M. de Féraudy* a quarante-quatre ans. Il en a pris son parti et a cessé de jouer les rôles de jeunes comiques. Mais il les fait jouer à ses élèves, puisqu'il est professeur, comme vous le savez, au Conservatoire national de musique et de déclamation. C'est pour la déclamation que M. de Féraudy est au conservatoire: il faut le dire, car cet acteur n'est pas ignorant de musique et ne manque pas, toutes les fois qu'il le peut, de montrer qu'il chante juste. Ici se place une remarque fort banale: c'est que le talent dont les hommes tirent le plus de vanité n'est généralement pas celui qui a fait leur réputation: c'est pourquoi M. de Féraudy chante souvent sur scène; M. Leloir* aussi. Mme du Minil* joue du piano, Mlle Dudlay* ne sait rien, que la tragédie.
Il faut avouer que chantonner au cours d'un rôle, cela donne à l'acteur un petit air bonhomme tout à fait naturel. C'est une ficelle, soit, mais une ficelle qui n'est pas à la portée de tout le monde de tirer. Quand M. de Féraudy est en scène, il a l'air d'être chez lui. Quand il chante, oh! alors quand il chante, on croirait qu'il est dans sa chambre à coucher, en train d'attacher ses bretelles.
Le chant n'est cependant pas le seul talent supplémentaire, l'accessoire, de M. de Féraudy. Il a reçu des Muses le don de faire des vers gais et sans prétention, et d'écrire des pièces le plus souvent en un acte, mais bourrées d'esprit (du moins M. de Féraudy le croit). C'est écrit avec un esprit facile, et tout rond, comme le jeu de M. de Féraudy. Généralement, il se fait aider par des collaborateurs tels que M. Georges Berr* et M. Bouché qui, comme chacun sait, sont des auteurs dramatiques extrêmement remarquables. M. de Féraudy a donné notamment: A quoi rêvent les jeunes gens (avec M. Bouché, 1892), Deat-Deat (seul, 1893), Où est donc papa? (avec M. Georges Berr, théâtre Déjazet, 1903). Il suffit de citer ces titres pour rappeler d'éclatants succès.
Un temps viendra certainement où les directeurs de théâtre réserveront la commande de leurs spectacles aux sociétaires de la Comédie-Française. Ces messieurs ont joué tant de pièces qu'ils se croient capables d'en écrire. Ils pourraient se faire le petit raisonnement suivant: nous composions jadis un Comité de lecture qui a reçu pas mal de pièces à jouer; cela nous prouve que nous ne connaissons pas les goûts du public: dispensons-nous de faire des pièces de théâtre. Ils aiment mieux écrire que raisonner, et par là ils montrent qu'ils sont en effet dignes d'entrer dans la grande famille des plumitifs.
Pour en revenir à M. de Féraudy, je voudrais raconter sa vie, mais elle n'est pas de celles qui se racontent. Il m'est interdit de lever le voile de la vie privée, et sa vie publique a la simplicité de l'antique. Il fut mis dans sa vingtième année entre les mains de Got qui le pétrit et le déposa, couronné d'un premier prix de comédie, sur la scène du Théâtre-Français. Il dut lui recommander alors de rester bien sage, car M. de Féraudy n'a cessé de mériter des compliments pour sa bonne tenue.
Jean-Louis
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 29 novembre 1903.
Nota de Célestin Mira:
* M. de Féraudy:
Dominique, Marie, Maurice de Féraudy. |
* M. Leloir:
Louis Leloir de son vrai nom Louis Pierre Sallot. |
* Mme du Minil:
France, Renée du Minil de son vrai nom Renée Marie Louise Thérèse Marthe Seveno. |
* Mlle Dudley:
Adeline Dudley dite Mlle Dudley de son vrai nom Adeline Dulait. |
Mlle Dudley, sauvée des flammes, lors de l'incendie du Théâtre français. |
* Georges Berr:
Georges Berr. |
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