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samedi 23 août 2025

 Curiosités théâtrales.


- Le Mithridate de la Calprenède* fut joué pour la première fois, le jour des Rois (1635). Au moment où Mithridate prend la coupe empoisonnée en disant:

Mais c'est trop différer...

Un plaisant acheva le vers:

Le roi boit! le roi boit!

On raconte la même chose de la Marianne de Voltaire; de sorte que le lecteur, aux lieu de croire aux deux anecdotes, peut douter de toutes les deux. Cette dernière pièce fut suivie, le premier jour, du Deuil, circonstance qui fournit à un autre rieur l'occasion de s'écrier:" C'est le deuil de la pièce nouvelle."

- A la première représentation de Germanicus de Pradon*, les spectateurs étonnés de n'avoir vu apparaître que des hommes dans les deux premiers actes, s'entredisaient: "Voilà une vraie tragédie  de collège; il n'y a point de femmes." Au commencement du troisième, on vit sortir tout à fait du fond du théâtre deux princesses et deux confidentes, et l'on entendit en même temps dans la salle, une voix perçante et gasconne:" Quatorze de dames*; sont-ils bons?" ce qui excita un battement de mains général.

- Un mauvais acteur, nommé Tonnelier, débuta en 1775, et le parterre lui chanta en chœur ce refrain connu du Tonnelier de la Comédie-Italienne*: "Travaillez, travaillez, bon tonnelier".

- Un nouvel Arlequin débutant, à Bruxelles, dans les Deux Arlequins* de Le Noble, fut mal accueilli  du parterre. Après la représentation, il annonça qu'il jouerait encore le lendemain dans la même pièce, et que, s'il n'avait pas le bonheur de plaire, il brûlerait ses habits et se retirerait. Le lendemain, dès qu'il parut, on ne manqua pas de lui jeter, du parterre, plusieurs boîtes d'allumettes.

- Il est arrivé souvent au parterre de saisir au vol certains passages de la pièce jouée, pour les applique comiquement à l'acteur en scène ou à la pièce elle-même. Legrand s'était chargé, dans ses Amazones modernes (1727), du rôle le maître Robert. Vers la fin du second acte, il se disait à lui-même: "Eh bien, monsieur maître Robert, vous voyez que vous n'êtes qu'un sot!" Il fut pris au mot par le public, qui avait déjà manifesté son mécontentement, et la salle retentit d'applaudissements ironiques, mêlés d'un rire injurieux.

- "Je commence à être las de Sancho," dit le duc, au troisième acte du Sancho Pança de Dufresny, - "Et moi aussi," cria-t-on du parterre. Ce mot arrêta la pièce.

- Dans la Revue des Théâtres de Chevrier (1753), l'auteur introduit une danseuse. Elle arriva juste comme la pièce chancelait,

Quel motif en ces lieux vous fait porter vos pas?

lui demande la Critique. Et elle répond:

Je viens tirer un auteur d'embarras...

"Ma foi, il était temps!" répartit quelqu'un. Et de rire.

- Mais parfois, ce qui perdait la plupart était précisément ce qui sauvait les autres. On le vit par l'exemple de Martin* le célèbre chanteur. Le public lui en voulait pour avoir fait manquer par un caprice, au moment même où on allait ouvrir les portes, la première représentation de l'opéra de Gulistan*, depuis longtemps annoncé. Il se promit une vengeance. En effet, le jour enfin venu, lorsqu'on aperçut, au lever du rideau, Martin-Gullistan couché et dormant, les huées éclatèrent avec furie: "Des excuses!" criait-on. Trouvant invraisemblable de sommeiller plus longtemps au milieu d'un tel tapage, Martin se frotte les yeux, étend les bras et commence son monologue:" Ah! qu'un moment de sommeil m'a fait du bien!, J'ai reposé tranquille sur cette pierre, mieux que dans le lit d'un courtisan, " etc. ces mots offraient un si étrange contraste avec le vacarme infernal qui venait d'avoir lieu, que la salle entière fut prise d'un rire étourdissant, précurseur de pardon. Aussitôt, Martin aborde son grand air, et les bravos succèdent aux sifflets.

- Dans la Créole de La Mornière (1754), un valet, après avoir fait à son maître le détail d'une fête, lui demande ce qu'il en pense: " Que tout cela ne vaut pas le diable!" répond celui-ci. Le parterre répéta ces mots en chœur, et la pièce ne fut pas achevée.

                                                                                      V. Fournel, Curiosités théâtrales.

Dictionnaire d'anecdotes, Edmond Guérard, Librairie de Firmin-Didot et Cie, 1876.


* Nota de Célestin Mira:

* La Calprenède:


Gautier de Costes, sieur de la Calprenède, de Toulgou et de Vatimeny,
né au château de Toulgou à Salignac en 1609 et mort au Grand Andely
en 1663 est un romancier et dramaturge français.


* Jacques Pradon, dit parfois Nicolas Pradon est un dramaturge français né à Rouen en 1632 et mort à Paris en 1698.
Racine, sur ses vieux jours fit sur le Germanicus de Pradon cet épigramme :

Que le plains le destin du grand Germanicus!
Quel fut le prix de ses rares vertus!
Persécuté par le cruel Tibère,
Empoisonné par le traitre Pison, 
Il ne lui restait plus comme dernière misère,
Que d'être chanté par Pradon.


* Quatorze de dames. Le carré d'as, de rois, de dames, de valet ou de dix, au jeu de piquet, se disait "quatorze" car chacun marquait quatorze points.


Le jeu de piquet, d'Ernest Meissonier.




* La chanson du tonnelier:




La chanson du tonnelier par les Chanteux du cuveau d'Accolay.


* Les Deux Arlequins:


Comédie de 1718.


* Martin:


Jean-Blaise Martin (1768-1837)

"Doté d’une voix légère, joliment timbrée, allant en voix de tête
jusqu’au si aigu et d’une flexibilité singulière qui lui permet d’assumer
aussi bien des rôles dans le registre plus grave, sa tessiture couvre
près de trois octaves."
(Les Amis et passionnés du Cimetière du Père Lachaise)



* Gulistan ou le Hulla de Samarcande:




BNF Gallica.


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