Les aliments et le caractère.
Depuis que la libre pensée a rejeté, pour "se connaître soi-même" la méthode courte et pratique de "l'examen de conscience", les moyens d'arriver à l'analyse de son "moi" et de celui des autres se sont tellement multipliés qu'il faudra bientôt un dictionnaire pour s'y orienter.
La théorie des "buveurs d'eau" et des "amateurs de purée septembrale"* qu'on agite en ce moment beaucoup, pour savoir si c'est à la fontaine ou à la vigne que notre peuple français doit sa dégénérescence, a remis à l'ordre du jour toutes les dissertations résumées par ce mot de Brillat-Savarin: "Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es."
La plus curieuse de ces théories, traitant de l'influence alimentaire sur l'être moral de la société, a été jadis exposée par Balzac.
A ce moment déjà, on se préoccupait de faire le choix dans les différents produits alimentaires, car la vie nerveuse étant déjà à la mode, les estomacs d'autruche se faisaient de plus en plus rares.
Il y avait entre autres, une question alimentaire qui tournait au snobisme dans les cercles mondains: celle de l'option pour le premier déjeuner, entre le chocolat, le café et le thé. Quel était le meilleur produit pour "garder les brillantes qualités françaises?"
Le premier avait ses lettres de noblesse: Louis XIV en mangea le premier bâton débarqué en France, et la Reine, son épouse, avait, paraît-il, "toutes les dents gâtées à force de mâcher perpétuellement du chocolat".
Mais le café était plus noble, puisqu'il avait des détracteurs. Dans une de ces lettres que Mme de Sévigné envoyait à la galerie par l'intermédiaire de sa fille, la spirituelle marquise avait déclaré que: "Racine passerait comme le café".
Restait le thé. Mais, alors, il était peu sympathique, nous venant des Anglais, contre lesquels nous avions soutenu la révolte des Etats-Unis; on en veut parfois beaucoup aux gens du mal qu'on leur a fait.
Alors que prendre le matin? Le chocolat dans une tasse créole?, Le café dans une coquille de Sèvres? Le thé dans un "mug" anglais? Quelle est la boisson la plus hygiénique?
Il y eut, précisément, à ce moment-là, trois hommes qui furent condamnés à être pendus; cela se passait à Londres. Après les avoir informé du sort qui les attendait, on leur tint à peu près ce langage:
"Au lieu de mourir stupidement au bout d'une corde, sans profit pour personne, vous pouvez faire avancer la science en essayant un autre genre de trépas, qui n'est nullement certain, du reste, tandis que la corde ne vous manquera pas.
Il s'agit, pour l'un, de vivre exclusivement de chocolat; pour l'autre, de ne s'alimenter que de café, et pour le troisième, de se contenter seulement de thé. Cela jusqu'à ce que mort s'en suive ou ne s'ensuive pas: c'est précisément l'expérience que nous voulons tenter.
Les candidats à la pendaison acceptèrent. Celui qui fut exclusivement nourri de chocolat mourut au bout de huit mois, atteint de gangrène généralisée. Le buveur de café tint deux ans et mourut de fièvre hectique, si calciné, dit Balzac, que les savants qui surveillaient l'expérience proposèrent, ce vieil âge est sans pitié, de prouver, par incinération, qu'il s'était à peu près totalement converti en chaux. Cette motion fut d'ailleurs repoussée par respect pour la guenille humaine.
Quant au troisième, il alla trois ans en ne vivant que de thé, mais la consomption avait réduit son corps "à la transparence d'une lanterne."
Et Balzac, qui conte la chose, ajoute ceci:"Les destinées d'un peuple dépendent de sa nourriture."
Voilà un axiome bien matérialiste et, si l'écrivain l'entend à la lettre, il est bien facile de le démentir.
Il n'est pas absolument exact, en effet, de dire que les aliments jouent, dans l'économie organique où nous les introduisons, le rôle de combustible que nous versons dans la lampe. L'huile, le pétrole, l'essence, l'alcool, le gaz, l'électricité donnent des lumières différant entre elles par la couleur et l'intensité, c'est vrai, mais une lampe est un appareil inerte et le combustible est son seul élément vital. J'oserai prétendre que nous avons d'autres éléments vitaux que ceux qui peuvent nous venir des légumes et des viandes que nous absorbons. Sans cela, la palingénésie serait assez commode à réaliser. Le jour où on aurait prouvé que le céleri-rave ou le bœuf au raifort engendrent l'esprit routinier, par exemple, on élèverait une race de fonctionnaires modèles avec ces seuls aliments. Si, d'autre part, il était démontré que le veau donne des algébristes, on réserverait tous les veaux pour les polytechniciens et ainsi de suite.
Malheureusement, il est prouvé au contraire qu'un gredin mange du mouton sans devenir un honnête homme, et qu'un honnête homme fait de même sans devenir gredin. L'expérience journalière nous apprend aussi que le boulanger vend, à ses clients intelligents le même pain qu'à ses clients imbéciles. On peut encore se rendre compte de la différence des caractères et des aptitudes dans une même famille dont tous les membres reçoivent cependant une alimentation pareille.
Il semble donc qu'on puisse convenir que notre personnalité, et, par conséquent, nos destinées, ne dépendent pas de notre nourriture. Mais où l'on aurait, peut être, plus de chances de trouver la vérité, c'est dans les observations, qui ne sont pas toujours fantaisistes, des physiologistes qui prétendent que les goûts alimentaires révèlent certaines dispositions morales.
Ce ne serait pas à cause du café qu'il boit à profusion, que le Français se montre vif et spirituel, mais c'est parce qu'il fait une grande dépense d'activité cérébrale qu'il a recours, d'instinct, à cet excitant cérébral. Les Turcs, qui n'ont pas l'esprit papillonnant qu'on leur attribue, boivent plus de café que nous. Ils lui demandent de combattre la torpeur de leur climat et de leur sang.
Ce n'est point l'usage du thé qui a rendu la race anglo-saxonne conquérante et ambulatoire, ainsi que le dit Balzac. Mais cette éternelle voyageuse ayant reconnu, dans le thé, un fondant des graisses qui gêneraient sa vocation musculaire, lui a donné sa préférence.
Ce n'est pas le chocolat qui fait les Espagnols paresseux et lents. Mais leur instinct d'inertie, de flânerie fière et triste leur fait accepter, sans difficulté, cet aliment dont le parfum flatte leur goût d'élégance d'abord, puis dont les éléments demandent, pour se digérer, un temps que leur mode d'existence peu active peut leur accorder.
On pourrait donc, bien que le terrain prête à des excursions très-fantaisistes, essayer de tirer quelques enseignements sur les caractères, en consultant les goûts alimentaires. "Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es", a donc pu écrire Brillat-Savarin, mais avancer que "les destinées d'un peuple dépendent de son assiette"!... A moins que ce ne soit l'assiette au beurre?
Par exemple, l'alimentation a certainement une action indiscutable sur la santé et sur les formes physiques. On l'admet sans peine quand on a constaté que même la topographie du sol influe sur la conformation des êtres qui y vivent habituellement.
Ainsi on a l'habitude de dire que "les pieds cambrés sont signe de race."
Or, vous trouvez fort rarement cette cambrure caractéristique dans les noblesses lorraine et normande, lesquelles sont pourtant fort anciennes. Pourquoi? Parce que ces races vivent en pays de plaines, et que le pied fait pour marcher en plaine souffrirait de la conformation cambrée. La nature, qui n'a pas prévu les chemins de fer et les bicyclettes, a donc voulu le pied plat et long pour les habitants des sols plats.
En Auvergne, dans le pays basque, en Corse au contraire, vous trouvez des pieds plébéiens forts petits et très cambrés, parce que l'habitant des régions montagneuses a besoin de cette conformation pour grimper.
Si les causes extérieures modifient à ce point notre présentation physique, il est assez raisonnable d'admettre que la cause plus intime de l'alimentation l'influence plus encore.
Les buveurs de vin ont le teint fleuri; les buveurs d'eau, le teint pâle; les buveurs de lait ont la peau très blanche; les buveurs de bière ont la peau boursouflée ou couperosée, ils vieillissent vite d'apparence. Les mangeurs de viandes saignantes deviennent chauves de bonne heure. Les maladies nerveuses les atteignent facilement, surtout s'ils boivent beaucoup de vin et de liqueurs.
Le café aseptise l'organisme, mais il ne faut pas en abuser car, après avoir brûlé nos microbes, il s'attaquerait à nous-mêmes.
Le chocolat est un aliment "stagnant". Il engendre beaucoup de détritus, de fermentations dans les voies digestives. Il faut en être économe et ne pas en donner aux enfants.
Les végétariens exclusifs ne sont pas plus dans le vrai que les carnivores acharnés. L'homme n'est ni herbivore ni carnivore, il est omnivore, c'est à dire fait pour manger un peu de tout. Mais on peut ajouter qu'il est très frugivore, c'est à dire qu'il peut trouver son "aliment complet" dans les fruits. Seulement, par ce mot, il ne faut pas entendre seulement les produits du verger, mais aussi ceux des champs et des potagers: blé, sarrazin, lentilles, pois, haricots: toute graine est un fruit.
Michel Saint-Yves.
Les Veillées des chaumières, 19 février 1902.
Nota de célestin Mira:
* La purée septembrale est le vin. On doit cette expression à François Rabelais, dans Gargantua:
"Il estoit merveilleusement phlegmaticque des fesses, tant de sa complexion naturelle que dans la disposition accidentale qui luy estoit advenue par trop humer de purée septembrale."
Menu du banquet donné lors de l'inauguration de la statue de Rabelais à Chinon en 1882. |
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