La promenade à la mode.
Les frères de Goncourt ont laissé une description pittoresque et colorée de la vie parisienne au Cours-la-Reine et aux Champs-Elysées sous le Directoire. Nous en reproduisons ce fragment.
Ce cours, où Paris s'aventurait peu, est devenue une promenade courue. Les arbres ci-devant taillés en mur le long de la grande allée, et cintrés en dôme au-dessus des contre-allées, poussent en liberté et donnent toute l'ombre et tout l'agrément qu'on peut demander à des arbres de trente ans. Les tertres gazonnés, disparus depuis, appellent et convient, comme des tapis garés du soleil, les jeux de l'enfance. Une armée folle et rieuse de garçonnets, tout à l'heure moutonnés jusqu'à la jarretière, aujourd'hui en carmagnole de siamoise rayée, un petit bonnet de police sur la tête, s'ébat sur la pelouse; et dans les chemins tracés, les parents traînent, fiers de leur fardeau, leurs marmots couchés dans des petites voitures au milieu de leurs joujoux. Ces amusements, ces joies enfantines et ces bonheurs paternels aiment et peuplent ces Champs-Elysées, bientôt montés à de plus hauts destins, bientôt l'arène des coquetteries équestres.
Les Champs-Elysées en 1789. |
Il est, en ces Champs-Elysées, des recoins de verdure, des aspects de campagne qui surprennent et distraient l’œil. L'allée des veuves, avec ses baraques en planches aux toits de chaume, ses treillages boiteux, ses clôtures à moitié mangées par les plantes grimpantes, semble une petite Thébaïde normande. Mais l'illusion d'être loin de Paris si près de Paris ne reste pas longtemps au rêveur, et ce ne sont qu'apparences rustiques; les jeux clandestins se cachent sous les frondées, dortoirs de gueux et de gueuses pendant les étés de la Révolution.
Les cafés brillent le soir par toute cette campagne civilisée, depuis les hauteurs de l'Elysée jusqu'à la place de la Révolution, depuis le citoyen Renault, qui tient un dépôt de glaces de Velloni auprès de l'avenue Marigny, jusqu'à Corazza qui, son café du Palais-Royal cédé à Peyron vient de s'établir au Garde-Meuble. Les Champs-Elysées, cette forêt parisienne, sont remplis de limonadiers et de traiteurs, d'amphitryons aimables du passant. Et n'ont-ils pas, les Champs-Elysées, ce glacier poli parmi les glaciers les plus polis, Travers, ci-devant officier des ambassadeurs de Venise, qui adresse aux dames cette galante invitation:
" Madame, Travers a l'honneur de vous prévenir qu'il s'est trouvé forcé d'abandonner le service du bal de l'hôtel Marbeuf par la rétribution trop généreuse qu'exigeaient les entrepreneurs. Le seul regret qu'il éprouve est d'être séparé d'une société agréable, dont les femmes qui la composent forment le principal ornement."
Edmond et Jules de Goncourt.
Les Annales politiques et littéraires, revue universelle paraissant le dimanche, 26 octobre 1913.
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