Chroniques diverses de 1867.
On a dansé avec fureur les derniers jours du carnaval. Les musiciens manquaient aux orchestres tant les bals étaient nombreux. Une des nuits les plus brillantes a été celle de l'hôtel du ministère des affaires étrangères qui, illuminé de haut en bas avec des cordons de gaz, étincelait dans les ténèbres comme un palais des Mille et une nuits. L'affluence était énorme dans les rues, et l'on dit que la population flottante s'était accrue de cent cinquante mille nomades accourus pour jouir des plaisirs du carnaval à Paris. Il faut qu'on s'ennuie terriblement en province et en Europe, pour que tant d'étrangers et de provinciaux aient jugé à propos de faire un long voyage afin de voir quelques masques hideux traîner leurs oripeaux dans la boue, et d'assister à la promenade monotone du bœuf gras, ou plutôt des bœufs gras, car cette monarchie ruminante est devenue une oligarchie. J'allais oublier les ritournelles du bal, les queues des danseuses se déchirant sous les pieds des cavaliers, les grincement des cors de chasse enroués, dans lesquels soufflent toutes les lèvres, les trompes des Gavroches qui vous poursuivent dans les rues. Mais les bals surtout, qui nous délivrera des bals? La fatigue est si grande après ces nuits d'agitation et d'insomnie, que le carême, qui nous rend le repos, est presque devenu une sensualité.
Je sortais le mercredi des cendres de l'église avec un père de famille de ma connaissance, qui, pendant tout l'hiver, a conduit ses quatre filles au bal quatre fois pas semaine.
- Ah! monsieur, me disait-il, je n'aurais jamais cru que le jour qui nous appelle que nous sommes poussière et que nous retournerons en poussière, pût me sembler un beau jour. Mais je suis sur les dents, et le mercredi des cendres me rappelle en même temps que la nuit est faite pour dormir et que je coucherai ce soir dans mon lit.
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On nous assure qu'on a constaté une nouvelle maladie dite: maladie du chignon. Depuis qu'il est convenu que toutes les femmes, sans distinction d'âge, doivent avoir derrière la tête la chevelure de Samson, ou moins deux ou trois livres de cheveux tombant dans un filet qui a quelque ressemblance avec ces paniers où l'on secoue la salade, il paraît que les fabricants de postiches ne savent à qui entendre; la production, selon l'expression consacrée, ne peut suffire à la demande. Qu'arrive-t-il? Suivant l'homme de science de qui nous tenons ce fait, voici ce qui arrive. La crinière que la moitié au moins de la plus belle moitié du genre humain trouve à propos d'annexer à sa chevelure naturelle et insuffisante n'a pas toujours subi toutes les préparations nécessaires. Or il advient que le cheveu mort est souvent habité par des animaux microscopiques qui sont à la vermine dont je ne veux pas prononcer ici le nom ce que celle-ci est à l'éléphant. Dans le mouvement effréné de la polka et de la mazurka, qui pendant les derniers jours du carnaval se déroulaient dans nos salons, ces chignons peuplés d'une poussière d'animalcules invisibles répandaient une pluie d'atomes animés dans l'atmosphère. " Ce qu'il y a d'affreux à penser, ajoutait le savant qui m'a transmis ces détails, c'est que ces atomes nés sur le cheveu mort, lorsqu'ils sont absorbés par la respiration, peuvent produire le même effet que la trichyne." N'y a -t-il pas de quoi faire trembler les danseurs les plus intrépides? N'aurait-on pas le droit, avant d'inviter une danseuse, de lui poser, relativement à cet appendice chevelu de la toilette des femmes, une question d'origine? Que dites-vous de l'apparition de ce nouveau fléau, la trichyne du chignon?
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Le P. Félix a commencé ses conférences à Notre-Dame devant une nombreuse assistance. Il a prêché avec un rare talent sur l'art en général et sur le progrès dans l'art, et nous avons retenu de son discours cette belle pensée: "L'idéal du philosophe, c'est le vrai; l'idéal du saint, c'est le bien; l'idéal de l'artiste, c'est le beau."
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La Société des Publications populaires, 82, rue de Grenelle, fait paraître en ce moment la liste raisonnée des œuvres charitables de Paris, destinée aux visiteurs de l'Exposition, et accompagnées de courtes notices qui serviront de guide à ceux qui voudraient connaître ces œuvres et les visiter à leurs sièges. Cet opuscule indique en même temps les monuments religieux, les lieux de pèlerinage, enfin les services religieux qui seront faits dans diverses églises de Paris pour les Anglais, les Allemands, les Flamands et les Italiens.
Il y a bien des gens qui, venus à Paris pour voir Babylone, ne seront pas fâchés de voir par la même occasion Jérusalem.
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C'est à tort qu'on avait prétendu que l'obélisque de Louqsor serait transféré de la place Louis XV sur les hauteurs du Trocadéro. Le journal qui s'était permis de donner cette nouvelle légèrement hasardée a reçu un Communiqué qui rétablit les faits et assure à l'obélisque la continuation de son domicile. Nous sommes également en mesure d'affirmer que les tours de Notre-Dame resteront à leur place, ce qui ne peut pas manquer de réjouir les habitants du quartier, habitués à leur bourdon.
Nathaniel.
La Semaine des familles, samedi 23 mars 1867.
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