La clef des cœurs.
C'est un beau, un très beau sergent de ville. Trente ans au plus, de haute taille ainsi qu'il convient à un ex-marchi de dragons, il porte rudement bien l'uniforme noir à boutons d'argent. Pas un comme lui ne sait camper le képi sur l'oreille. Il n'a pas les cheveux coupés à la malcontent comme les grognards du corps. Il se permet une coiffure d'homme comme il faut. La raie court droite et blanche depuis le somment de son front jusqu'à la naissance de la nuque. On dirait un sentier bien propre et bien balayé du parc de Versailles; Et avec cela un soupçon de bandeaux au coin des tempes. J'aime moins sa moustache. Elle est trop frisée, trop enroulée. J'ai toujours envie de l'envoyer au Louvre, dans la section des antiquités assyriennes, où il y a, sur les bas-reliefs, des rois qui ont des barbes également passées au petit fer. Vrai! mon sergot ferait une riche tête à côté de ces souverains en pierre dont on doit prononcer le nom en éternuant.
N'importe! je le constate de nouveau: c'est un superbe sergent de ville. Sans doute il a un peu trop de travail étant un de ceux qui répondent du bon ordre dans le faubourg Montmartre. Le main, il est obligé de faire circuler les revendeurs de légumes et les harengères qui stationnaient volontiers à cet endroit. Il s'acquitte de son devoir avec douceur et fermeté. Les vieilles qui vendent du maquereau disent de lui que c'est un beau jeune homme, frais comme l’œil, un peu trop obstiné quand il veut quelque chose; mais à part cela, bon comme le bon pain. Il s'est arrangé une vie excessivement simple mais très pratique. Il exploite son célibat au profit de son estomac. Il est officiellement le fiancé de cinq cuisinières du quartier qui raffolent de lui. Il va déjeuner et dîner avec chacune d'elles à jour fixe. Les maîtres trouvent cela tout naturel: c'est si honnête un de ces agents de quartier. Parfois même madame passe à la cuisine et elle entend le beau sergent de ville qui tonne contre les voyous et menace d'écraser une nouvelle Commune. Madame va retrouver monsieur à la salle à manger et tous deux sont rudement heureux de se sentir protégés par l'amant de leur bonne.
Par exemple, il s'est réservé deux jours dans la semaine; On ne peut pas toujours frayer avec des servantes. Et puis positivement l'odeur du graillon finirait par l'énerver. Quand il n'est pas de service, il profite de sa liberté pour aller faire un tour du côté de l'Ecole militaire. Il va prendre le café dans une des maisons closes de ce quartier. Ça lui rappelle le régiment et ça le rajeunit. Il obtient du reste beaucoup de succès. Ces dames prétendent qu'il est très bien élevé. De son côté, il les trouve charmantes. Elles ont de si bonnes odeurs sur elles!
Mais son triomphe, c'est le service de nuit. Nul ne fut plus clément aux pierreuses* et aux petites boutiquières attardées. Pourvu qu'elles ne fassent pas les folles, il ferme les yeux sur leurs écarts. Quelquefois, tout en les menaçant d'exécuter la consigne, il leur indique rapidement à voix basse le vieux monsieur attardé qui les file sur le trottoir d'en face. Elles lui savent rudement gré de ces petits services. Elle se disent que c'est un bon roussin. C'est vraiment dommage qu'il fasse ce métier-là. Après tout, quand il n'a plus son uniforme, c'est un homme comme un autre, n'est-ce pas? et même un homme bien gentil.
Je vous répète pour la troisième fois que c'est un bon sergent de ville. Il aura de l'avancement l'été prochain, c'est sûr. Ses supérieurs lui ont donné la note suivante:
" X..., bon serviteur. Très aimé dans son quartier, n'est haï que des souteneurs."
Robert Caze.
La vie populaire, dimanche 27 septembre 1885.
* Nota de célestin Mira:
* Pierreuses:
Par exemple, il s'est réservé deux jours dans la semaine; On ne peut pas toujours frayer avec des servantes. Et puis positivement l'odeur du graillon finirait par l'énerver. Quand il n'est pas de service, il profite de sa liberté pour aller faire un tour du côté de l'Ecole militaire. Il va prendre le café dans une des maisons closes de ce quartier. Ça lui rappelle le régiment et ça le rajeunit. Il obtient du reste beaucoup de succès. Ces dames prétendent qu'il est très bien élevé. De son côté, il les trouve charmantes. Elles ont de si bonnes odeurs sur elles!
Mais son triomphe, c'est le service de nuit. Nul ne fut plus clément aux pierreuses* et aux petites boutiquières attardées. Pourvu qu'elles ne fassent pas les folles, il ferme les yeux sur leurs écarts. Quelquefois, tout en les menaçant d'exécuter la consigne, il leur indique rapidement à voix basse le vieux monsieur attardé qui les file sur le trottoir d'en face. Elles lui savent rudement gré de ces petits services. Elle se disent que c'est un bon roussin. C'est vraiment dommage qu'il fasse ce métier-là. Après tout, quand il n'a plus son uniforme, c'est un homme comme un autre, n'est-ce pas? et même un homme bien gentil.
Je vous répète pour la troisième fois que c'est un bon sergent de ville. Il aura de l'avancement l'été prochain, c'est sûr. Ses supérieurs lui ont donné la note suivante:
" X..., bon serviteur. Très aimé dans son quartier, n'est haï que des souteneurs."
Robert Caze.
La vie populaire, dimanche 27 septembre 1885.
* Nota de célestin Mira:
* Pierreuses:
Pierreuses au bar, Picasso. Période bleue. |
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