux hommes au plus, en sorte que, si le feu prend dans l'une d'elles, il ne puisse se communiquer. Rien n'est bizarre comme de voir travailler chaque ouvrier dans sa cellule, pareil à un reclus; toutes ces petites cellules sont en outre séparées les unes des autres par de hautes fascines de terre et d'osier qui, en cas d'explosion, amortissent le choc. On se croirait au milieu des remparts d'une place forte.


Artificier travaillant au chargement des fusées;

Les ouvriers sont isolés dans de petites cahutes séparées par de hautes "fascines" de terre et d'osier. en cas d'explosion, le feu ne peut se communiquer d'une cellule à l'autre. (Photographie de M. P. Grayer.)


Dans ces maisonnettes s'exécutent les travaux les plus divers. C'est d'abord la construction des tubes qui constituent l'enveloppe de la fusée; ils sont faits de papier semblable à du papier d'emballage roulé autour de cylindres de bois dont le calibre varie selon la grosseur de la fusée et encollé à mesure, de façon à former un carton qui possédera une force bien supérieure à celle d'un tube correspondant en métal; on a vu des artifices faire éclater un canon de fusil et laisser indemne, sous la même charge, un tube de carton. Cela montre, soit dit en passant, à quel danger s'exposent les amateurs qui croient pouvoir jouer à l'artificier. Au fond de ce tube, on commence par entasser un peu d'argile, qui sera comme le repoussoir naturel de la cartouche lorsqu'elle s'enflammera, et qui lui permettra de prendre son vol sans qu'il soit nécessaire d'aucune autre force de projection; ensuite on bourre la fusée de composition variées, selon l'effet désiré; on la ferme en l'"étranglant" par un nœud coulant de forte corde qui ne laisse passer que la mèche, et l'on ajoute une baguette. Cette baguette, longue tige de bois rigide, est à la fusée ce que le gouvernail est au navire; si elle est bien droite, la fusée s'élèvera verticalement vers la voûte du ciel; si elle est courbée, ou tordue par l'explosion, la fusée, au contraire, déviera de sa route normale, et ira l'on ne sait où causer des accidents.
Pour les bombes, l'enveloppe est formée d'une sorte de calotte double qui, refermée après qu'on y a mis la charge pyrotechnique voulue, représente assez bien un œuf d'autruche; mais cet œuf peut atteindre des proportions formidables; certaines bombes ne pèsent pas moins de 30 kilogrammes! Aussi pour les lancer, faut-il de véritables obusiers enfoncés en terre jusqu'à la gueule.


Les feux d'artifice modernes.
Bouquet tiré en l'honneur des souverains russes, à Paris, en 1896

Les beaux feux d'artifice occasionnent de grandes dépenses. Le feu d'artifice
tiré en l'honneur de l'empereur Nicolas II revient à plus de 30 000 francs. (Photographie d'après nature communiquée par la maison Ruggieri
.)


La composition intérieure des bombes et des fusées est variable, suivant le genre d'éclats et d'étincelles, selon la couleur que l'on veut obtenir; mais la base en est, comme celle de la poudre à canon, un mélange de salpêtre, de soufre et de charbon fin, légèrement pulvérisés, puis triturés ensemble dans un tonneau pendant dix heures au moins. En chargeant la fusée, on y ajoute des produits divers qui en colore la flamme: l'antimoine donne des feux blancs; le nitrate de strontiane des feux rouges; le nitrate de plomb produit des pluies d'or. Avec la limaille de cuivre, on obtient des teintes verdâtres, avec le chlorate de potasse et de baryte les verts vifs. Quant aux bleus, inconnus autrefois, et qu'à fait rechercher et découvrir la nécessité de représenter dans les feux d'artifice notre troisième couleur nationale, ils sont obtenus par des chlorures de cuivre ou de la cendre bleue. La plupart de ces compositions sont, il est à peine besoin de le dire, des plus dangereuses à manipuler: le chimiste Chertier, à qui l'on doit des études remarquables sur les feux colorés, faites au milieu de ce siècle, mit le feu à son appartement en faisant des expériences dans le foyer de sa cheminée. Si l'on veut mélanger les colorations de ces diverses substances, on fait des petites pastilles que l'on mêle ensemble dans le corps de la fusée ou de la bombe et qui, en s'allumant, produisent des effets merveilleux de variété. C'est ainsi notamment que sont composées les fusées dites "chandelles romaines" que tout le monde connait.
Deux inventions récentes sont celles des fusées sifflantes et celles des fusées parfumées. Le picrate de potasse jaune est employé pour les premières, poudre impalpable et vénéneuse, qui s'infiltre par les pores de la peau, est absorbée par la respiration, et détruit l'organisme des malheureux ouvriers occupés à sa manipulation; aussi un sentiment d'humanité bien compréhensible restreint-il l'usage de ces fusées. Les fusées parfumées, ou feux de senteur, sont au contraires des plus inoffensives; du benjoin et du bois de cascarille en poudre, mêlés et triturés avec la charge lumineuse, entrent seuls dans leur composition.
Les feux d'artifice sont généralement annoncés par des salves de petites bombes dont la détonation en l'air produit un son très sec assez particulier; ce sont les "marrons". Rien de curieux comme leur fabrication, dans laquelle, la moindre négligence peut entraîner de graves accidents. Il y a deux choses en effet dont il faut être certain, c'est d'abord que le "marron" n'éclatera pas dans le mortier qui le projette, ensuite qu'il éclatera bien en l'air. Dans le premier cas, il ferait sauter le mortier; dans le second, il retomberait sur les spectateurs avec un égal danger. Dans de petites boîtes cylindriques de huit à dix centimètres de diamètre, on met de la poudre de mine semblable à celle dont on se sert dans les carrières pour faire sauter les pierres et les rochers; on referme la boîte qu'on enveloppe avec du papier et que l'on corde en tous sens avec de la ficelle serrée le plus qu'il est possible; après quoi, le tout est trempé de nouveau dans de la colle forte. La mèche, entré alors avec un poinçon, est calculée de façon à mettre le feu aux matières inflammables au moment où le "marron" est en l'air; plus la ficelle sera solide et serrée, plus la colle forte l'aura agglutinée, plus aussi l'explosion sera violente.



Montage des "Soleils tournants".
(Cliché de M. Paul Gruyer.)


N'oublions pas encore de mentionner, pour leur ingéniosité et leur effet charmant, les fusées à parachute; elle sont formées d'une espèce de bombe qui, en éclatant en l'air, développe un léger parachute de papier de soie auquel est suspendue une longue chenille lumineuse que le vent promène et emporte avec lui au milieu du ciel. Quant aux fusées nautiques, elles sont pourvue d'un flotteur qui leur permet de se maintenir sur l'eau, et, lorsqu'elles sont enflammées, leur recul naturel les fait se mouvoir capricieusement; par le même recul également, les "soleils" se mettent à tourner autour du pivot des roues de bois qui leur servent de monture. Quant au "bouquet", ce couronnement obligatoire de tous les feux d'artifice, rien n'est plus simple que de l'obtenir; les fusées sont alignées en rangs nombreux et réguliers les unes à côté des autres et à l'aide d'une mèche soufrée on les allume toutes à la fois.
Les prix de revient des feux d'artifice est très élevé; certaines grosses bombes coûtent jusqu'à 150 francs l'une. Il faut compter pour les petits "marrons" détonants 1 franc pièce; une bombe à pluie d'or coûte 5 francs, une petite fusée à parachute 2 francs. La grande "Salamandre" ou le "Serpent et le Papillon", pièce mouvementée avec jeu de couleurs variées accompagnées de six rosaces, et dont nous donnons une reproduction, revient à 70 francs.


Pour le bouquet, il ne faut pas compter moins d'un millier de fusées;
Les beaux feux d'artifice du siècle dernier coûtaient couramment 30 ou 40 000 francs pour la seule partie pyrotechnique; mais en outre la partie de "décoration" était payée à part aux machinistes, constructeurs et décorateurs, et un feu d'artifice complet atteignait facilement une centaine de mille francs.
Actuellement, pour un des feux d'artifice du 14 juillet, l'artificier doit s'en tirer avec 3 000 francs. Le feu d'artifice tiré en l'honneur des Souverains Russes atteignit seul un total de 30 000 francs.



Un feu d'artifice moderne. Photographie d'après nature.


Nos modernes artificiers ne sont pas inférieurs à leurs ancêtres au point de vue de l'ingéniosité et de la fabrication matérielle: la pyrotechnie, participant de plus en plus au contraire, des découvertes chimiques de notre siècle, n'est pas encore en décadence; mais ils disposent de ressources infiniment plus restreintes, et surtout ce qui a disparu, c'est le sentiment d'un art qui présidait autrefois à ce spectacle, qui le coordonnait avec un résultat capable de contenter les délicats, tout en divertissant la masse. Sans doute les conditions de vie et les mœurs d'une société plus aristocratique que la nôtre étaient plus favorables à ce résultat, mais ne peut-on pas tenter l'éducation artistique du peuple, en lui montrant autre chose que les produits de la banalité ou du mauvais goût, et en tâchant d'éveiller en lui, même dans ses amusements, le sentiment du beau?

Lectures pour tous, 1900-1901.

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