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jeudi 5 juin 2025

Coutumes françaises et légendes de Noël.


Ces touchants usages, qui nous sont si chers à tous, et par lesquels nous avons à cœur de célébrer les fêtes de Noël, d'où viennent-ils? Quelle est l'origine de tant de beaux contes qu'on entend encore à la veillée dans les campagnes et dont l'ensemble forme un des plus captivant chapitre de la littérature populaire? Comment s'explique le caractère de ces légendes, tour à tour terribles, ou touchantes, dramatiques ou gracieuses? Nos lecteurs auront plaisir à trouver ici, merveilleusement traduit par l'art d'un Lhermitte* et d'un Boutet de Monvel*, les plus significatifs de ces récits légendaires inspirés par une même émotion, et de ces usages traditionnels qui, se rattachant intimement à de longs siècles de vie française, nous arrivent tous chargés de sensibilité et imprégnés de poésie.



Il n'est personne aujourd'hui qui ne goûte le charme délicieux de cette fête de Noël, la plus touchante entre les solennités du christianisme, puisqu'elle s'adresse plus qu'aucune autre à la famille et à l'enfance. Mais ce que nous avons peine à nous représenter, c'est la place qu'elle a tenu dans la vie d'autrefois. Chaque année, au retour du même anniversaire, une intense et ardente émotion étreignait les cœurs, et dans la nuit consacrée il n'était village éloigné, hameau perdu dans les montagnes, chaumière isolée dans les forets, qui n'envoyait à l'église la plus voisine son contingent de pèlerins. Elle était souvent fort éloignée, cette église voisine! Il fallait faire un difficile voyage, marqué trop souvent par des incidents tragiques. Après cette marche pénible dans les ténèbres et dans le froid, quel éblouissement devait produire la chapelle égayée de lumières et de chants! Et, en retour, quelle joie de se serrer autour du foyer dans l'intimité de la famille! Ne devine-t-on pas déjà pourquoi nous allons trouver tour à tour de l'effroi et de l'allégresse, de la souffrance et de la douceur dans les légendes qui ont pris autour de cette fête un si merveilleux essor?

Pèlerins sur la sombre route. Sinistre voyageuse.

Songez en effet à ce qu'étaient jadis nos campagnes, à l'isolement des villages, à l'insécurité des chemins.
Or, voici que les premiers tintements de la cloche se font entendre. C'est l'hiver et c'est la nuit: la campagne est couverte de neige; les grands arbres sans feuilles, sombres sur le firmament blême, se tordent et prennent des attitudes presque humaines. Au détour des chemins, que des lanternes vacillantes éclairent de leurs lueurs falotes, en faisant étinceler le givre aux arbres, on croit voir d'étranges silhouettes. Des voix d'un accent inconnu traversent l'air, pareilles tantôt à des plaintes, tantôt à des ricanements. Et l'on va dans l'attente d'on ne sait quoi de mystérieux, dans la crainte vague d'un danger tapi dans l'ombre et qui vous guette.


En route pour la messe de minuit.
Dessin de Boutet de Monvel.


A la lueur vacillante des lanternes, c'est un défilé pittoresque,
dans les campagnes, que celui des paysans emmitouflés se rendant
à la messe de minuit. Du moins n'ont-ils plus à craindre les
tragiques rencontres autrefois fréquentes, au temps où les
loups pullulaient dans certaines régions de la France.



Tout à coup, sur le talus de la route, entre un buisson et le tronc d'un hêtre abattu, deux yeux flamboient. C'est un fait bien connu qu'au temps passé les bandes affamées des loups n'ont cesser de jeter l'effroi jusqu'au milieu des villages. Innombrables sont les récits ayant trait à ces rencontres presque toujours mortelles. L'un des plus saisissant retrace la mort tragique d'un braconnier et de sa femme qui, au retour de la messe de minuit, regagnaient leur cabane isolée dans la forêt d'Argonne. Ils trouvèrent que la porte avait été ouverte par la poussée du vent. Des loups s'étaient réfugiés à l'intérieur. Ce fut alors une mêlée horrible dans laquelle, épuisés, perdant le sang par leurs cruelles blessures, les deux malheureux succombèrent et servirent de pâture aux loups.
Dans les pays de montagnes, combien de fois une tempête de neige effaça toute trace de chemin, combien de fois une crevasse subitement ouverte engloutit les malheureux qui s'étaient égarés!
C'est pourquoi l'on conte aux veillées d'hiver que la Mort se promène sur les routes pendant la nuit de Noël.
Jadis, une femme qui s'en allait à la messe de minuit rencontra un cheval monté par une femme dont on ne voyait pas la tête encapuchonnée. Elle s'approcha, en se mettant à geindre comme si elle était rendue de fatigue et en se plaignant de ne pouvoir plus marcher: la cavalière lui offrit de monter en croupe. Mais quand elle eut touché l'obligeante voyageuse:
"Eh quoi! s'écria-t-elle, vous êtes froide comme la Mort!
- Ce n'est pas étonnant, ma brave femme, c'est moi qui suis la Mort!"
Grande fut la frayeur de la fermière, comme on peut croire. Quand elle eut retrouvé un peu de hardiesse, elle demanda à sa lugubre compagne où elle se rendait.
" A la messe, répondit la Mort. Regardez-moi quand je serai entrée à l'église; vous seule me verrez; tous ceux que je toucherai avec cette petite baguette devront mourir dans l'année qui vient."
Arrivées à l'église, les deux femmes descendirent, et la fermière était seule à distinguer la Mort. Elle la vit se promener parmi les fidèles agenouillés, effleurer de sa baguette, tantôt l'un, tantôt l'autre, sans regarder ni au sexe, ni à l'âge. Tout à coup, ayant vu que son propre père avait été désigné par la sinistre baguette, elle ne put retenir un cri; mais déjà, la Mort impitoyable avait disparu...
Dans l'année, le village conduisit au cimetière tous ceux que la funèbre voyageuse avait marqué pendant la nuit de Noël.

La nuit des merveilles. Les bêtes parlent, les pierres se meuvent.

Ces nouvelles de mort sont souvent annoncées par les bêtes de l'étable; car, cette nuit-là, en souvenir du bœuf et de l'âne, les bêtes se mettent à parler comme les gens. Dans une ferme du Berry, un boiron (garçon de ferme), qui se trouvait couché près des bœufs, entendit le dialogue suivant:
"Que ferons-nous demain? demanda tout à coup le plus jeune du troupeau.
- Nous porterons notre maître en terre, répondit d'une voix lugubre un vieux bœuf à la robe noire, et tu ne ferais pas mal, François, continua l'honnête animal, en arrêtant ses grands yeux sur le boiron, d'aller l'en prévenir, afin qu'il s'occupe des affaires de son salut."
Le boiron se rendit en hâte auprès du fermier, pour lui faire part de la prédiction. Ce fermier était un mauvais chrétien, et il avait préféré à la messe de minuit une monstrueuse orgie. Il était donc joyeusement attablé, tandis que la bûche de Noël, la Cosse de Nau, comme disent les Berrichons, flamboyait dans l'âtre et que sa femme et ses enfants priaient à l'église. Le boiron fut brutalement reçu. Il rapporta pourtant les paroles du bœuf à robe noire qu'on appelait Morin.
" Le vieux Morin en a menti! je vais lui donner une correction", s'écria le fermier, le visage empourpré par le vin et la colère.
Sautant sur une fourche de fer, il s'élança vers les étables. Mais il avait à peine franchi la cour de la ferme qu'on le vit chanceler, étendre les bras et tomber à la renverse.
Encore n'est-ce rien que d'entendre parler les bêtes; pour peu qu'on soit familier avec les contes et les fables, à peine songe-t-on à s'en étonner. Mais que les choses elles-mêmes prennent une âme, et se mettent en mouvement, voilà ce qui mérite attention!
Lisez mainte légende bretonne, et vous y verrez que, là-bas, nombreuses autant qu'énormes sont les pierres qui se déplacent, pendant la messe de minuit, pour aller boire, comme des moutons altérés, aux rivières et aux ruisseaux. Un mégalithe, près  de Jugon, se rend à la rivière de l'Arguenon. Dans le bois de Couardes, un bloc de granit, haut de trois mètres, descend pour aller boire au ruisseau voisin et remonte se placer de lui-même. il y a au sommet du mont Beleux un menhir qui se laisse soulever par un merle et qui met à découvert un trésor; A Noyal-Pontivy, on voit un peulven, haut de cinq mètres, qui se met en marche, la veille de Noël, pour aller se désaltérer au Blavet. Enfin, il faut entendre, telle qu'elle nous est contée par Emile Souvestre*, la jolie légende des Pierres de Plouhinec qui vont boire à la rivière d'Intel.
La plus célèbre était jadis la grosse pierre de Saint-Mirel, dont Gargantua se servit pour aiguiser sa faux et qu'il piqua, après la fauchaison, comme on la retrouve encore aujourd'hui. Elle cachait un trésor qui tenta un paysan des alentours. Ce paysan était si avare qu'eût pas trouvé son pareil; le liard du pauvre, la pièce d'or du riche, il prenait tout; il se serait payé, s'il eût fallu, avec la chair des débiteurs. Quand il sut qu'à la Noël les roches allaient se désaltérer dans les ruisseaux en laissant à découvert des richesses enfouies par les anciens, il songea pendant toute l'année à s'en emparer. Pour pouvoir prendre le trésor, il fallait cueillir, durant les douze coups de minuit, le rameau d'or qui brillait à cette heure seulement dans les bois de coudriers et qui égalait en puissance la baguettes des plus grandes fées. Lors, ayant cueilli le rameau, il se précipita de toute sa force vers le plateau où le rocher de Gargantua profilait sa masse sombre, et, lorsque minuit eut sonné, il écarquilla ses yeux.
Lourdement le bloc de pierre se mettait en marche, s'élevait au-dessus de la terre, bondissait comme un homme ivre à travers la lande déserte, avec des secousses brusques qui faisait sonner au loin le terrain de la vallée. Juste à ce moment, la branche magique éclairait l'endroit que la pierre venait de quitter. Un vaste trou s'ouvrait, tout rempli de pièces d'or. Ce fut un éblouissement pour l'avare, qui sauta au milieu du trésor et se mit en devoir de remplir le sac qu'il avait apporté. Une fois le sac bien chargé, il entassa les pièces dans ses poches, dans ses vêtements, jusque dans sa chemise. Dans son ardeur, il oubliait la pierre qui allait venir reprendre sa place. Déjà les cloches ne sonnaient plus. Tout à coup le silence de la nuit fut troublé par les coups saccadés du roc qui gravissait la colline et qui semblait frapper la terre avec plus de force, comme s'il était devenu plus lourd après avoir bu à la rivière. L'avare ramassait toujours ses pièces d'or. Il n'entendit pas même le fracas que fit la pierre, quand elle s'élança d'un bond vers son trou, droite comme si elle ne l'avait pas quitté.
L'homme fut broyé, sous cette masse énorme, et de son sang il arrosa le trésor de Saint-Mirel.

Le diable en fuite. Derniers pièges et rage impuissante.

Pendant qu'ils traversaient les campagnes qui leur paraissaient animées d'une vie singulière, les pèlerins de Noël ne cessaient de concentrer tout l'effort de leur esprit sur une même idée: le triomphe du Seigneur sur Satan mis en fuite.
Quelle ne devait pas être, songeaient-ils, la rage du démon vaincu, et quels pièges ne devait-il pas s'efforcer de tendre aux hommes pendant les derniers instants qui précédaient sa déroute suprême!
C'est lui, en effet, qui devaient ouvrir au pied des croix et des oratoires champêtres des antres béants au fond desquels on voit ruisseler des flots d'or et de pierreries, c'est à dire autant de gouffres conduisant aux Enfers. Aux vastes carrefours des campagnes et dans les sentiers parcourus par les caravanes de la messe de minuit, il sème de larges et splendides pistoles, étincelant dans l'ombre comme des charbons ardents. L'envie vous prend-elle de garnir votre escarcelle de cette brillante monnaie? chaque pistole ramassée échappe aussitôt des mains, en laissant aux doigts une empreinte noire ineffaçable, avec une sensation de brûlure atroce pareille à celle du feu de l'Enfer.
Il est partout: on le rencontre courant la campagne sous les formes les plus imprévues.
Autrefois, au collège de Saint-Amand, un vieux domestique contait ainsi l'aventure fantastique qui lui était arrivé le 25 décembre 1783. Malgré des représentations de son père, il avait tendu des collets dans un ancien cimetière. Il y courut pendant la messe de minuit et trouva pris au piège un lièvre qui, au lieu de l'attendre, se coupa la patte avec les dents. Lui, de le poursuivre, l'autre de se sauver aussi vite que le lui permettait sa blessure. Enfin, après une longue course, ils arrivèrent tous les deux au bord du Cher, et au moment où le chasseur allait mettre la main sur sa proie, la maligne bête franchit la rivière d'un seul bond. Alors, se tournant vers le jeune homme épouvanté:
"Eh bien! l'ami s'écria le diable qui avait repris sa forme, est-ce bien sauté pour un boiteux?"
Mais un moment vient où le Malin est enfin réduit à l'impuissance: c'est lorsque tinte le premier coup de minuit. Il faut savoir en profiter. Ecoutez plutôt ce que fit Jean Scouarn de Saint-Michel-en-Grève.
Un jour qu'il errait sur les grèves de Saint-Michel, il rencontra un pauvre chemineau qui, pour le remercier d'un morceau de pain qu'il lui avait donné, lui révéla le moyen de gagner la fortune et le bonheur. Il lui apprit en effet qu'au milieu de la grève se dressait un château habité par une princesse belle comme une fée et riche comme les douze pairs de France. Les esprits de l'Enfer la retenaient sous les eaux. A Noël, au premier coup de minuit, la mer s'ouvrait et laissait voir le château: si quelqu'un pouvait y rentrer et aller prendre dans la salle du fond la baguette magique, il pouvait devenir le mari de la châtelaine. Mais il fallait avoir mis la main sur la baguette avant le dernier coup de minuit. Sinon la mer revenait engloutir le château, et l'audacieux chercheur était métamorphosé en statue.
Scouarn résolut de tenter l'aventure. A minuit, en effet, la mer s'écarta comme un rideau qu'on tire et laissa voir un château resplendissant de lumières. Scouarn ne fit qu'un bond à l'entrée, franchit la porte. La première salle était remplie de meubles précieux, de coffre d'or et d'argent. Tout autour se dressaient les statues des chercheurs d'aventures qui n'avaient pas pu aller plus loin. Une seconde salle était défendue par des lions, des dragons et des monstres aux dents grinçantes. Jean Scouarn était perdu s'il hésitait.
Comme le sixième coup de minuit sonnait, il réussit à passer au milieu des bêtes enchantées qui s'écartèrent, et pénétra dans un appartement plus somptueux que tous les autres, où se tenaient les filles de la mer, belles comme des fées et habillées comme des princesses. Il allait se laisser entraîner dans leur monde, quand il aperçut tout au fond la baguette magique. Il se dégagea brusquement des jolies mains qui le retenaient et il toucha enfin le but désiré.
Le douzième coup de minuit sonna.
Mais déjà, Scouarn tenait la baguette magique, et il n'avait plus rien à craindre. A sa voix, la mer s'éloigna du château, et les esprits de l'Enfer définitivement vaincus s'enfuirent en poussant des cris à faire trembler les rochers. La princesse délivrée offrit sa main au vaillant sauveur.
Ce furent des noces splendides, et Jean Scouarn, dans sa reconnaissance pour les saints qui l'avaient protégé, employa la moitié des trésors à faire construire une chapelle à l'archange saint Michel.


Les représentations dans l'église. Qui frappe à la porte?



Les villageois groupés sur la place de l'église avant la messe de minuit.
Composition de Boutet de Monvel.



Enfin, on arrivait à l'église, chapelle ou monastère, humble sanctuaire de village ou riche cathédrale. Devant les hommes d'imagination naïve, c'est une nécessité d'évoquer les scènes sacrées sous une forme sensible. Aussi avait-on soin d'abord de figurer la crèche, l'étable avec l'âne et le bœuf, comme on le fait encore aujourd'hui. En Provence, ces crèches sont constituées par de petits théâtres d'automates; les anges y parlent en français et les bergers en provençal. Ailleurs, des enfants portent ces crèches sur leurs épaules et vont quêtant des sous de porte en porte.


Dans certains villages, des troupes d'enfants, porteur d'une petite crèche,
parcourent les rues la nuit de Noël, en chantant des cantiques.
Dessin de Boutet de Monvel.



Mais au Moyen Age, ces parties de figuration étaient beaucoup plus développées qu'elles ne peuvent l'être maintenant; On sait que pendant toute la durée du Moyen Age, l'église devenait à plusieurs dates de l'année un véritable théâtre où des scènes pieuses, sous le nom de "mystères", étaient jouées pour l'édification et la joie des fidèles. L'un des sujets le plus souvent représentés était celui de la Nativité dont il nous reste de nombreuses versions. Entre autres curieux épisodes que nous en pourrions détacher, choisissons celui des trois rois mages. 


Une coutume d'autrefois: les Rois Mages se rendant à l'église.
Dessin de Boutet de Monvel.


C'était un spectacle pittoresque que le cortège des Rois Mages,
escortés par quelques enfants du village, se rendant processionnellement
à l'église où le bedeau venait les recevoir à la porte! Dans certaines de nos provinces, des représentations de ce genre avaient encore lieu à Noël,
il n'y a pas plus de cinquante ans.



Cela se passait sous la chaire, près des fonts baptismaux qui représentaient sommairement le palais d'Hérode. Le roi était assis sur un trône élevé, entre ses deux ministres, et trois légistes se tenaient autour d'une table couverte de livres.


Le roi Hérode et ses ministres tels qu'ils étaient représentés dans
 l'un des anciens mystères joués pendant la nuit de Noël.

A l'intérieur des églises, des mystères étaient autrefois représentés
pendant la nuit de Noël. Dans la scène curieuse que l'artiste a reconstituée
ici, on voit sur un trône, entre ses deux ministres, le roi Hérode, vêtu à
l'orientale et coiffé d'un turban. Devant lui se tenaient trois légistes dont
le rôle consistait à feuilleter les livres des prophètes.
Dessin de Boutet de Monvel.


Soudain l'étoile de l'Orient glissant sur un cordon, descendait du sanctuaire jusqu'à la chaire. C'était l'étoile qui allait conduire vers un enfant les rois et les sages de la terre. Au même instant, trois coups résonnaient à la porte de l'église. Le bedeau allait ouvrir, et les mages entraient, habillés de grands pantalons à l'orientale, de châles enroulés en guise de ceinture et de turbans. Les mages faisaient connaître l'objet de leur voyage au roi, qui paraissait plongé dans l'étonnement: les légistes consultés discutaient, feuilletaient leurs livres, citaient les prophètes. Et tout finissait par un cantique que l'assemblée reprenait en chœur.


La messe de minuit dans une église de village.
Dessin de Lhermitte.




Autour de l'âtre. Pluie d'étincelles. Les contes de la veillée.

Au retour, après qu'on avait passé par tant d'émotions si diverses, comment n'eût-on pas été merveilleusement disposé à mettre en commun l'allégresse dont les cœurs débordaient? On retrouvait brûlant sous la cendre la bûche allumée vers le soir. 


La bûche de Noël.
Dessin de Lhermitte.


Au Moyen Age, c'était à la Noël que les vassaux apportaient à leur
seigneur le bois qui étaient une de leurs redevances. Telle est l'origine
de la tradition d'après laquelle, dans les châteaux comme dans les
plus humbles chaumières, on mettait, la veille de Noël, dans l'âtre,
une bûche énorme qui était parfois un tronc d'arbre presque entier.



Cette coutume de la "Bûche de Noël" remonte en effet au Moyen Age. Elle constituait, à cette époque une véritable redevance, un impôt en nature payé au seigneur par le vassal; à la Noël, on apportait du bois, comme à Pâques, on offrait des paniers d'œufs ou des agneaux, à l'Assomption du blé, à la Toussaint du vin ou de l'huile. Cet impôt n'était pas une charge insignifiante, comme on peut le comprendre en songeant aux immenses cheminées d'autrefois qui réunissaient sous leur manteau une famille entière!
Ce n'était pas seulement dans les châteaux, mais aussi dans les moindres chaumières qu'on veillait autour de larges foyers où flambait la souche de chêne, avec ses lierres et ses mousses. La porte restait grande ouverte aux pauvres gens, aux pèlerins, aux voyageurs qui venaient réclamer l'hospitalité; ils avaient le droit de se chauffer à la bûche de Noël. On leur versait en abondance le vin, la bière ou le cidre, suivant les coutumes, et leur couvert se trouvait mis à la table commune.
On attendait ainsi la messe de minuit. L'aïeul contait des histoires qu'il interrompait seulement pour frapper la bûche avec sa pelle à feu et en faire jaillir le plus possible d'étincelles, en disant: "Bonne année, bonnes récoltes, autant de gerbes et de gerbillons!".
En Auxois, on avait un amusement bizarre: un charbon de la bûche de Noël était suspendu par un fil au plafond de façon qu'il descendit à hauteur de la bouche. En face du charbon bien allumé se plaçaient face à face, à un mètre de distance, deux gaillards qui, soufflant sur le tison suspendu, provoquaient une gerbe d'étincelles et se faisait brûler la figure, à la grande joie des veilleurs.

La chapelle blanche. Souvenir de la chère patrie.

Et quel plantureux appétit quand on attaquait le repas préparé pour le réveillon!
Jadis ce repas se composait essentiellement d'une bonne soupe aux choux dont la marmite avait été enterrée sous les cendres avant le départ; puis venait l'oie grasse ou la dinde bourrée d'une farce succulente. 


Un réveillon rustique.
Dessin de Lhermitte.


Pas de province qui n'ait encore son plat traditionnel pour ce repas
qui, au retour de la messe de minuit, rassemble toute la famille autour
de la table. Jadis, pendant le réveillon, l'usage était de laisser la porte
grande ouverte aux mendiants, pour lesquels il y avait toujours,
à cette occasion, une place au foy
er.



Dans chaque province, on confectionnait des gâteaux particuliers, les coquilles* dans le nord, les cognés* en Lorraine, les bourdes* dans les Ardennes, les kénioles en Flandre, les naulets* dans le Centre, et les craquelins* en Normandie.
Après la nuit agitée du réveillon, on se lève un peu tard; mais les enfants, qui ont assisté à la messe de minuit dans la chapelle blanche, c'est à dire qui ont dormi sous leurs blancs rideaux, pendant que les autres allaient à l'église  et festoyaient, n'ont dormi que d'un œil et se réveillent avec le chant du coq. Ce n'est pas le carillon des cloches qui a troublé leur sommeil, c'est que le bonhomme Noël a dû descendre par la cheminée et mettre des joujoux ou des livres dans les souliers qu'ils placés devant l'âtre la veille au soir. 


Une coutume charmante: le soulier de Noël.
Dessin de Boutet de Monvel.


Célébrée par tous avec allégresse, Noël est plus particulièrement
la fête des enfants. Quels rêves heureux hantent cette nuit-là le sommeil
de ceux qui, suivant la gracieuse coutume, ont mis, la veille au soir,
avant de s'endormir, leur soulier devant la cheminée.


Il est bien rare qu'il oublie de les visiter, et souvent c'est pour les plus pauvres qu'il réserve ses meilleurs cadeaux.
Jadis vivait à Saint-Malo une bonne femme dont presque tous les garçons s'étaient noyés en mer. Un seul avait survécu: après avoir fait naufrage aussi sur le banc de Terre-Neuve, il avait pu s'accrocher à une épave et, pendant trois jours, il était resté sans nourriture. Il en devint quasiment fou. Sa mère, qui demeurait dans une vieille maison de bois, le garda auprès d'elle et travailla pour le nourrir; son unique ressource était de tricoter des bas de laine pour les matelots et d'aller chercher des coquillages sur les rochers de la grève.
Un jour de décembre, elle fut saisie sur la grève par une brume qui la glaça jusqu'aux os; à son retour, elle fut forcée de se mettre au lit. Et elle gémissait, pensant plus encore à son malheureux enfant qu'à son mal.
Son fils l'entend qui pleurait. Il se souvient qu'on était à la veille de Noël. Donc, tout doucement, il se déchaussa et vint poser son sabot usé auprès des cendres froides, puis il ouvrit la fenêtre et se mit à prier en regardant le ciel. Soudain, au moment où les cloches annonçaient la messe de minuit, il aperçut un nuage lumineux; ce nuage parti de la mer montait dans le ciel et s'avançait avec rapidité vers Saint-Malo. Il creva juste au-dessus de la maison. 
Ce n'était pas un nuage ordinaire; ou, pour mieux dire, c'était un essaim de ces escargots de mer que l'on appelle des bigorneaux et que l'on mange sur la côte bretonne. Les premiers remplirent les sabots, les suivant couvrirent le plancher et, quand la place manqua dans la pauvre chambre, ils rampèrent sur les panneaux de bois de la façade ou s'accrochèrent aux ardoises du toit.
Cependant la veuve émerveillée se sentait mieux; elle remplit en hâte plusieurs paniers qu'elle alla vendre le lendemain; jamais elle n'avait fait de si belles recettes, car personne n'avait jamais vu d'escargots de mer si beaux et si appétissants. On sut bientôt dans le pays le prodige qui s'était opéré et l'on appela la vieille maison le Château des Bigorneaux. Même la tradition populaire prétend que, tous les ans, à la Noël, ceux qui n'ont pas un seul péché sur la conscience peuvent encore voir la vieille maison couverte d'une multitude infinie de bigorneaux.
Heureuse journée que cette journée de Noël qui commence par la visite au soulier si bien garni et se continue par les gambades autour de l'arbre, où pendent, en guise de fruits, toutes sortes d'agréables "surprises".


La visite de l'enfant Jésus.
Dessin de Boutet de Monvel.


Parmi les cadeaux entassés dans la hotte du mystérieux visiteur,
il est de bien humbles jouets. Mais les mieux accueillis, lorsque
sonne l'heure joyeuse du réveil, ne sont pas toujours les plus luxueux.



Cet arbre symbolique donne lieu en France à une cérémonie particulièrement touchante et patriotique. La veille de Noël,  un sapin est enlevé aux environs de Mulhouse; il vient à Paris par train express; ses racines sont soigneusement enveloppées d'une grosse motte de terre alsacienne. On le dresse dans une grande salle, couvert de bougies, de fleurs, de gâteaux et de jouets, et, le 25 décembre, dans la matinée, les petits enfants assistés par la Société d'Alsace-Lorraine viennent se grouper tout autour pour recevoir leurs modestes étrennes. Il n'y a pas de plus grande joie pour les pauvres exilés, qui retrouvent ainsi, dans la douce fête de Noël le souvenir vivant de la patrie perdue.
Comme on le voit, tout s'unit pour faire de Noël, en même temps que la plus touchante des fêtes du christianisme, la plus cordiale aussi des fêtes populaires. Ces anciennes coutumes disparaissent un peu chaque jour de nos provinces; mais ce qui subsistera toujours, c'est l'émotion qu'éprouve le lecteur d'aujourd'hui lorsqu'il évoque les usages que nos pères ont, si longtemps, fidèlement pratiqués, et c'est la poésie des naïves légendes qu'ils aimaient à conter à la veillée, tandis que le vent gémissait dans la cheminée, et qu'il faisait si bon se sentir unis dans la tiède atmosphère autour de l'âtre familial et joyeux!




Lecture pour tous, décembre 1903.

Nota de Célestin Mira:

* Léon, Augustin, Lhermitte est un peintre de la fin XIXe siècle, membre de l'Académie des Beaux-Arts, surnommé le peintre des moissonneurs.








* Louis-Maurice Boutet de Monvel est l'un des illustrateurs les plus importants de la fin du XIXe siècle. Encouragé par ses parents, il quitta sa ville natale d'Orléans pour étudier à l'Académie des Beaux-Arts de Paris.





* Emile Souvestre, avocat et écrivain.






* Coquilles de Noël ou Cougnou du Nord:





* Cognés de Lorraine:


Gâteaux de Noël des Vosges.

* Bourdes des Ardennes:

Au matin de Noël, chaque enfant recevait de son parrain ou de sa marraine une bourde qui est une énorme brioche marquée de ronds réalisés avec un dès à coudre.


* Naulets du Centre:



* Craquelins de Normandie:





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