Clovis Hugues*.
On l'appelle généralement le député poète, bien qu'il ne soit pas le seul représentant de la nation qui se soit essayé à rimer. M. Leygues* et M. Maurice Boukay-Couyba*, pour ne citer que les plus connus, ont chanté leurs amours, au temps où cela ne pouvait pas les compromettre. Depuis lors, ils ont laissé ce soin à d'autres. Mais M. Clovis Hugues n'abandonna pas son art aussi facilement, et le souci de l'intérêt de la Villette ne l'empêche pas d'écrire à l'occasion de joyeux couplets ou de célébrer Jeanne d'Arc avec émotion.
Ce n'est pas que M. Clovis Hugues soit fort pieux. Bien qu'il ait porté la soutane pendant trois mois (il avait seize ans alors), c'est un sceptique. Il a pourtant des superstitions et avoue qu'il ne toucherait pas à un serpent, qu'il ne dormirait dans le lit d'un trépassé que si on avait tourné ce lit dans un autre sens. Faiblesses d'une petite âme impressionnable. Il n'y a qu'une religion qui compte M. Clovis Hugues parmi ses fidèles: c'est la religion de la Patrie. Si M. Déroulède n'existait pas, je dirais que c'est le dernier chauvin qui nous reste. Mais M. Clovis Hugues ne prépare pas de révolution et ne sera pas banni. Il peint de petits paysages et fait de petits vers qu'il récite parfois en trempant une main dans ses boucles qui s'agitent alors avec fièvre.
M. Clovis Hugues, qui est méridional, possède une éloquence des plus vibrantes. Etant entré, un jour dans une salle de réunion (il n'avait pas encore jeté le froc aux orties), il entendit crier: "A la tribune, l'abbé!". Il parla et les acclamations l'accompagnèrent jusqu'à la porte. C'est à ce moment qu'il quitta la robe et l'institution qui l'avait pris pour pion.
Ses parents, très gênés, ne pouvant lui venir en aide, il se plaça chez un courtier de commerce; pour vingt francs par mois il ramassait des échantillons de blé autour de la Bourse. Ensuite il entra dans le journalisme, mais d'une manière assez bizarre: il débuta comme garçon de bureau au journal Le Peuple, dont il fut plus tard rédacteur. Son attitude à Marseille pendant la Commune lui valut quatre ans de prison. Il rentra dans le journalisme aussi fougueux qu'auparavant, et depuis vingt-deux ans il siège à la Chambre comme radical-socialiste.
Il y a remporté des succès d'orateur, mais depuis quelque temps, il semble chercher le repos et se contente de souligner à l'occasion, d'une apostrophe railleuse et sans fiel, la faiblesse d'un argument développé à la tribune. Ses interruptions sont faites dans ce langage imagé par lequel M. Clovis Hugues a séduit ses électeurs, les bouchers et les cochers de la Villette.
M. Clovis Hugues a épousé civilement une amie d'enfance. Il a deux filles, dont l'une est mariée à un député, M. Andrieu. Et ce poète à la vie tourmentée et romanesque est parfaitement heureux, parce que ses deux filles sont belles comme les Muses.
Jean-Louis.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 22 novembre 1903.
Nota de Célestin Mira:
*Clovis Hugues:
* Georges Leygues:
* Maurice Boukay-Couyba:
Clovis Hugues au ciel.
M. Camille Flammarion eut un soir l'idée de visiter le cabaret du Ciel, à Montmartre. A peine était-il entré que le patron s'écriait: "Voilà Clovis Hugues! un ban à Clovis!"
(M. Flammarion, comme Clovis Hugues, possède une opulente chevelure; mais tandis que les cheveux du poète sont gris, l'astronome a gardé ses boucles noires.)
Souriant de la confusion, le savant approche sans mot dire; mais se penchant à son oreille, son hôte lui confie avec malice: "Quand Clovis Hugues vient, je l'appelle Flammarion."
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 22 novembre 1903.
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