Les princes ouvriers.
L'histoire nous fournit de nombreux exemples de princes ayant honoré le travail. On en cite même beaucoup qui n'ont pas dédaigné de mettre la main à la pâte, comme on dit.
Il est inutile de remonter très loin et de citer Dioclétien qui arrachait dans son potager la barbe de capucin qu'il avait lui-même plantée. Laissons également de côté Charles-Quint et ses connaissances en horlogerie dont il aimait à faire... montre.
Le roi... repasseuse.
La passion que le tzar Pierre avait pour le métier de charpentier, l'affection particulière de Louis XVI pour la serrurerie et le tracé des cartes géographiques, sont trop connus pour que nous insistions longtemps.
Mais, par exemple, voici Henri III, qui, appuyé au balcon d'un des fenêtres du Louvre, découpait fort habilement, ma foi, des images qu'on fabriquait uniquement pour lui.
N'avons-nous pas appris que Louis XIII repassait lui-même ses collerettes à l'aide d'un fer en vermeil.
Les talents multiples.
Quittons, si vous le voulez bien, les monarques; mais restons en compagnie des rois des lettres et des arts.
Voltaire voulait devenir physicien, et il prenait des leçons auprès d'une femme aussi forte en science que d'aucuns académiciens en renom. Son antagoniste, Jean-Jacques, avait une affection particulière pour la musique, et longtemps il se demanda s'il devait être musicien ou écrivain.
On sait, du reste, que Jean-Jacques développa, dans son Emile, cette idée que tout enfant, même de très haute condition, devait recevoir un métier manuel. Nombre de grands seigneurs furent très heureux que leurs parents leur eussent donné des états quand, à la Révolution, ils émigrèrent et durent gagner eux-mêmes leur vie à l'étranger.
Chateaubriand, lui, ne laissait à personne le soin de fendre son bois. Alexandre Dumas ne déjeunait jamais aussi bien que lorsqu'il avait cuisiné lui-même. Quand on allait rendre à Alphonse Karr, il aimait mieux vous faire admirer le jardin qu'il entretenait que vous lire la dernière page qu'il venait d'écrire.
M. Gladstone tenait beaucoup à passer pour un bûcheron émérite. C'est sous les hautes futaies de son immense forêt qu'il prépara son bill agraire et qu'il composa ses plus beaux discours.
Une réplique inattendue.
Enfin, c'est l'éternelle question du violon d'Ingres, de la diversité des talents. Un soir, Victor Hugo se trouvait dans une maison en même temps qu'un grand peintre dont le nom m'échappe. La maîtresse demanda un souvenir à chacun des deux grands hommes. Le poète fit un dessin et le peintre composa des vers!
Mais revenons aux métiers manuels. Alfred de Vigny avait installé à côté de son cabinet de travail un superbe établi de tourneur. Depuis quelque temps, il recevait la visite d'une fort jolie femme à laquelle il faisait une cour assidue. Mais la belle n'accueillait que très froidement les avances du poète. Un jour, il montra son établi.
- Que voulez-vous que je vous tourne: un bracelet, une bague? lui demanda-t-il après lui avoir "tourné" un chaleureux compliment.
- Mais tournez moi donc les talons, répondit la coquette en lui éclatant de rire au nez.
Pierre Dorian.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 4 juin 1905.
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