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lundi 26 février 2024

Vieux conte.






Dans l'éparpillement soyeux des cheveux d'or 
Et parmi les blancheurs des coussins toute blanche,
Ayant clos pour cent ans ses grands yeux de pervenche,
Souriant vaguement à son rêve, elle dort.
 
Sa tête de côté légèrement se penche.
Un vitrail  entr'ouvert laisse voir le décor
Du parc, où les oiseaux ne chantent pas encor;
Car la fée endormit chacun d'eux sur sa branche.

Au pied du lit sommeille un beau page blondin.
Elle dort, immobile en son vertugadin,
Sa jupe laissant voir un bout de sa babouche...

Toute rose, elle dort d'un sommeil ingénu,-
Car le Prince Charmant n'est pas encore venu
Qui doit la réveiller d'un baiser sur la bouche

... Mais le voici venir, svelte, en son grand manteau,
Avec sa toque en plume et sa moustache blonde.
Il s'avance, étonné de voir que tout le monde
Dort d'un profond sommeil dans l'étrange château.

Il appelle,- sans qu'un écuyer lui réponde. 
A ses devants ne vient pas un seul damoiseau.
Mais soudain, il la voit qui dort, - comme un oiseau, 
Laissant tomber sa tête... Une douceur l'inonde.

Et tout troublé devant ce sommeil ravissant,
Charmé, sans bien comprendre encore ce qu'il sent,
Il s'arrête un moment et sourit dans sa fraise.

Puis il avance à pas furtifs, et vient poser
Doucement un très long et très chaste baiser
Sur cette bouche aussi mignarde qu'une fraise.

Alors ce fut la fin du long enchantement;
Sur la cour il cessa tout d'un coup de s'étendre;
Un grand bruit de réveil au loin se fit entendre,
Et la princesse ouvrit ses beaux yeux, lentement.




Sans s'étonner, avec un sourire très tendre,
- Peut-être ayant déjà vu le Prince en dormant, -
Elle le reconnut- et dit tout simplement:
"C'est vous, monsieur? Pourquoi vous être fait attendre?"

C'est ainsi quand l'amour rêvé se laisse voir,
Celui qu'on attendait, vaguement, sans savoir...
On s'éveille. Les mains tout simplement s'unissent...

Comme après un sommeil de cent ans, on renait.
Et l'on se dit: c'est vous!... Et l'on se reconnait...
Le vrai bonheur commence, - et les rêves finissent.


                                                                                                        Edmond Rostand.


A l'époque où il donnait cette exquise traduction de la naïve et symbolique légende, M. Rostand n'était pas encore l'auteur de Cyrano. Quel charme de relire le vieux conte interprété par le plus célèbre des poètes modernes, lorsqu'il avait vingt ans! 


Lectures pour tous, 1903.




 

 
 

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