Une ère nouvelle dans la toilette féminine.
Les modes de cet hiver conséquences de l'exposition.
En groupant tout ce qui a rapport à la toilette de la femme, en réunissant les modèles les plus variés et les plus séduisants, les uns empruntés aux élégantes du passé, les autres créés par la fantaisie le plus moderne, l'Exposition ne pouvait manquer d'avoir sur la direction de la mode une influence profonde. C'est cette influence que nous allons montrer se dessinant dans tous les éléments de la parure féminine, qui se trouve entièrement renouvelée, en sorte qu'il est exact de dire qu'une nouvelle ère commence pour la mode, datant de l'Exposition de 1900.
A l'entrée de l'hiver, il arrive ordinairement que les modes sont encore indécises; les créations nouvelles ne sont lancées qu'à titre d'essai, et parfois la forme qu'on voit régner au milieu de la saison est celle sur le succès de laquelle on comptait le moins. Il n'en sera pas de même cette année. L'hiver qui vient a ceci de particulier qu'il vient après l'Exposition. Ce petit fait tout simple est gros de conséquences.
En vue de l'exposition, tailleurs, fourreurs, couturières, modistes ont fait un effort considérable. Il a fallu, en un court espace de temps, pour une date déterminée, trouver des idées, créer des formes nouvelles. Les costumes doivent rester exposés pendant six mois et ne pas sembler plus démodé que le premier. Il fallait donc s'inspirer d'idées générales plutôt que de fantaisies capricieuses, recourir aux règles qui ont un caractère stable et rechercher le style. C'est ce qu'on a fait, et il a suffit de parcourir l'Exposition pour s'y rendre compte que les tendances de la mode pour cet hiver sont précises, arrêtées, déterminées.
Ces tendances sont vraiment nouvelles et c'est de l'exposition encore que décolle leur nouveauté. En effet, on y a réuni toutes les tendances de l'histoire du costume. Nous y avons eu sous les yeux notamment au Palais du Costume tous les types et toutes les élégances de jadis. Comment ne pas dégager un idéal Comment ne pas apercevoir entre certains moments du goût d'autrefois et le goût d'aujourd'hui de secrètes analogies? Comment résister à la tentation de reprendre au passé pour le renouveler et le rajeunir, ce qu'il avait de plus gracieux? cela était bien impossible.
De fait l'Exposition de 1900 aura marqué dans l'histoire du costume moderne. La mode pour cet hiver s'est complètement renouvelée. Voici venir une nouvelle silhouette de la femme.
Uns silhouette nouvelle de la femme.
Quelle était hier encore la silhouette de la femme élégante? Son tour de taille était aussi réduit que possible et formait avec les épaules le dessin d'un pot de fleurs, tandis que les hanches saillaient en une courbe exagérée; la poitrine était remontée et proéminente, la ceinture rentrant à l'estomac.
Aujourd'hui, toute la grâce de la femme réside dans l'allongé des lignes. Une ligne partant des épaules rejoint par une courbe légèrement rentrante la ligne des hanches. De profil, une seule ligne toute droite et verticale suit l'épine dorsale; de face, la ligne du cou à la poitrine est aussi peu saillante que possible, sans exagération factice, et une ligne toute droite tombe de la poitrine jusqu'à terre.
Cette différence de silhouette est due surtout, on le devine, à la différence des corsets. Ce sont des médecins qui, émus par les désastres causées par le corset ordinaire, et notamment des maux d'estomac dont il est la cause, ont donné l'alarme. De là un mouvement dont on a pu constater à l'Exposition les résultats déconcertants pour les yeux non initiés, et si intéressants pour quiconque est soucieux de l'hygiène en même temps que l'esthétique. La poitrine à sa place et à l'aise dans une sorte de brassière et non baleinée; l'estomac, les poumons laissés absolument libres, sans compression, les hanches, les reins solidement soutenus; tel est le principe. Grâce à ce corset, la taille n'est plus ronde, elle tombe devant très bas. Cette nouveauté commande toutes les nouveautés de la mode. Elle impose la prédominance de la forme princesse, qu'il s'agisse du costume tailleur, de la robe de ville ou de la toilette de bal. Passons donc en revue les diverses toilettes dont a besoin pour toutes les occasions de la journée, une femme qui sait s'habiller.
Les quatre toilettes du jour.
Pour les sorties du matin, le costume tailleur très précis de coupe, très sec de façon. Il a l'aspect d'un long fourreau de drap qui prend la forme de la femme. Voici, par exemple, un costume de drap à plis. Les multiples plis verticaux et piqués qui parte des épaules, se rétrécissent à la taille, s'élargissent aux hanches, s'étalent vers le genou pour donner l'ampleur nécessaire à la marche. Une bande drap piqué souligne la taille très bas, en dessous de l'estomac. Le haut du corsage conserve comme dans le costume masculin les revers dégageant le cou, et l'on devine la chemisette de satin souple, ton sur ton. Le même tissu, de même ton, reparaît au poignet et à l'avant-bras, en un bout de manche légèrement bouffante et tombante qui s'échappe de la manche du drap.
La robe d'intérieur est le fourreau Empire, sans ampleur jusqu'au genou, où il s'évase pour traîner à terre. Les robes de Joséphine à l'Exposition nous ont montré ce spécimen de jupe sans ceinture partant de dessous la poitrine. Mais c'est en cela seulement que consiste la ressemblance. Le haut du buste est orné d'une sorte de boléro très court, ne descendant que jusqu'au milieu de la poitrine et très chargé d'ornements.
Les couleurs claires, "œuf de cane", "rose de Chine", les tissus souples, sont très appréciés pour la robe d'intérieur. La robe de ville sera le plus généralement de drap uni, très longue. Les draps zibelins seront de beaucoup les plus luxueux; ils coûteront plus chers que la soie; on les réservera pour les robres très habillées; les autres draps nouveaux cet hiver seront du genre anglais, sec, rugueux et de teintes neutres. La robe de ville peut être encore, tendance toute nouvelle, en faille sèche, mate et sans reflets. Le col, de plus en plus montant, à oreillettes, ou tout au moins s'élevant sous les oreilles. La manche très longue et plate avançant jusque sur le milieu de la main, moulant le bras dans toute sa longueur, légèrement épaulée du haut, est démodée. La manche à la mode est du genre pagode mitigé, s'arrêtant au dessus du coude en forme d'entonnoir et s'ouvrant sur une seconde manche qui se termine par un étroit poignet et peut affecter les formes les plus variées, de sac, de jabot, de bracelet, à plis, à fronces, à volants. Un grand couturier, pour relever notre industrie du ruban, lance des robes de dîner et de soirées, striées de rubans. On constate aussi le retour aux passementeries, glands dorés, boutons de velours brodés de filigrane d'or et d'argent, aiguillettes minuscules se jouant dans la dentelle. Cette industrie, toute de goût et de fantaisie, est bien française.
Les teintes usitées pour la toilette de visite sont les tons neutres, tels que le marron et beaucoup le noir. Une innovation qui n'a guère chance de se généraliser consiste à porter des gants en chevreau teint de couleur, chevreau, rose, vert, cerise. L'usage nouveau et très rationnel veut qu'on entre au salon "en taille", laissant au vestibule le grand manteau de voiture, en drap à revers de martre, zibeline, avec larges manches bordées de même.
C'est dans la toilette du soir, robe de dîner ou robe de bal, qu'apparaît avec tout son caractère moderne la silhouette souple et allongée de la femme. Ici d'ailleurs plus que partout l'imagination des couturiers peut se donner libre cours. Ici plus que partout règne la variété et la fantaisie. Autant les robes de marche sont sèches et précises, autant celles du soir, comme nous en avons la preuve à l'Exposition des couturiers, sont vaporeuses et légères. Les tissus transparents ou ajourés font fureur.
D'autre part, et en opposition avec toute cette mode, les belles soieries de Lyon ont été retenues par nos grands couturiers. Il faut de longues jupes plates et non chargées pour permettre aux grandes fleurs à longues tiges, aux branches de lilas, aux essaims de papillon de se développer complètement. Les robes toutes de dentelle se porteront constellées de cabochons et lamées d'or et d'acier.
Toutes les formes de manteaux d'hiver se portent à la fois: veste, jaquette et boléro; mais surtout le paletot droit, long, tantôt à empiècement, tantôt à fichu et triple collet, et à ceinture: en drap ou en fourrure, il est le plus nouveau des modèles. Sur la robe de bal, on pose le manteau de dentelle blanche ou de grosses guipures sur transparent, doublé de fourrure épaisse.
Les chapeaux se relèvent découvrant le front bien garni.
La coiffure est très sensiblement modifiée. Certes les cheveux sont encore ondulés. Mais plus de racines remontées aux tempes, plus de cheveux tirés sur la nuque. Au contraire, les tempes sont garnies de petites coques ou bouclettes, les cheveux de la nuque sont disposés en petits chignons accompagné de boucles légères. L'idée, lancée timidement l'année dernière, de la frange de cheveux raides sur le front, a échoué, et ne sera pas reprise. Mais ces légères échappées désormais autorisées, bouclettes, petit rouleau frisé, contribueront à adoucir les traits et resteront gracieux tant qu'elles n'envahiront pas trop le front;
Cette modification de la coiffure entraîne par voie de conséquence, celle de la forme des chapeaux; Les grands chapeaux à larges bords, dégageant le front, découvrant une partie de l'ondulation des cheveux, sont tout indiqués. La plupart des autres formes sont également relevées, les unes de côté, les autres de trois quarts ou tout autour. Cela donne le champ libre à toutes les fantaisies de chapeaux: bicorne, tricorne ou quadruple-corne, mousquetaire ou marquis. Le principe est de découvrir le plus possible les cheveux par devant.
Une révolution dans l'industrie de la fourrure.
L'Exposition des fourrures a eu aussi une influence considérable et qui se traduit de plusieurs manières. D'abord pour les parures de cou, les peaux de bêtes minuscules, martres et zibelines en collier, sont remplacées par d'énormes peaux de renard de toutes les couleurs, d'autant plus précieuses que la nuance est plus rare, le poil plus régulier, plus serré, plus brillant, plus léger: renard rouge, le plus commun, renard blanc immaculé, renard noir déjà plus apprécié, renard bleu-gris, enfin et surtout le plus précieux de tous, le renard argenté dont on a vu de si beaux spécimens à l'Exposition des eaux et forêts et à l'Exposition russe. La parure de renard se portera aussi tout l'hiver sur la toilette de visite, après s'être portée tout l'automne sur le costume de drap.
Une innovation considérable que permet la mode de la robe princesse, est celle de la confection du costume complet en fourrure. Les essais en ce genre avaient toujours échoué, ayant contre eux l'ampleur ou le dessin de la jupe: la forme fourreau ou princesse est la seule compatible avec la fourrure. Toutes les fourrures dont on fait les manteaux peuvent ici être utilisées: naturellement l'effet comme le prix en sera différent. La robe de loutre est très luxueuse, celle d'hermine veut la grande cérémonie, celle d'astrakan est épaisse à l'œil, celle de chinchilla déconcerte par son originalité; le breitschwanz, à cause de sa nuance et de ses moirures, à cause surtout de la finesse de la peau, presque aussi mince qu'un satin, est la fourrure qui a toutes les préférences pour ce genre d'emploi. Inutiles de dire que ces robes sont très coûteuses; mais si le succès se prononce en leur faveur, on peut compter sur l'industrie moderne pour en rendre l'usage plus accessible.
Enfin un autre résultat amené par l'Exposition sera le point de départ d'une ère toute nouvelle dans l'industrie de la fourrure. Jusqu'ici le principe que les peaux devaient subsister dans leur entier avait la valeur d'un dogme. Quand il fallait couper les peaux pour obtenir la forme, on ne s'y résignait qu'avec toute sorte de regrets et à la dernière extrémité. En conséquence le vêtement était toujours plus ou moins lourd et engonçant. Aujourd'hui, on n'hésite plus à couper la fourrure en pleine peau, à y faire des fentes énormes et à combler les vides par des éléments plus légers. On verra des collets de chinchilla où chaque peau est encadrée par des entre-deux de guipure sur transparent, l'ensemble formant, au lieu d'un tissu de fourrure, un quadrillé ou large damier. On verra une robe de breitschwanz incisée pour laisser la place à de larges fleurs de dentelle, soleil, chrysanthème ou dahlia; la jupe en sera parsemée comme une étoffe de ses dessins.
La fourrure peut donc être considérer désormais comme "une étoffe au mètre" dont on prendra ce qu'il faut pour le meilleur effet du vêtement; désormais la coupe ne sera plus subordonnée à la fourrure, mais la fourrure à la coupe.
Les manchons de cet hiver seront encore énormes: par leurs larges ouvertures le froid pourrait pénétrer, l'air s'engouffrer. Pour parer à cet inconvénient, on entourera les bords de garniture abondantes: plissés, coquillés, volants de dentelle ou de mousseline de soie qui retomberont sur les poignets; La forme n'en sera pas complètement ronde, mais rétrécie d'en haut.
Sur bien des points on voit que les modes de cet hiver sont différentes de celles de l'an dernier. Vraiment une étape a été franchie. Le corset droit allonge la taille; la robe est longue à manches pagodes, la coiffure bouffante s'encadre du large chapeau relevé, garnie de plume, de gaze, de tulle, tout élément vaporeux. La fourrure s'assouplit et varie ses formes. Toutes ces indications très précises concourent à un résultat d'ensemble. Parmi les toilettes d'autrefois exposées au Palais du costume, celles que nos couturiers ont le plus regardées, ce sont encore celles du temps de Marie-Antoinette. La mode, en s'en inspirant, n'aura garde d'ailleurs de les reproduire. Elle conserve son indépendance et l'affirme surtout par le choix des détails. De l'Exposition de 1900 date une mode, à la fois inspirée de la tradition et marquée à l'empreinte du jour: c'est un Louis XVI modernisé.
Les gravures que nous reproduisons sont extraites du journal La Mode Pratique, revue de la Famille dirigée par Mme C. de Broutelles (Hachette et Cie, édit.). Un numéro spécimen sera envoyé à toute personne qui en fera la demande par Lettre affranchie.
Lectures pour Tous, 1900-01.





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