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vendredi 26 avril 2019

Semaine sainte.

Semaine sainte.


Pour les uns c'est un terme fatal, pour les autres c'est un heureux moment de délivrance et de repos. -Enfin! s'écrient ceux-ci; -Déjà! soupirent ceux-là; mais après tout les plus intrépides et les plus exigeans auraient mauvaise grâce à se plaindre, car depuis long-temps la saison des réunions et des fêtes n'avait été aussi animée et aussi brillante que cette année.
La semaine sainte est une époque de clôture officielle. Ces jours passés, dans presque tous les salons, la maîtresse de maison disait à ses invités, à ses habitués: -"C'est aujourd'hui ma dernière soirée, mon dernier concert, mon dernier bal." A cette nouvelle, quelques maris essayaient vainement de dissimuler leur satisfaction. Pour les maris, c'est le commencement des vacances; les voilà libres des grandes corvées, exempts des cruels soucis que leur donnent la contredanse et la valse, quittes des énormes dépenses que nécessitent les toilettes de bal. Ils peuvent goûter le calme de la vie domestique et arrêter les frais de la marchande de modes, du fleuriste, du bijoutier et autres gens de proie; - heureux si leur barque n'a pas été endommagée en traversant tant d'écueils et de récifs.
La saison se termine par une grande revue appelée la promenade de Longchamps. Nous y sommes à l'heure qu'il est, mais voici déjà plusieurs années que cette antique solennité n'offre rien de particulièrement remarquable. Dans ces trois jours officiels, l'avenue des Champs-Elysées n'est ni plus ni moins décorée de brillans équipages, que dans les jours ordinaires favorisés par le beau temps; seulement, pour fêter la circonstance, sept ou huit douzaines de fiacres et un pareil nombre de cabriolets mylords viennent se mêler bourgeoisement aux élégantes voitures de maître qui encombrent la chaussée.
La vogue des Champs-Elysées se soutient: le jardin des Tuileries est abandonné à ce qu'il y a de plus modeste dans l'ordre des piétons. Les gens à voiture ne s'y montrent presque plus, parce que là, rien ne satisfait leur vanité. Quand vous vous promenez aux Tuileries, les gens que vous rencontrez ne savent pas si vous êtes venus en voiture; vous perdez tout le relief, toute la considération que donne un fringant équipage. Aux Champs-Elysées, au contraire, vous commencez par faire deux ou trois tours en voiture; on vous y voit; on vous y admire; vous descendez devant le public, et vous pouvez vous donner la satisfaction d'interrompre de temps en temps votre promenade pour parler à vos gens et remonter en voiture chaque fois que vous rencontrez une personne qu'il vous convient d'éblouir, de séduire ou de désespérer par votre luxe.
Voilà pourquoi dès que le soleil luit dans l'après-midi, tous les oisifs élégans  s'élancent aux Champs-Elysées. On y voit tous les gens qui ont les moyens de se faire traîner à un cheval ou à plusieurs chevaux: - moyens d'emprunt, moyens illicites, bien souvent! Les heureux, les brillans de ce monde, passent fièrement devant l'infanterie de la mode, qui marche en bataillons serrés dans la contre-allée de droite, et qui se distrait de ses fatigues et de sa médiocrité en médisant de ses chefs de file, en lançant des brocards contre toutes les voitures, depuis la calèche de l'ambassadrice jusqu'au limaçon de la lorette. - On appelle limaçons ces petites voitures excessivement basses qui ont l'air de ramper sur le pavé.
Les cavaliers sont les plus exposés au feu roulant des envieux fantassins. Prêtez l'oreille, et vous apprendrez à quel râtelier mangent les coursiers de la plupart de nos superbes dandys. Dieu sait par quelles mains passe l'avoine dont se nourrissent ces intéressans quadrupèdes!

Le Salon littéraire, dimanche 16 avril 1843.

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