Parvenus.
- Une Mississippienne (1), toute brillante de pierreries, étaient avec deux de ses filles aux premières loges de la Comédie Française. Son air bas, que la nature avait copié parfaitement dans ses filles, décelait cette famille, malgré leurs housses magnifiques, à des yeux pénétrants. Un petit-maître, voulant savoir à fond ce qu'était cette dame, l'attendit au sortir de la Comédie; il la vit monter avec ses filles dans un carrosse aussi superbe que celui d'un ambassadeur. Deux groupes de laquais étaient prêts à environner le carrosse devant et derrière. Un laquais, qui avait la figure d'un Adonis, demanda respectueusement: " Où Madame veut-elle qu'on la conduise? " Elle répondit: " Cheux nous." Cette expression mit en joie toute la livrée, qui en fit sur le champ un écho. Le petit maître ayant prié le beau laquais de lui définir cette dame: " - Monsieur, dit-il, c'est une blanchisseuse de linge qui est tombée, sans se blesser, d'un quatrième étage dans un carrosse."
(1) C'est à dire une femme enrichie par le système de Law.
(Bibliothèque de cour.)
- La cocher de M. Law a présenté deux autres cochers à son maître, et celui-ci lui demandant s'ils étaient bons, il a répondu: " Ils sont si bons, que celui que vous ne prendrez pas, je le prends pour moi."
(Duchesse d'Orléans, Correspondance.)
- Les gens qui ont si effroyablement gagné sur les actions de Law achètent tout sans marchander. On raconte des histoires plaisantes. Il y a quelques jours une dame, nommée Mme Bégon, était à l'Opéra. Elle vit entrer dans sa loge une personne extrêmement laide, mais vêtue des plus belles étoffes qu'on puisse imaginer et couvertes de diamants; la fille de Mme Bégon lui dit: " Ma mère, regardez donc cette dame si parée; il me semble que c'est notre cuisinière Marie." La mère lui répondit: " Taisez-vous, ma fille, cela n'est pas possible." La fille répliqua: "Mais ma mère, regardez-la bien. - Je ne sais qu'en penser, répondit la mère; elle lui ressemble extraordinairement. - Eh bien quoi? dit tout à coup celle-ci, je suis Marie, la cuisinière de Mme Bégon. Je suis devenue riche, je me pare de mon bien. Je ne dois rien à personne; j'aime à me parer et je me pare: qu'est-ce qu'on a donc à redire à cela?"
(Duchesse d'Orléans, Correspondance.)
- Dans les temps les plus malheureux, il y a toujours des gens qui trouvent le secret de s'enrichir. Un parvenu, qui n'était jamais monté en voiture que dans la charrette qui l'a amené à Paris, vient de faire une assez grosse fortune dans une affaire de finance. Ses jambes, si robustes jusqu'alors, ne peuvent supporter la fatigue des longues courses de la capitale. Il lui faut un carrosse; le plus fameux sellier est appelé. " Monsieur, je veux une voiture dans le plus nouveau goût. - Quelle couleur, monsieur? - La plus nouvelle. "
A chaque question du sellier, toujours la même réponse: "Mais , monsieur, quelles armes mettrai-je? - Tout ce qu'il y a de plus nouveau," continue à répondre le parvenu, qu'on appelle plus maintenant que M. tout nouveau.
(Métra, Correspondance secrète.)
- Plusieurs de ceux qui ont, sous le Directoire, improvisé une fortune dans les fournitures ou dans les spéculations de l'agiotage, n'ayant pu acheter avec leurs millions l'esprit et les connaissances qui leur manquaient, ont dû parfois proférer de lourdes sottises. Un de ces messieurs, que je voyais souvent, arriva un jour chez lui à un dîner prié, quand tout le monde était à table. Pour s'excuser de cette inconvenance, il dit à sa femme: "Chère amie, je demande pardon à la société de m'être fait attendre, mais c'était pour une affaire importante: j'ai été ce matin à une vente de livres, et même on va apporter l'ouvrage qui est à moi. - Quel est cet ouvrage? demandai-je à l'amphitryon. - Oh! c'est la Henriade en soixante-douze volumes." Le brave homme avait acheté le Voltaire de Beaumarchais en soixante-douze volumes; le premier qui lui était tombé sous la main avait été la Henriade, et il s'était dispensé de regarder les autres.
(Alissan de Chazet, Mémoires.)
- La maréchale Lefèvre*, dont l'éducation avait été plus que négligée, fut un jour voir des hôtels, désirant en acheter un. Elle arrive dans une pièce, autour de laquelle étaient des armoires grillées et garnies de taffetas vert. - "Qu'est-ce que ça?" demanda-t-elle au concierge; - Madame la maréchale, c'est une bibliothèque. - A quoi que c'est bon? - A serrer les livres, madame. - Ah bah! c'te bêtise! mon mari n'est pas liseur! je ne suis pas lisarde; j'en ferai mon fruitier, ça voudra mieux." En effet la pièce eut cette destination, ce qui donnait à tout l'appartement une odeur peu agréable.
Elle arriva un jour pour déjeuner avec l'impératrice Joséphine, qui était entourée de toutes ses dames. Sa Majesté trouve à la maréchale un air effaré, qui ne lui était pas ordinaire, et, avec sa grâce habituelle, lui demanda avec intérêt ce qui lui donnait de l'inquiétude ou du chagrin: " Oh! madame, c'est une longue histoire que je veux bien raconter à Votre Majesté; mais pour cela, il faut qu'elle fasse en aller ces pisseuses (les dames du palais), qui ricanent là en me regardant. - Veuillez bien, mesdames, passer dans le salon de service, leur dit Joséphine, persuadée qu'il s'agissait d'un secret de famille.- Eh bien, maintenant, madame la duchesse, contez-moi vos peines. - Je n'en ai plus, madame, mais voyez-vous, je suis encore toute émue d'un malheur qui m'a menacée ce matin. - Oh! mon Dieu, votre fils s'est-il battu? - Pas si bête! - Le maréchal... ? - Il n'est pas question de lui: j'ai cru avoir perdu mon gros diamant, j'étais sure de l'avoir laissé dans ma chambre; en y rentrant, je ne le trouve plus. Je questionne sur les personnes qui y sont été; on m'dit comme ça qui gna que mon frotteur. Il était dans le salon qu'il finissait; je le fais entrer chez moi, et je lui dis: "Coquin, t'as mon gros diamant, j'veux l'ravoir parce que j'y tiens: c'est l'premier que Lefèvre m'a donné; rends-moi-le et je ne te ferai rien." Mon gaillard me répond qu'il ne l'a pas; il était nègre, je ne vois pas s'il rougit; mais je continue à y dire que je veux mon gros diamant, et lui ordonne de se fouiller: " Rien dans les mains, rien dans les poches!" qu'il me dit. - "Eh bien, guerdin, déshabille-toi"; il veut faire des difficultés; mais on ne me fait pas aller comme ça: " Déshabille-toi, gueux, nu que je te dis, ou je te ferai tuer par mes domestiques." enfin, il se met nu comme un ver, et j'ai trouvé mon gros diamant. Le v'là. Une mijaurée l'aurait perdu, tout de même!"
(Mlle Ducrest, Mémoires sur l'impératrice Joséphine)
- On ferait un recueil des mots bizarre que la maréchale Lefèvre a dits, et que probablement on lui a, pour la plupart, attribués; mais il faudrait un in-folio pour enregistrer tous les traits où se peint la bonté de son cœur. En voici un qui participe des deux genres, et qui m'a paru tout ensemble grotesque et touchant.
Le cocher de madame la maréchale était grièvement malade, et ne voulait pas se soumettre à ce traitement rafraichissant qu'Arlequin* préférait à la saignée, par une raison qu'il m'est impossible de dire. Les médecins assuraient que cela seulement pouvait encore sauver le malade, dont la vie était en danger. Madame Lefèvre, en ayant été informée, monte dans la chambre de son cocher, se fait donner l'instrument nécessaire, et après l'avoir sommé très-énergiquement de se soumettre aux ordonnances: " As-tu de montrer ton...," ajouta-t-elle. Le pauvre malade voulait absolument s'opposer, par respect, aux soins que sa maîtresse voulait lui rendre; mais elle insista si bien qu'il promit tout ce qu'on voulut, et il reçut des mains d'une maréchale un service que peu de femmes de son rang auraient consenti à rendre à un pauvre cocher. Le malade de qui j'ai su ces détails, était père d'une nombreuse famille. Il guérit, et sa guérison fait la récompense de la digne femme qui avait tant de bonté et d'humanité.
Un jour, à Malmaison, je crois que c'est peu de temps après la fondation de l'Empire, l'impératrice Joséphine avait donné des ordres sévères pour ne recevoir personne: Madame la maréchale Lefèvre se présente. L'huissier, enchaîné par sa consigne, lui refuse l'entrée; elle insiste, et lui s'obstine de son côté. Pendant cette discussion, l'impératrice, passant d'un salon à un autre, fut trahie par une glace sans tain qui séparait ce salon de celui où était la maréchale. L'impératrice, l'ayant aussi aperçue, s'empressa de venir au devant d'elle et de l'engager à entrer. Avant de passer dans l'autre salon, madame Lefèvre, se retournant vers l'huissier, lui dit, d'un ton moqueur: "Eh bien, mon garçon, ça te la coupe!..."
Le pauvre huissier devint rouge jusqu'aux oreilles, et se retira tout confus.
(Constant, Mémoires.)
Dictionnaire d'anecdotes par Edmond Guérard, Librairie de Firmin-Didot et Cie, Paris, 1876.
* Nota de Célestin Mira:
* La maréchale Lefèvre:
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Catherine Hubscher, maréchale Lefèbvre, duchesse de Dantzig, dite « Madame Sans-Gêne » (1753-1835), anonyme, vers 1810. |
* Arlequin: le remède préféré d'Arlequin est le lavement.
Référence à la Comedia del Arte, en particulier dans deux pièces, Arlequin , Empereur de la lune et Arlequin misanthrope.
Colombine: Mais ne fais-tu pas l'apothicaire dans l'Empereur de la lune?
Arlequin: Il est vrai qu'il faut un esprit bien profond, pour mettre dextrement un lavement en place.
(Arlequin misanthrope.)
Arlequin: Une femme donnerait plutôt quatre pistoles d'un pot de pommade, que deux fois un lavement.
(Arlequin, Empereur de le lune.)

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