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vendredi 14 décembre 2018

Nos étoiles voyagent.

Nos étoiles voyagent.


Nos grands artistes ont émigré vers la province et vers l'étranger.
Il en est ainsi tous les ans durant la période estivale. La saison théâtrale ne dure que jusqu'au Grand Prix.
Le comédien est nomade et changeant de sa nature. Comme elle est loin l'époque où nos comédiens parcouraient la France en roulotte, s'arrêtaient aujourd'hui dans une ville, demain dans une autre, pour y donner des représentations en plein vent. Il est passé le temps où Wilhelm Meister* discutait avec ses compagnons, sur la façon de jouer Shakespeare.
Aujourd'hui, nos comédiens voyagent en rapide et n'ont d'autres préoccupations, pendant tout le trajet, que de savoir si la nourriture sera bonne à l'hôtel où ils descendent et s'ils seront confortablement logés. Tout est organisé par l’imprésario qui a signé les traités avec le directeur, c'est lui qui prend toutes les responsabilités à ses risques et périls.

Ce que gagnent les artistes.

En 1840, les appointements annuels des artistes, à Paris, étaient les suivants: Mlle Rachel*, 66.000 francs; Mlle Mars*, 40.000 francs; le ténor Naudin*, 110.000 francs; Fanny Essler*, 46.000 francs; Taglioni*, 36.000 francs.
Il y a dix ans les appointements augmentèrent singulièrement.
On donnait par mois à l'Opéra: 11.000 francs à M. Lassalle*; 6.000 à M. Jean de Rezké*; 5.000 francs à son frère Edouard* et 5.000 francs également à Mmes Richard* et Adiny*.
A la même époque, M. Melchissédec* gagnait 48.000 francs par an à l'Opéra; M. Escalaïs* 45.000 francs; Mlle Mauri* la célèbre danseuse, 40.000 francs, et Mme Tufrane, 36.000.
L'Opéra-Comique payait 8.000 francs par mois M. Maurel*.
Il y a cinq ans, Mme Sarah Bernhardt* touchait 1.500 francs par soirée; Mme Réjane*, 800; Jeanne Granier*, 600; Jane Hading*, 500. Enfin au café-concert, Yvette Guilbert* recevait tous les soirs 700 francs pour chanter cinq chansons.



A l'heure actuelle, ces appointements ont augmenté du double. Et nos artistes-étoiles ne jouent pas à moins de 1.000 à 2.000 francs le cachet. Je ne parle pas de Sarah Bernhardt, d'Yvette Guilbert et de Coquelin qui touchent des cachets supérieurs à 3.000 francs. Tout récemment, on a vu une artiste des plus distinguées de la Comédie-Française, Mlle Brandès*, émigrer à la Renaissance-Guitry, où on lui offrait des appointements annuels de 200.000 francs.
Comment voulez-vous qu'avec de pareils appointements nos artistes ne fassent pas fortune et ne possèdent pas hôtels avec pignon sur rue!

Adieu Paris!

Si vous joignez à ces magnifiques appointements, les revenus des tournées et les représentations de retraite, vous verrez quels capitaux considérables peut amasser un grand artiste durant sa vie.
On peut affirmer sans crainte de se tromper que ce sont les tournées en province et à l'étranger qui enrichissent les comédiens. La tournée! Mais c'est la fortune  de l'artiste assurée à bref délai! Nos comédiens le savent bien, et c'est pourquoi, si joyeusement, ils abandonnent les Parisiens en proie à la canicule.
Les premières tournées de Sarah Bernhardt dans l'Amérique du Nord lui ont rapporté chacune, 100.000 francs. Coquelin a obtenu également à peu près le même chiffre avec ses tournées d'Europe. Réjane recevait tous les soirs, au cours de sa dernière tournée dans l'Amérique du Sud, un cachet de 6.000 francs par représentation. Jane Hading n'entreprend pas une tournée à moins de 50.000 francs.
Comme les artistes, les impresarii tirent aussi un grand intérêt des tournées. Un de nos impresarii les plus connus, mort récemment, a laissé à ses héritiers la jolie somme de 800.000 francs gagnée en 8 ans.
Parmi les artiste français qui ont le plus voyagé, il convient de citer: Sarah Bernhardt, Coquelin, Réjane et Hading.

La bonne petite réclame.

Au cours de leurs premières tournées à l'étranger, nos comédiens, dans le but de se faire de la réclame et pour amorcer le public, se livrèrent à toutes sortes d'excentricités. Tantôt c'est Sarah Bernhardt qui ne voyageait jamais sans se faire accompagner de son cercueil dans lequel elle couchait tous les soirs, tantôt c'étaient les Coquelin qui annonçaient à grands coups de tam-tam que le revenu de leurs tournées était destiné au rachat de l'Alsace et de la Lorraine; enfin c'était Réjane qui couchait tous les soirs sous une tente construite exactement comme celle que Mon Dimanche dresse les plans en ce numéro, et qu'elle plantait dans les villes où elle passait.
Mais le succès ayant couronné leurs entreprises, nos artistes jugèrent inutile de se livrer plus longtemps à ce déploiement de publicité.
Sarah Bernhardt a continué à voyager avec tout le confortable qu'une femme puisse souhaiter. Voulez-vous savoir par le menu, comment elle se met en route? Ecoutez. Notre grande tragédienne ne part jamais sans se faire escorter de soixante-treize malles.
Ces malles contiennent les robes du matin, robes d'après-midi et costumes de bal; Sarah Bernhardt, avec sa parfaite connaissance du public, sachant qu'une exhibition de toilettes est un gros élément de succès, emporte cinq à six robes pour paraître dans une seule pièce. Ces robes sont classées dans plusieurs malles qui portent l'étiquette de la pièce. Tout l'attirail des dessous, chemises, bas, pantalons, chaussures, est placé dans des malles spéciales. Les objets nécessaires au métier, les pots de blanc et de rouge, les blaireaux et toute la parfumerie. Les soixante-treize malles de Sarah Bernhardt sont de vrais chefs-d'oeuvre d'ingéniosité. Quand il faut passer les mers, ce ne sont plus des malles en osier qui contiennent les robes que l'air salin pourrait abîmer, mais des boîtes de fer-blanc, qui sont elles-mêmes placées dans d'autres caisses en bois.

Vive Sarah!

Et que dire de l'accueil enthousiaste que reçoit à son arrivée dans toutes les villes du monde, notre grande tragédienne française! Au Brésil, des étudiants criaient "Vive la France!" en traînant sa voiture. Au Canada, des députés et des sénateurs poussaient son traîneau en chantant à pleine gorge la Marseillaise. On tire le canon lorsqu'elle quitte le nouveau monde, et cinq mille personnes, sur le quai, agitent leurs mouchoirs pour saluer, à son départ, l'illustre passagère.



Dans un de nos récents numéros, nous avons conté l'ovation et le singulier souvenir que les gauchos sud-américains, enthousiasmés, offrirent à l'illustre tragédienne: ce troupeau de bœufs, hommage de la reconnaissance des cavaliers argentins, qui vint mugir sous ses fenêtres et que Sarah convertit en belles et bonnes pièces d'or!
Sarah Bernhardt n'est pas seule à avoir excité l'admiration des étrangers, Réjane et Coquelin ont fait également de triomphales tournées. Un roi, admirateur enthousiaste du jeu si original et si personnel de la plus parisienne de nos comédiennes, n'offrait-il pas à Réjane, il y a quelque temps, une paire de ravissantes mules, et l'empereur d'Allemagne ne donnait-il pas audience à Coquelin, l'an dernier?



On peut dire que les comédiens vivent en tournée dans une véritable apothéose! On comprend leur goût pour les voyages. Ils y trouvent toutes les satisfactions d'amour-propre et des appointements splendides.

                                                                                                                 Robert Eude.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 23 août 1903.


* Nota de Célestin Mira:



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* Mlle Rachel.






Mlle Rachel.

* Mlle Mars.


* Le ténor Naudin.

Emile Naudin.

* Fanny Essler.

Franziska Essler dite Fanny Essler.

* Taglioni.


Marie Taglioni. 
* M. Lassalle.

Jean Lassalle, bariton.
* Jean de Rezké.

Jean de Rezké, dans le rôle de Siegfreid.
Photographie de Nadar.
* Edouard de Rezké.

Edouard de Rezké dans le rôle de
Méphistophélès de Faust de Gounod.
* Mme Richard.


* Me Adiny

Ada Adiny.
* M. Melchissédec.




M. Escalaïs.




Mlle Mauri.

Mlle Rosita Mauri.

M. Maurel.

* Mme Sarah Bernhardt.



* Mme Réjane:

Gabrielle Réjane.

* Jeanne Granier.

Jeanne Granier.
* Jane Hading.

Jane Hading.

* Yvette Guilbert.



* Mlle Brandès.


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