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jeudi 5 août 2021

 Chronique du samedi 24 août 1867.


Le procès dit de Fontainebleau a fait tort, ces derniers jours, à tous les autres événements. Notre pauvre espèce humaine est bien étrange; quel long chapitre n'y aurait-il pas à écrire sur les bizarreries de l'esprit humain! On se plaint que la vie est courte, et il semble qu'on ne sache que faire de ses journées. Voilà une femme accusée d'avoir attenté à la vie d'une autre femme avec laquelle elle avait visité la forêt de Fontainebleau; on a retrouvé le cadavre de la victime étendu dans la forêt et le visage à moitié dévoré par les vers; triste procès compliqué de vol, de faux et de meurtre! Aussitôt que la salle des assises de la Seine-et-Marne s'ouvre, elle est remplie d'une foule élégante et parée qui veut voir comment la femme Frigard, prévenue d'avoir assassinée la femme Mertens, se défendra contre l'accusation*. On suit avec avidité les moindres détails; les femmes les plus délicates bravent une chaleur de 35 degrés centigrades et les détails les plus repoussants: que voulez-vous? Il le faut bien. Il s'agit de savoir si une femme en a étouffé une autre et si elle portera elle-même sa tête sur l'échafaud. Le procès de la femme Frigard est encore plus intéressant que les exercices du dompteur Batty* entrant dans la cage de ses lions.

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A propos de dompteurs, l'autorité avait pris un arrêté pour interdire ces sortes d'exercices après un nouvel accident arrivé à Batty, qu'une de ses lionnes avait labouré de ses puissantes griffes. Mais Batty a réclamé. Il a fait valoir des circonstances atténuantes en faveur de sa lionne: c'était une jeune mère dont les nouveaux-nés avaient été dévorés par les lions ses voisins, et quand elle a vu son maître s'emparer de son dernier baby, elle a eu une attaque de nerfs dans laquelle elle a eu le malheur d'effleurer la peau du dompteur; seulement elle avait oublié depuis longtemps de se couper les ongles, ce qui a rendu l'égratignure un peu plus profonde. Comme cette excuse ne semblait pas avoir complétement convaincu l'autorité, Batty a mis en avant ses grands moyens: "Chacun, a-t-il dit, gagne sa vie comme il l'entend ou comme il peut. Sa manière de gagner sa vie, à lui, c'était de s'exposer à la perdre. Morituri te salutant: il est un gladiateur moderne. En lui défendant de risquer de se faire manger par ses lions, on lui ôte son gagne-pain. Mourir pour mourir, mieux vaut mourir sous la dent d'un carnassier de la race féline que sous celle de la misère et de la faim, deux terribles carnassières dans leur genre." L'autorité a cédé, Batty conserve la liberté de gagner son dîner en s'exposant à servir de dîner à ses lions.

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Laissons ces bizarreries et tournons nos regards vers Rome, d'où viennent les grands spectacles et les grands exemples. L'auguste pontife qui, naguère encore, entouré de plus de quatre cents évêques, célébrait, devant une foule immense venue de tous les points du globe, le centenaire de saint Pierre et de saint Paul, s'enferme aujourd'hui dans sa Rome bien-aimée, troublée par un terrible visiteur, le choléra. Ses soixante-quinze ans ne l'empêchent pas de remplir virilement ses devoirs  de pasteur et de père. En vain les chaleurs étouffantes de Rome à cette époque de l'année, les fatigues extraordinaires qu'il a éprouvées pendant les fêtes du centenaire, le poussent à s'éloigner; en vain ses chères et verdoyantes solitudes de Castel-Gandolfo l'appellent. Le pilote de la barque de saint Pierre reste à son poste, au poste du péril, de l'honneur et du devoir. Les libres penseurs eux-mêmes, rendons-leur ce témoignage, s'en étonnent, admirent et s'inclinent.
Admirez, inclinez-vous, mais ne vous étonnez pas. Ne vous étonnez pas, car nous croirions que vous n'avez jamais lu la parole évangélique du bon pasteur: "Le bon pasteur ne s'enfuit pas quand le loup arrive, mais il défend ses brebis contre le loup. Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis." Dieu tout-puissant, daignez conserver à ses brebis Pie IX le bon pasteur!

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On ne saura qu'après avoir les les œuvres du jeune et infortuné empereur du Mexique, que l'on publie en ce moment, jusqu'à quel point ce prince de tant de regrets, qui était, il y a quelques années, un prince de tant d'espérance, mérite la sympathie universelle qu'il excite. Les quatre premiers volumes viennent de paraître; ils renferment surtout les impressions de voyage de Maximilien, impressions qui, toutes chaudes encore de l'étreinte de son cœur, sont venues se graver sur la page ouverte devant lui. C'est l'Italie de 1853, Trieste avec sa rade, Naples avec son Vésuve; c'est l'Espagne, l'Andalousie avec Grenade, la ville des Califes; la Sicile avec Messine et Palerme; les Baléares, puis Valence et Murcie; Lisbonne et l'île de Madère, l'Afrique française, l'Albanie, vues par un esprit observateur et une imagination de vingt ans. L'esquif de Maximilien, avant d'aller échouer si tristement au Mexique*, avait visité bien des parages; son cœur s'était ouvert à bien des émotions, son esprit à bien des pensées. Et dire que quelques balles mexicaines ont brisé ce noble cœur qui battait pour toutes les grandes causes, et que le peuple auquel il avait espéré porter l'ordre, la sécurité, le bonheur, nous renvoie son cadavre.
Ces descriptions de voyage, quelque intéressantes, quelque pleines de poésie qu'elle soient, ne nous ont cependant pas aussi vivement ému que les deux lettres de l'archiduc Maximilien à l'archiduchesse Sophie, sa mère, publiées par les soins de M. l'abbé Menard, du diocèse de Noug, en mission à Baden, dans le journal l'Union, avec l'autorisation de la princesse, à laquelle elles étaient adressées. Dans l'une de ces lettres, l'archiduc Maximilien rend compte à sa mère des impressions qu'il rapporte de Rome; dans l'autre, des impressions qu'il rapporte de Jérusalem. Ces deux lettres, qui sont aujourd'hui une consolation pour tous ceux qui ont aimé le prince, car elles montrent combien son cœur était profondément catholique, se résument dans cette phrase: "Je ne pouvais me détacher du saint sépulcre et de ses consolations; à chaque instant il m'attirait de nouveau. A Rome j'ai trouvé l'esprit,  le sublime esprit de la religion; à Jérusalem, un mois plus tard, j'en ai trouvé le cœur embrasé d'amour. Je béni Dieu de m'avoir montré l'un et l'autre."
Je ne saurais me défendre de citer une circonstance du voyage de l'archiduc Maximilien à Rome qui, depuis que l'on connait sa douloureuse fin, donne beaucoup à penser, car Dieu éclaire, on le sait, quelquefois d'une manière surnaturelle les saintes âmes; or quelle âme fut plus sainte que celle de notre très-saint père Pie IX. L'archiduc Maximilien raconte ainsi une communion qu'il fit à Rome:" Le lundi de la Pentecôte, dit-il, de grand matin, je me confessai à un prêtre allemand. A sept heure, je fus conduit au Vatican et introduit dans la chapelle domestique du pape. A sept heures et demie, il dit la sainte messe avec une parfaite dignité et d'une voix sonore. Au moment où il me donna la sainte communion, il poussa un profond soupir; sa voix et sa figure tremblèrent; il était visiblement ému."
Que se passait-il dans l'esprit de l'auguste pontife? Le voile qui couvre les horizons de l'avenir s'entr'ouvrait-il devant son regard? Entrevoyait-il la scène funeste de Queretaro, et se sentait-il prêt à pleurer sur la tête du jeune archiduc agenouillé à ses pieds?

                                                                                                                                               Nathaniel.

La Semaine des familles, samedi 24 août 1867.


* Nota de Célestin Mira:

* Procès de Fontainebleau:

Onésime, Auguste, Noël, cocher, trouve au milieu d'une clairière une femme étendue par terre, vêtue d'une crinoline rouge et la tête protégée par une ombrelle. La victime, Sidonie Mertens, 31 ans, fut surnommée "la femme à l'ombrelle". Elle s'était rendue de Paris à Fontainebleau en compagnie de son amie, Mathilde Frigard.
Quelques jours plus tard, la police découvre au domicile de Mathilde Frigard, à Paris, le contenu du sac de Sidonie Mertens. Arrêtée, elle est inculpée pour meurtre par le tribunal de Melun. Elle fut défendue par Me Charles Lachaud surnommé le "technicien du sanglot", car il se mettait souvent à pleurer afin d'émouvoir les jurés.



Me Charles Lachaud, par Daumier.


Sidonie Mertens, reconnue coupable, fut condamnée aux travaux forcés à perpétuité.
Un bloc de grès fut placé, en commémoration, à l'endroit où le corps de Sidonie Mertens fut retrouvé. Le lieu devint un but d'excursion pour touristes.






* Le dompteur Batty au cirque Napoléon:



* Maximilien:

Ferdinand Maximilien de Habsbourg-Lorraine, marié à charlotte de Belgique, archiduc d'Autriche, prince royal de Hongrie et de Bohème fut empereur du Mexique sous le nom de Maximilien 1er. Face aux forces républicaines soutenues par les USA et devant le retrait des troupes françaises, Maximilien 1er est capturé et fusillé le 18 juin 1867.


Maximilien 1er, empereur du Mexique.





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